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« Les rencontres du Papotin » : De « pari optimiste » à succès d’audience, les créateurs de l’émission racontent

« Je n’y ai pas cru jusqu’à la dernière minute », confie à 20 Minutes Julien Bancilhon qui troque sa casquette de psychologue pour celle de rédacteur en chef lorsqu’il est entouré des journalistes du Papotin. Depuis ses débuts en 1989, le journal rédigé par des journalistes porteurs d’un trouble du spectre autistique intéresse la télévision. Les caméras de plusieurs chaînes s’y étaient déjà attardées lors de reportages tandis que la rédaction a collaboré avec Le Cercle de minuit, sur France 2, en 1992. Mais personne n’avait envisagé que les rencontres de ces journalistes dont les questions font tantôt rire, tantôt rougir avec des personnalités en tous genres seraient tant saluées par le public. « Il y avait eu plusieurs essais de personnes de la télévision pour faire quelque chose de ce genre mais ça n’avait jamais réussi à convaincre suffisamment », poursuit le rédacteur en chef.

Pourtant, Les rencontres du Papotin, dont la diffusion a attiré 3,3 millions de curieux dès leur premier numéro avec Gilles Lellouche, soit 20 % de parts de marché. Ce score a presque été égalé lors de l’interview de Virginie Efira, faisant monter le compteur à 3,24 millions de téléspectateurs (17,2 % de PdM). Sans surprise, la rencontre entre le Papotin et Emmanuel Macron a permis au programme de pulvériser son record avec 4,54 millions de Françaises et Français devant le poste (22,5 % de PdM). « Ce programme est le fruit d’une collaboration entre France 2 et des gens qui ont fait un pari créatif et audacieux et quand on gagne un pari comme ça, on est très heureux », se réjouit pour 20 Minutes Nicolas Daniel, directeur des magazines de France Télévisions.

La persévérance de Nakache et Toledano

Tout commence en 2011. Comme à son habitude, le Papotin interviewe les personnalités qui font l’actualité. Après la sortie du film Intouchables, Éric Toledano et Olivier Nakache se prêtent au jeu de l’entretien. « Il y a presque un choc émotionnel où on entend les questions qu’on n’avait jamais entendues […] qui nous révèlent un peu plus », a confié Éric Toledano à France Inter, lors du lancement des Rencontres du Papotin. Le duo de réalisateurs voit cette rencontre l’opportunité de réinventer le genre. « Ça a pris du temps car ils n’avaient pas les contacts pour faire ça à la télé », rembobine Julien Bancilhon.

« Toledano et Nakache nous ont contactés Tristan Carné et moi en nous disant : « Ce qu’il se passe au Papotin est formidable et il y a moyen de rendre hommage au travail que font ces journalistes. » », déroule Clément Chovin, le producteur de l’émission. Curieux, les deux professionnels de la télé s’immergent dans l’une des rencontres entre la rédaction du journal et un invité. Nous sommes en 2021 et ils sont soufflés par « un moment assez extraordinaire » dont l’intensité leur fait sentir « toute la saveur de la meilleure des rencontres ».

Tandis que le Papotin perçoit que quelque chose de concret se trame autour de leurs rencontres, les journalistes et leurs encadrants « n’espèrent pas grand chose ». « On mène notre petit bout de chemin depuis toujours », rappelle Julien Bancilhon en précisant que la télévision n’est pas « leur univers » puisque la vocation du journal est le projet culturel qui l’accompagne.

« Ils pensaient nous formater »

Rapidement, le duo de producteur fait une première tentative. Julien Bancilhon endosse le rôle d’animateur et forme une ligne avec quelques journalistes de la rédaction face à un invité. « On savait qu’on n’avait pas le truc mais il fallait faire des choses ensemble », justifie Clément Chovin avec le recul. « Les gens de la télévision, comme toutes personnes aguerries, sont arrivés avec des représentations pré-établies et ça n’a pas tout de suite collé avec notre journal », juge Julien Bancilhon. Ce premier coup dans l’eau à base d’échanges formatés et de lumières artificielles est peu concluant. « Je pense qu’ils pensaient pouvoir arriver avec leur expertise pour nous formater mais ils ont rapidement compris qu’il fallait être avec nous. »

Le tandem s’intègre aux réunions de rédaction durant deux heures chaque mercredi. Petit à petit, ils apprennent à connaître chaque journaliste, les réalités qui les traversent et leurs personnalités.

