France

Mariage pour tous : Emotion, lapsus, homophobie… Les discours des maires lors des unions homosexuelles

C’est un mariage en petit comité, en août 2020, quatre mois après le début du déconfinement. Devant la mairie du 13e arrondissement de Paris, une trentaine de personnes se rassemblent pour assister à l’union de Chloé et Pauline. Deux mois après la naissance de leur fille Esmée, née d’une PMA, c’est un moment important.

Le mariage était, en effet, une nécessité jusqu’à la réforme de l’adoption en février 2022 pour que le parent social ou les couples non mariés puissent adopter. « On n’a pas eu le choix sur le timing, on s’est mariées plus vite du fait de la naissance d’Esmée, explique Pauline, fonctionnaire, comme sa femme. On ne se serait probablement pas mariées dans ces conditions autrement », alors que la date avait été reportée deux fois depuis avril. Une source de stress supplémentaire à la naissance de leur fille.

Entre 6.000 et 11.000 mariages chaque année

Depuis 2013, entre 6.000 et 11.000 mariages entre personnes de même genre ont été célébrés chaque année en France, d’après SOS Homophobie, soit entre 3 % et 5 % des mariages civils. A l’époque, l’Association des maires de France avait plaidé pour « le respect de la conscience » des édiles, un moment envisagé par François Hollande, à la stupeur des associations LGBT+.

Dix ans après l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels, le 23 avril 2013, nous avons demandé aux époux et épouses de nous raconter le moment de la cérémonie en mairie, souvent émouvant, mais aussi des propos gênants qui ont pu être tenus par des élus.

Une photo toujours accrochée dans le bureau

La cérémonie de Pauline et Chloé a fait pleurer la trentaine d’invitées et invités. Elles ont été mariées par l’adjointe au commerce, Rym Karaoun-Gouezou, dont c’était le premier mariage homo. « Elle nous a dit dans son discours introductif que c’était hyperémouvant pour elle d’être là puisqu’elle s’était battue pour qu’on ait le droit de se marier et qu’elle était très contente qu’il y ait un petit bébé, car ça symbolisait la réalité de nos familles. »

L’adjointe communiste, qui venait d’être élue en juin 2020 et a découvert le dossier 10 minutes avant le mariage, raconte « avoir été très, très touchée » de tenir ce rôle, elle qui avait participé avec son mari aux manifestations en soutien au mariage pour toutes et tous, choquée par l’hostilité au projet de loi. Elle garde, d’ailleurs, accrochée dans son bureau une photo de la cérémonie, envoyée par Pauline et Chloé.

« Un immense soulagement d’avoir quelqu’un de notre camp »

Pour Malik et Benoît, mariés aussi à la mairie du 13e arrondissement en juin 2018 et en attente d’adoption, le moment a été particulièrement fort. « La personne qui nous a mariés était contente d’unir deux hommes, elle avait les larmes aux yeux, raconte Malik, qui explique que lui et son mari n’avaient pas évalué le choc émotionnel de la cérémonie. Quand elle a récité le passage lu à tous les couples, j’ai vraiment pleuré à ce moment-là, je me suis rendu compte de ce qu’était le mariage symboliquement. »

Comme Pauline, le professeur d’histoire fait part de sa surprise et de son émotion d’avoir été marié par une alliée « pour un des événements les plus marquants et les plus heureux de [sa] vie ». « D’avoir quelqu’un de notre camp, c’était un immense soulagement, se souvient Pauline. Même si c’est un droit qu’on a gagné, on ne sait jamais sur qui ça va tomber. J’avais les jetons qu’il dise des trucs désagréables, je n’avais pas peur que ça soit impersonnel, ça aurait déjà été cool, j’avais peur que ce soit juste nul. »

Le moment du « lapsus »

Plusieurs couples racontent le même moment du « lapsus » : « Je vous déclare mari et femme ». Pacsés en 1999, David-Jean et Philippe se sont mariés dès que possible, en août 2013, pour « avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels » et pouvoir agrandir leur famille – ils ont eu deux filles nées de GPA aux Etats-Unis en 2017. « La cérémonie s’est plutôt bien passée, si ce n’est que l’adjointe au maire a fait un petit lapsus en parlant de mari et femme, retrace David-Jean. Ça avait fait rire tout le monde. » Il pense que cela est arrivé par habitude, car elle s’est reprise de suite.

La situation est un peu différente pour Loïc, responsable juridique, et Bertrand, agriculteur, mariés en 2015, dans une mairie de droite, ce qui avait suscité des appréhensions. « Je ne sais pas si c’était par habitude ou une blague de mauvais goût, il a dit quelque chose comme : « Madame, Monsieur, je vous déclare mari et femme », et après : « Ah non, c’est pas ça ». C’était un peu lourd, réagit Loïc, surtout qu’on était en face de lui et qu’il voyait bien qu’on était deux hommes. »

Des refus de célébration illégaux

Depuis 2013, plusieurs cas de maires affirmant refuser de marier des couples homos ont été rapportés dans la presse. Les rapports contre les LGBTIphobies de SOS Homophobie se font aussi l’écho des discriminations pratiquées par des agents ou élus des collectivités (refus du maire ou des adjoints de marier, label MPT pour mariage pour tous inscrit sur le registre de mariages, mauvais accueil en mairie).

Le dernier rapport indique avoir reçu le témoignage d’un couple de femmes dont le mariage a été bloqué par une mairie dans le Morbihan : les adjoints et le maire ont refusé de célébrer la cérémonie, « demandant toujours plus de preuves quant à la véracité de leur relation et prétextant une suspicion de mariage blanc ». Une opposition illégale, car discriminatoire : les couples concernés ont le droit de demander au juge d’obliger le maire à célébrer la cérémonie.

« Un coming out social »

Pour le mariage de Dorothée et Claire en mai 2014, une mise à jour des textes a aussi été nécessaire. « C’était le premier mariage homo à la mairie de Trouville-sur-Mer : « L’époux accepte d’avoir l’épouse », c’est toujours décliné au masculin et au féminin et l’adjointe à la culture se reprenait à chaque fin de phrase en disant : « Pardon, pardon, l’épouse et l’épouse », sourit Dorothée. On sentait qu’elle voulait bien faire, que c’était nouveau et qu’elle marchait un peu sur des œufs. » Elle se souvient de la concentration et de l’émotion palpables dans la salle de mairie.

Pour celle qui était la réalisatrice officielle de l’Elysée au moment de l’adoption de la loi et « restait dans le placard », son mariage a été « un coming out social ». « J’avais l’impression que ça officialisait, même pour moi, analyse Dorothée, qui a écrit la BD De l’intérieur – Deux femmes, un quinquennat, un bébé (Ed. Delcourt) où elle raconte son expérience. Ça m’a permis de m’affirmer vis-à-vis des autres et de vivre pleinement cette relation. Dans un certain sens, j’étais légitimée aux yeux de la société, surtout dans un contexte assez hostile. »

Elle explique maintenant être fière de dire « mon épouse », d’avoir pu fonder une famille avec deux garçons nés d’une PMA. Le chemin parcouru en dix ans la rend plutôt optimiste. Bien que d’autres avancées sociales, notamment sur les droits des personnes trans, restent à gagner.