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Le best-seller post-apocalyptique « Swan song » débarque en France

Plusieurs millions de ventes à travers le monde, trois prix Bram Stocker (un prix littéraire de renom dans le domaine de l’horreur) et pourtant, le nom de Robert McCammon reste assez confidentiel en France. Mais pour combien de temps encore ? Ce vendredi, Swan Song, l’un des best-sellers de l’auteur américain sorti en 1987 et traduit depuis dans une quinzaine de langues, parait en deux tomes pour la première fois en français.

Un an après le coup de maître de la saga Blackwater de Mickael McDowell, vendue à plus de 800.000 exemplaires pour l’ensemble des épisodes, les éditions Monsieur Toussaint Louverture s’attaquent au blockbuster de McCammon. Au programme ? Une dystopie aux résonances contemporaines où il est question de survie dans une Amérique dévastée après l’apocalypse. Le futur carton estival ? Dominique Bordes, à la tête de la maison d’édition indépendante, a répondu aux questions de « 20 Minutes ».

Tout comme « Blackwater » l’an dernier, ce nouveau roman sort juste avant l’été. Vous aimeriez installer durablement ce rendez-vous ?

Beaucoup de la littérature dite « populaire » fonctionnait par rendez-vous réguliers, à différents rythmes, que ce soit dans les journaux ou avec ce qu’on appelait l’édition populaire, la série noire etc. J’aimerais bien installer des rendez-vous mais il faut aussi considérer le fait que nous sommes une toute petite maison d’édition. Même si on a eu des succès, surtout avec Blackwater, on ne peut pas aller jusque-là. Mais je trouve que cette période est intéressante parce qu’elle est souvent mésestimée ou mise de côté par plein d’éditeurs. Par rapport à Swan Song, c’était le très bon moment parce qu’aux Etats-Unis il était sorti à la même période. Il y a aussi cette idée, toutes proportions gardées, du blockbuster littéraire, de livres extrêmement divertissants qui sortent à l’orée de l’été. La temporalité est quelque chose de très intéressant : à quel rythme doit-on sortir les nouveautés d’un auteur ? En France on est sur l’annualisation, on a l’Amélie Nothomb comme le beaujolais nouveau, mais il y a d’autres écoles. La romance est beaucoup plus rythmée, tout comme la littérature populaire.

Vous mettez une fois encore en lumière une œuvre peu connue en France, tout comme son auteur. Un genre littéraire de niche, moins visible chez nous ?

On voit le désir des lecteurs de flirter avec le fantastique et l’horreur à travers le succès de Stephen King qui s’est installé comme un phénomène, comme d’autres auteurs français ou anglosaxons. Mais cela n’a jamais été le cas pour McCammon en France. Beaucoup de ses œuvres ont été traduites mais elles sont toujours restées dans la niche horrifique/fantastique. Mais il a aussi une approche de grand conteur, ses livres peuvent toucher plein de gens différents. Il y a en effet un problème de niche en France, le genre est assez mésestimé, à part quand il s’agit de superstars ou quand le livre est positionné ailleurs par les éditeurs, dans des collections de littérature étrangère par exemple. Ce sont des stratégies très bonnes également, tout est bon pour tenter de faire lire les gens. Pour Swan Song au contraire, j’ai voulu appuyer le trait et faire réagir ceux qui avaient dans l’œil cette culture des années 1980. C’est un blockbuster, avec ses clichés et ses défauts. Mais il traverse le temps, il est extrêmement solide et est toujours lu et relu aux Etats-Unis.

L’histoire mêle notamment des récits d’eau contaminée, d’accidents nucléaires et de pluies radioactives. Des problématiques très contemporaines, ancrées dans notre époque ?

Les auteurs se servent de ces grandes peurs très modernes, qui ont émergé après la Seconde Guerre mondiale et qui nous travaillent en permanence. Dans Le Fléau de Stephen King, c’était une sorte de grippe qui contaminait la terre. Dans Swan Song, il y a aussi une très forte croyance, en l’homme mais aussi en une force supérieure. Petit à petit il se fait l’écho de l’espoir, de la recherche de l’humanité et de cette étincelle qui peut nous faire revivre ensemble. C’est très d’actualité. Je travaille toujours sur des livres que j’estime capables d’avoir une forme d’intemporalité.

Ce roman n’est pas sans évoquer aussi l’un des énormes succès qu’a été la série « The Last Of Us » en début d’année. Une heureuse coïncidence ?

Ce qui est intéressant, c’est cette appétence des gens pour ces récits de fin du monde, qui parlent peut-être encore mieux de nous-mêmes. En regardant les succès de librairie, tous ces récits y ont une vraie vie quand ils sont bien positionnés, avec un bon prix etc. Parfois il n’y a pas d’articles dans la presse mais ils arrivent à vendre 60.000, 80.000 exemplaires. Peut-être que les gens, dont je fais partie, sont fascinés par la chute de la civilisation. C’est une inquiétude légitime et il me semble même que « l’Horloge de l’Apocalypse » [« Doomsday Clock », un concept imaginé en 1947 pour mesurer l’état de la planète] se rapproche de plus en plus de minuit. On est à minuit moins deux minutes de l’Apocalypse ! La fin du monde est quelque chose qu’on ne côtoie pas au quotidien mais qui pèse sans qu’on s’en rende compte. Toutes ces séries sur la fin de l’humanité sont assez fascinantes, et les livres aussi. Mais il n’y en a pas tant que ça.