De retour du tournage d’un documentaire en Amazonie, le réalisateur Henri Poulain intègre l’aventure en janvier 2022 à la demande des réalisateurs. « On était fans de ce qu’il faisait », avoue Clément Chovin soulignant le talent de son confrère pour faire émerger la vérité des individus à base de plans en lumière réelle. « Ils avaient fait quelques tentatives mais n’étaient toujours pas parvenus à traduire le Papotin en objet télévisuel », renchérit le réalisateur. Si l’aventure l’intéresse, il insiste : il ne faut pas faire rentrer le Papotin dans la télévision mais permettre au Papotin d’exister sans rien y faire. Après deux mois d’observation, un constat s’impose au réalisateur. « Il n’y a pas de filtre au Papotin donc on devait être sans filtre aussi. » Preneurs de son et cadreurs seront à l’écran et pas question de plonger les journalistes dans un décor pré-fabriqué en néons ou en leds. « On s’est mis en quête d’un lieu clair où les gens pourraient s’écouter et j’ai eu un coup de cœur pour cette grande salle de l’Institut du Monde Arabe, à Paris. »

Une recette sans fard

A la manière d’une recette de cuisine, producteurs et réalisateur ajoutent et retirent certains éléments. Henri Poulain assiste à son tour à plusieurs conférences de rédaction pour cerner sur quoi le programme devrait s’attarder. « La première fois, je me suis dit que c’était mission impossible car ça part dans tous les sens, c’est foisonnant et illisible. La seconde fois, j’ai été plus attentif et je me suis rendu compte que chaque papoteur et papoteuse a sa propre musique, que chacun devait être distingué. » Il mise alors sur un plan général très large mais surtout sur de très gros plans.

En revisionnant une rencontre filmée avec Nicolas Sarkozy en 2015, les équipes remarquent ce moment suspendu où les journalistes viennent saluer l’ex-président, assis en attendant que l’interview commence. « On a mis un certain temps à se rendre compte que ça faisait partie de l’interview. Qu’un président attende, ce n’est pas banal, tout comme le fait qu’il puisse être approché librement. On voulait retrouver cette spontanéité malgré un dispositif assez lourd », détaille Julien Bancilhon.

La seconde tentative avec le journaliste Emmanuel Chain pour invité sera plus concluante. « On s’est aperçu que nos essais précédents montraient à quel point la télé peut parfois déformer, avoir un effet loupe ou écraser. » Cette fois-ci la méthode porte ses fruits. Les rencontres du Papotin sont prêtes à voir le jour dans un format « préparé mais pas écrit, où plein d’imprévus nourrissent le récit », insiste le réalisateur.

« Des moments de télévision jamais vus »

Reste à trouver la meilleure piste d’atterrissage pour le programme. Le pilote en poche, les producteurs se mettent en quête d’une chaîne pour diffuser Les rencontres du Papotin. « Depuis le temps qu’on travaillait et qu’on disait à nos journalistes qu’on préparait une émission télé, j’espérais juste que ça arrive quelque part », précise Julien Bancilhon.

Si Canal+ donne des signes d’intérêt, les discussions n’aboutiront jamais vraiment sur la chaîne. « On ne savait pas où on allait aller avec ce programme mais on savait qu’on avait un moment de vérité d’une grande valeur », martèle Clément Chovin. Lorsqu’il présente le numéro zéro à France Télévisions, le service public s’intéresse « hyper rapidement » au projet. « On s’est assez vite dit que ça allait pouvoir transformer la manière d’interviewer des personnalités et que ça allait produire des moments de télévision qu’on avait jamais vus », confirme Nicolas Daniel.

Reste à caser Les rencontres du Papotin sur l’une des grilles déjà chargées des chaînes du service public. Le directeur des magazines de France Télévisions estime que les projets porteurs de différences sont soit « vus comme des obligations et diffusés tard le soir en considérant qu’ils ne vont pas marcher », soit « ils sont portés très hauts […] pour les faire parler, au risque de faire une mauvaise audience ». Les patrons de France Télévisions optent pour la seconde option. Les rencontres du Papotin auront leur case spécifique et événementielle chaque mois sur France 2 en clôture du JT, une programmation assez inédite pour un tel programme. C’est le choc. « Quand on nous l’a annoncé, c’était beaucoup de reconnaissance et une très grande joie mais aussi un vertige parce que c’est une responsabilité de s’imposer aux téléspectateurs », commente Clément Chovin. Pour lui, « vendre un programme comme celui-ci relève toujours de la magie ou du miracle ». Un miracle concrétisé par huit épisodes tous mis en boîte dont cinq – et bientôt six – ont déjà été dévoilés.

Quelque chose d’atypique

Dès la première diffusion, le succès est au rendez-vous. « Souvent les gens de télé comparent avec des programmes similaires diffusés à des moments similaires mais là il n’y avait pas de point de comparaison », rappelle Nicolas Daniel. Il évoque des audiences « explosives », glissant qu’au vu du succès de l’émission, France Télévisions « a plutôt envie que ça continue » au-delà des deux épisodes restant à diffuser.

« J’étais extrêmement surpris quand j’ai vu que juste après l’émission, la secrétaire d’Etat chargée du Handicap et d’anciens ministres de la Santé faisaient des tweets, commentaient », réagit Julien Bancilhon. Henri Poulain raconte sa fierté de « permettre de faire entendre ce qui n’est pas entendu ailleurs ». Avec des journalistes à mille lieues de se soucier de l’image qu’ils renvoient, il analyse ce succès comme une preuve « que quand on est sincère et juste, on sait parler à un public large. »

« Ce qui est drôle dans cette histoire, c’est qu’on a proposé à France Télé de montrer une rédaction de journalistes atypiques, on en a fait un programme télé atypique et on lui a offert une place atypique », conclut Clément Chovin.