France

Lyon : « La moitié de la ville est sous cloche », la visite très verrouillée d’Emmanuel Macron

Dans les rues de Lyon entourant l’ancienne prison de Montluc, pas la moindre trace d’une âme qui vive. Pas même un curieux penché au balcon. Le quartier, bouclé, prend des allures de ville fantôme. Les cordons de CRS déployés le long des immeubles mitoyens surveillent toute intrusion possible en attendant l’arrivée d’Emmanuel Macron. C’est là que le président de la République doit rendre hommage aux résistants et à Jean Moulin, arrêté il y a quatre-vingts ans. Sa venue est annoncée pour 14h40.

A 600 mètres des lieux, les manifestants, tenus à distance, commencent pourtant à chauffer de la voix sans que le moindre écho ne parvienne jusqu’à l’entrée du mémorial. Seuls les klaxons insistants des locomotives passant à proximité viennent briser le silence et rappeler que la réforme des retraites est loin d’être digérée.

Dernières consignes avant l’arrivée du chef d’Etat. La presse, à l’exception d’une poignée de journalistes, doit rester à l’intérieur de l’établissement. Direction la salle de presse, dont l’accès est verrouillé par une palissade. Aucune possibilité de ressortir pour assister à l’arrivée. Ni d’aller aux toilettes pendant la visite qu’il faudra suivre sur un écran géant.

Casserolades et chant des partisans

15h07. Emmanuel Macron se présente et s’arrête devant les chasseurs alpins postés à l’entrée de la prison. Dépôt de gerbe. Le président s’agenouille rapidement tandis qu’un chœur d’officier entonne à Capella la Marseillaise et le chant des partisans. Visage concentré, il lève la tête, les yeux parfois clos, comme enfermé dans une bulle. Très loin des bruits de casseroles et de couvercles qui redoublent. Pendant ce temps, les rangs des manifestants ne cessent pourtant de grossir. 3.000 selon la préfecture, 5.000 selon la CGT. Mais toujours pas le moindre son de mécontentement perceptible.

Puis, le président de la République salue les officiels, embrasse le couple Klarsfeld, enchaîne les poignées de main, tutoie les députés issus de son rang, échange quelques sourires chaleureux avec Grégory Doucet, le maire de Lyon qui lui glisse malicieusement « C’est moi qui vous accueille et vous souhaite la bienvenue ». Il est temps de s’engouffrer dans l’enceinte de l’ancienne prison pour suivre la visite dans les pas de Claude Bloch. A 94 ans, il est le dernier déporté encore vivant à Lyon. Le seul qui peut encore témoigner de l’horreur des geôles de Montluc. A 15 ans, et uniquement parce qu’il était un gamin juif, il y a été enfermé trois semaines avant d’être acheminé à Auschwitz.

A chaque étage, les cellules rappellent l’atrocité du régime nazi. Un espace de quatre mètres carrés, dans lequel s’entassaient jusqu’à huit résistants, dormant à même le sol comme des animaux. Dans la pièce, une seule bassine en guise de sanitaire, une fenêtre bien trop haute pour laisser entrer les rayons du soleil. Et d’épaisses portes en bois qui ne s’ouvraient que lorsque les détenus en étaient extraits pour être torturés. Dix mille hommes et femmes y ont vécu entre février 1943 et août 1944, en attendant d’être exécutés ou déportés.

« La République est nécessaire, vitale, juste »

Dans chaque cellule, trônent des portraits de résistants célèbres : Marc Bloch, Raymond Aubrac, André Frossard mais aussi Jean Moulin. Un « enfant de la République », souligne Emmanuel Macron dans son discours hommage. Pas un mot sur la mobilisation du jour mais comme s’il voulait répondre aux manifestants, le chef d’Etat insiste sur la « République française » qui n’est « par définition, ni mauvaise, ni néfaste » mais « nécessaire, vitale, juste ». « Elle l’est encore aujourd’hui, poursuit-il. Nous vivons dans le pays où l’on ne peut jamais séparer impunément l’idée de république et celle de progrès humain ». Et de rappeler le rôle que les partis politiques et les syndicats ont joué aux côtés de Jean Moulin.

Le 27 mai 1943, lorsqu’il préside la réunion fondatrice du Conseil national de la résistance, « le parti communiste est là, le parti radical aussi (…) Le parti démocratique est là. Jean Moulin est l’homme de Londres, et pourtant les résistants de l’intérieur sont là, tous comme les deux grands syndicats de la France Républicaine : la CGT et la CFDT, appuie Emmanuel Macron. Sont ainsi présentes toutes les forces du renouveau, forces du travail, forces de la jeunesse, assemblées enfin au sein de la même organisation. »

Dehors, la rue gronde. Des alertes indiquent que les blacks blocs se sont invités dans le cortège et qu’ils viennent d’entrer par effraction dans la mairie du 3e arrondissement de Lyon. Pendant que le président de la République quitte le mémorial, Véronique Dubois Bertrand, la maire écologiste du 3e s’empresse de lui emboîter le pas pour se rendre en urgence sur place. « Je n’arrive pas à comprendre la nécessité de casser pour se faire entendre même si je peux comprendre le désespoir de certains », glisse-t-elle.

« On a un président qui est dans sa bulle »

Emmanuel Macron, escorté et toujours soigneusement tenu à l’écart de la foule, est déjà en route vers l’aéroport. « Je comprends l’inquiétude de vouloir protéger le président de la République mais j’ai trouvé cela un peu excessif. Je ne veux donner des leçons à personne mais la manière de gérer la sécurité, dans les manifestations et ici, m’interroge », lâche l’élue avant de s’éclipser.

« J’aurais aimé qu’il y ait plus de monde ici et c’est ce que j’ai dit au président de la République, enchaîne le sénateur écologiste Thomas Dossus. J’aurais aimé que les habitants puissent assister à cet hommage, important pour notre ville. Malheureusement, vu la crise dans laquelle nous sommes aujourd’hui, cet hommage n’a pu être ouvert au public. La moitié de la ville est sous cloche. On a vécu un hommage sous une bulle. Ce lundi matin, le président a défilé sur les Champs-Élysées complètement déserts. Il va falloir qu’il sorte de son déni. Même un hommage aussi solennel que celui-ci, n’a pas pu être consensuel. » Et de conclure : « Je me demande comment on va faire encore quatre ans avec un président dans sa bulle, éloigné de son peuple ».