L’une des signatures de votre maison d’édition, c’est le soin apporté à la couverture des livres. Pour « Swan Song », vous la qualifiez de « pulpesque ». Que voulez-vous dire ?

J’aurais pu utiliser le terme « nostalgique » mais il n’y avait pas cette idée de claque, de coloré, de Grind House. J’ai donc utilisé ce terme de « pulpesque » qui fait référence à la culture pulp [une littérature populaire très en vogue dans la première moitié du XXe siècle aux Etats-Unis]. L’idée est de toujours faire du livre un objet remarquable. On dit toujours que les livres, « ce ne sont pas comme des yaourts ». Mais ça reste quand même un produit fabriqué de façon industrielle, à la chaîne. Vous achetez une histoire mais aussi un objet avec lequel vous allez vivre pendant un petit moment. On crée des objets du quotidien et il faut intensifier ce rapport esthétique. Beaucoup de marques le font, comme Apple qui a proposé une relecture du téléphone mobile. C’est normal que le monde de l’édition travaille aussi ce sujet.

L’aspect marketing c’est crucial pour sortir du lot ?

Pour moi c’est déterminant. Editer un livre c’est aussi l’éditer en termes de marketing. Ce sont des investissements publicitaires, des partenariats avec la Fnac, Cultura, de la promotion sur les réseaux sociaux… C’est un tout. Il y a toutes sortes de leviers, cela en fait partie.

« Blackwater » avait bénéficié d’un relais notable sur les réseaux sociaux. Cette influence littéraire est devenue non négligeable pour le monde de l’édition ?

Je travaille peu avec des influenceurs et en France nous ne sommes pas encore au même niveau qu’aux Etats-Unis où lorsqu’il y a un emballement sur Tik Tok par exemple, ça fait s’emballer l’ensemble de la chaîne du livre. J’essaye de mettre en place les éléments nécessaires à ce que l’influence des réseaux sociaux soit positive, ou existe tout court. Sur Swan Song, il y a quelques semaines j’ai envoyé à des milliers de personnes qui étaient dans notre base de données, un courrier avec une lettre du colonel Macklin [un personnage du livre], un livret, un autocollant… C’est du marketing direct. Les gens reçoivent ça et le prennent en photo pour les réseaux sociaux. L’idée est de convaincre à la fois le lecteur potentiel que ce livre peut l’intéresser, mais aussi qu’il produise du contenu autour de cela. Avant même que le livre sorte. Il ne faut pas lésiner sur les moyens et l’inventivité pour susciter chez le lecteur l’envie et le désir d’aller l’acheter en librairie.

La saga « Blackwater » s’est vendue à plus de 805.000 exemplaires tous volumes confondus. Vous vous êtes fixé un objectif similaire ?

Avec Blackwater je m’étais fixé plusieurs paliers, j’avais commencé par un objectif à 50.000. Dans la mécanique commerciale mise en place je les atteignais déjà avant la sortie. Ensuite j’avais un autre palier à 90.000/100.000 exemplaires et après ça m’a échappé. Le livre a eu son propre impact, il a fait son chemin.

« Swan Song » est déjà en rupture sur votre site.

Il l’est parce que les libraires en ont trop précommandé. Ils ont été très enthousiastes, peut-être trop ! Ils ont envie de faire une sorte de Blackwater bis. Parfois le marché surréagit. En tout cas ce n’est pas ce que j’ai prévu, même si je me suis fixé un objectif assez important.Mais peut-être que je me trompe et que les libraires se doutent aussi que les récits post-apocalyptiques ont un vrai potentiel auprès de leurs lecteurs. Ils ont peut-être une meilleure vision que je n’en ai et c’est normal parce que je ne travaille pas du tout de la même façon.

En avril dernier vous avez reçu le prix Livres Hebdo de « La petite maison d’édition de l’année ». Qu’est-ce qui a changé depuis un an pour vous ?

Rien ! Cela ne va pas entraîner de changements notables, ça m’a juste convaincu que si on fait le travail d’une certaine façon avec certains livres, ça fonctionne. Il faut que je garde la même ligne, les mêmes intuitions, les mêmes modèles de travail. Le prix est très intéressant pour la reconnaissance professionnelle, il y a quand même une note de confiance et de légitimation. Je sais que le combat est difficile mais aussi que pour l’instant, je ne me bats pas trop mal. Mais il ne faut pas que je me repose sur mes lauriers, je dois être inventif. C’est aussi l’idée de Swan Song, d’aller encore ailleurs. On voit bien que les gens sont réceptifs à aller dans d’autres directions, vers des livres où ils n’iraient pas forcément. C’est intéressant de se dire que dans la carrière d’un lecteur, on a réussi à l’amener là où il ne serait pas allé naturellement.