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IVG aux Etats-Unis : Que faut-il attendre de la Cour suprême, nouvel arbitre concernant la pilule abortive ?

Aux Etats-Unis, plus les jours avancent, plus les acquis des femmes reculent. L’été dernier, la Cour suprême avait déclassé le droit à l’avortement, n’en faisant plus un droit fédéral et laissant donc toute latitude aux Etats de légiférer sur la question. Près de dix mois plus tard, les neuf juges, à majorité conservatrice, vont à nouveau devoir se prononcer sur le sujet, saisis en urgence par l’exécutif américain. En cause, une série de décisions judiciaires qui comptent bloquer l’accès à la mifépristone, principale pilule abortive du pays.

Que faut-il attendre de la Cour suprême ? D’autres recours sont-ils possibles ? Comment vont réagir les Etats et les femmes américaines ? 20 Minutes fait le point sur le sujet avec Christen Bryson, maîtresse de conférence en études américaines à la Sorbonne Nouvelle.

Que faut-il espérer de la Cour suprême ?

Lancée depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, la bataille juridique fait rage. Vendredi dernier, Matthew Kacsmaryk, un juge fédéral texan proche de Donald Trump, a pris la décision de suspendre l’autorisation de mise sur le marché aux États-Unis de la mifépristone, qui datait de l’année 2000. En dépit du consensus médical, il a estimé que cette pilule abortive, déjà utilisée par plus de cinq millions de femmes, présentait des risques pour la santé.

Lundi, l’administration Biden avait déjà saisi une cour d’appel pour bloquer l’arrêt. Depuis, la justice a certes permis de maintenir l’autorisation de cette pilule, mais en rétablissant des restrictions à son usage (trois visites chez le médecin, sept semaines de grossesse maximum, interdiction de l’envoi par la poste). Le sort de la mifépristone va se jouer devant la Cour suprême, à majorité conservatrice. Même s’il est « extrêmement difficile » d’anticiper la réaction de l’institution, notre experte se livre à une analyse : « La Cour suprême pourrait se poser deux questions. Veut-elle limiter le pouvoir administratif de l’Etat fédéral, ce qui est un objectif poursuivi par le mouvement juridique conservateur ? Ou bien, est-ce qu’elle veut limiter davantage l’accès à l’avortement ? »

Et d’ajouter : « Le dossier texan donne une opportunité de répondre à ces deux pistes. Mais les juristes estiment que le raisonnement du juge Kacsmaryk est peut-être trop vague et pourrait avoir des conséquences imprévues. Pour ces raisons, ils estiment que certains juges conservateurs soutiendront plutôt le gouvernement. » Autant dire que l’incertitude règne et que la décision de la Cour suprême sera particulièrement scrutée.

D’autres recours juridiques sont-ils à prévoir ?

Depuis la fin de la protection constitutionnelle de l’avortement, l’été dernier, une quinzaine d’Etats américains ont interdit l’IVG. Cette semaine, la Floride a restreint ce droit au-delà de six semaines de grossesse. Pour contrer les partisans anti-avortement, une coalition d’Etats démocrates a saisi la justice, en février dernier, pour tenter de sauver la mifépristone. Mais, dopés par leurs succès, les anti-avortement vont continuer les recours auprès des tribunaux, selon notre experte.

« Le mouvement juridique conservateur continuera de poursuivre cette voie parce que l’utilisation de la loi pour revenir sur ce qu’il considère comme des questions morales a réussi. Il ne faut pas oublier que la Cour suprême a refusé de revenir sur Roe v. Wade en 2020, avant, deux ans plus tard de renverser cette jurisprudence vieille de cinquante ans », détaille-t-elle, en rappelant que ce ne sont pas les seuls recours intentés par le camp des anti-avortement. L’un de leurs combats, sur la reconnaissance de la personnalité du fœtus, a été couronné de succès en 2022, dans l’Etat de Géorgie.

Quelles conséquences pour les femmes ?

L’imbroglio juridique du moment sème la confusion dans tout le pays. D’autant que la mifépristone est très utilisée, en tandem avec le misoprostol. Selon le Guttmacher Institute, en 2020, plus de la moitié des interruptions de grossesse l’ont été de façon médicamenteuse, dont 98 % ont été assurées avec le duo mifépristone-misoprostol. Face à la menace, certains Etats se mettent à constituer des stocks de pilules. « A ma demande, l’université du Massachusetts a accepté d’acheter environ 15.000 doses de mifépristone. C’est suffisant pour assurer une couverture pendant plus d’un an », a indiqué cette semaine Maura Healey, gouverneure démocrate du Massachusetts. « C’est la pagaille, mais nous nous adapterons, nous trouverons une solution », a, quant à elle, affirmé Tammi Kromenaker, directrice d’une clinique dans le Minnesota.

« Il est possible que cette pilule devienne plus difficile à obtenir et que son prix augmente. L’impact d’une interdiction d’utilisation de la mifépristone serait dévastateur, prédit notre experte, surtout pour les personnes qui habitent dans des comtés où il n’y a pas de fournisseurs de services d’avortement et qui dépendent de la poste pour l’accès à ces médicaments ». L’issue juridique à venir pourrait provoquer une onde de choc avec, entre autres, un boom des avortements illégaux. « Les IVG seront simplement effectuées en privé, sans supervision médicale et avec un risque accru pour la santé des femmes et leur bien-être physique et mental », a récemment prédit l’élue démocrate de Floride, Lindsay Cross. Un retour en arrière qui était inimaginable il y a encore quelques années outre-Atlantique.