France

« La jeunesse corse qui produit de la violence s’est reproduite », observe Thierry Dominici, spécialiste du nationalisme

Depuis le décès d’Yvan Colonna à la suite son agression par un codétenu à la prison d’Arles, la Corse observe un certain regain de la violence politique initiée, notamment, par la jeunesse. Ces deux derniers mois, un nouveau groupe clandestin, le GCC, « Ghjuventu Clandestina Corsa » (Jeunesse clandestine corse), a officialisé sa création et le FLNC a revendiqué 17 attentats. Pour tenter de comprendre le lien entre cette jeunesse et lutte nationaliste en Corse, 20 Minutes a interviewé Thierry Dominici, chercheur à l’université de Bordeaux et spécialiste de la question corse.

Quel portrait dresser de la jeunesse corse aujourd’hui ?

C’est un peu compliqué parce que si vous voulez, on a tendance à imaginer la jeunesse comme étant une population générationnelle, mais homogène, alors qu’en Corse comme ailleurs, ce ne sont pas des populations homogènes.

En Corse, quelque chose masque la socialisation et la politisation des jeunes en général, c’est la mobilisation nationaliste. Elle est omniprésente dans le cadrage des médias, dans le cadrage des politiques et aussi dans le cadrage de la recherche. C’est assez extraordinaire quand on y réfléchit : on a l’impression qu’en Corse, il n’y aurait que des jeunes nationalistes. Or, au final, cette jeunesse, comme partout ailleurs, se sent déclassée par rapport à l’offre que propose le système en termes de réussite, d’emplois ou de la création d’un avenir.

Cette jeunesse, qui se sent déclassée, se tourne vers plusieurs formes de mobilisation ou de politisation, dont la plus visible est le nationalisme. Mais ce n’est pas l’unique point qui la définit. Si on écoute attentivement le message porté par une grande frange de ces jeunes, lors des émeutes consécutives à l’assassinat d’Yvan Colonna, ils mettaient plutôt en avant cette idée de déclassement.

Le nationalisme est donc en Corse le premier contact des jeunes avec la chose politique ?

Aujourd’hui, le nationalisme s’est installé sur un ensemble social et sociétal insulaire. Dans mes travaux, je parle de massification, ça veut dire que le nationalisme a atteint aujourd’hui une dimension populaire. Ce qui fait que, se draper d’un discours nationaliste va permettre de produire une certaine identité, voire une reconnaissance. La chose nationaliste, aujourd’hui, est devenue le discours principal de cette société. Parce que vous l’avez dit, le nationalisme est partout, y compris dans le sport et le football. 

Un jeune de quinze ans qui n’a pas connu la vie en dehors de l’île baigne déjà dans un environnement nationaliste. Après, il va se démarquer, mais toujours dans le nationalisme. Il va produire, par exemple, un écologisme politique corse. Il introduira un républicanisme corse. Et donc c’est ça. C’est le nouveau phénomène que vit, d’un point de vue générationnel, cette jeunesse aujourd’hui.

Justement, cette jeunesse corse, finalement biberonnée à la massification nationaliste, ne chercherait-elle pas à vouloir vivre « son moment FNLC » pour marquer son existence politique et y faire son entrée ? Je pense notamment à la GCC qui a revendiqué son existence.

Ce n’est pas la première fois que des nouveaux groupes se créent. Il y a eu énormément de groupes qui sont nés et qui ont disparu du champ politique. A chaque fois qu’il y a eu un groupe, et spécialement le FLNC, celui-ci a toujours été revendiqué et porté par la jeunesse. Le FLNC a été construit, imaginé par la jeunesse nationaliste – on disait indépendantiste à l’époque.

Le GCC se revendique déjà de cette réalité, c’est-à-dire la révolte portée par une jeunesse comme le soutenait déjà le FLNC. Donc après, est-ce que ce sont des jeunes ou pas ? Peut-être s’agit-il de jeunes totalement portés par les plus grands, autrement dit des jeunes qui gèrent la lutte armée depuis plus de temps. Ou alors peut-être, tout simplement, il s’agit de jeunes qui s’organisent. Mais pour l’instant, la seule chose que l’on peut constater c’est que nous avons des personnes qui ont revendiqué une vingtaine d’attentats très artisanaux.

La jeunesse corse politisée, celle qui est radicalisée si vous préférez, produit de la violence depuis plusieurs années. Elle s’est même reproduite d’un point de vue générationnel parce que ceux qui ont commencé, sont aujourd’hui moins jeunes. On les retrouve désormais dans la politique avec des fonctions, des postes et des titres en termes de statut socioprofessionnel. Alors, on peut imaginer que ces jeunes, parce qu’ils n’ont pas pu connaître le mythe du nationalisme et la projection dans le bandit social que représente le FLNC, aient eu envie de s’organiser et d’en espérer les honneurs.

Mais cette hyptohèse d’une jeunesse qui voudrait « vivre son moment FLNC pour accéder aux honneurs », ne serait vrai que si, et seulement si, cette jeunesse n’était pas arrimée à un parti politique. Parce que la plupart de ces jeunes, pour les plus politisés, sont proche de Core in front ou membre de Corsica Libera. Ce n’est pas le Siméonisme ou même le PNC de Jean-Christophe Angelini qui ont le plus d’échos auprès des jeunes politisés.

Faut-il craindre un retour de la violence politique de masse en Corse ?

Si elle réapparaît, ce serait un échec de la massification. Ce serait l’échec de la famille politique apparue dans les années 75 (Aléria) et 76 (FLNC). Si cela arrive en 2023, cette famille politique va disparaître  Alors, il y aura peut-être une nouvelle génération, mais obtiendra-t-elle la même massification populaire ?

Je crois que tant qu’on ne dépolitisera pas la question corse, on n’y arrivera pas. Ce qui est intéressant dans les discussions actuelles, c’est qu’on est bien dans une logique de transfert de compétences, sur une région qui aspire à plus d’autonomie, et c’est de l’administratif.

Mais Gilles Simeoni n’a plus besoin, depuis la dernière élection, des indépendantistes qui pourraient vouloit récupérer plus d’espace politique.

Ces indépendantistes ont besoin de plus d’espace politique et ils vont tout faire pour le récupérer. Ils feront peut-être des croche-pattes, mais ils ne sortiront pas l’épouvantail d’un retour massif de lutte armée, je ne le crois pas.