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Une idylle franco-britannique sur le dos de Liz Truss et Boris Johnson

Obligés de s’entendre

Les deux dirigeants se sont retrouvés plus d’une heure seul à seul. Ils en sont sortis les meilleurs amis du monde, se donnant du “mon ami” et se serrant chaleureusement l’un contre l’autre. Nul doute qu’ils avaient beaucoup à se dire, tant ces deux “golden-boys” ont en commun : un âge proche (45 et 42 ans), un passé dans la finance, une politique économique libérale et un indéniable côté technocratique. Leurs échanges ont concerné l’immigration, sujet d’actualité du côté de Londres après la présentation mardi dernier à la Chambre des communes du projet de loi sur l’immigration illégale. L’entente sur une contribution britannique de 541 millions d’euros sur trois ans permettra notamment l’ouverture d’un nouveau centre de détention en France et le déploiement de cinq cents policiers supplémentaires sur les plages françaises.

Le Royaume-Uni et l’Union européenne semblent en passe de résoudre le casse-tête nord-irlandais crée par le Brexit

Le conflit ukrainien était bien évidemment l’autre sujet chaud. Les deux pays, seuls alliés européens membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et les seules puissances nucléaires de la région, collaborent depuis longtemps de manière très rapprochée en matière de défense. Malgré le choc engendré en septembre 2021 par l’Aukus, l’accord sur l’approvisionnement de sous-marins nucléaires américains à l’Australie, en rupture de l’accord signé auparavant avec la France, l’interopérabilité militaire et la coopération industrielle entre le Royaume-Uni et la France ne s’est pas arrêtée et sera accentuée. Avec notamment le développement de missiles et la construction d’une centrale nucléaire en Angleterre.

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”La faute à Boris Johnson !”

Ce premier sommet franco-britannique depuis 2018 ne pouvait être qu’un succès. Les deux dirigeants avaient trop à perdre à ne pas s’entendre tant leurs intérêts sont proches. Mais, contrairement à ce qu’Emmanuel Macron sous-entend, et dix jours plus tôt la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l’arrivée au pouvoir de Rishi Sunak n’est pas la raison de l’amélioration des relations bilatérales. Tout n’est en fait qu’une question de timing. Mais leur entente très cordiale sur cette ligne de communication s’explique simplement : il s’agit de charger Boris Johnson et l’éphémère Liz Truss de la dégradation des relations du Royaume-Uni avec ses voisins. Une lecture qui arrange tout le monde.

Le « party-gate », le scandale de trop pour Boris Johnson?

Ursula von der Leyen tenait à cacher le revirement de l’UE sur le protocole nord-irlandais. Il a fallu deux ans de visites en Irlande du Nord pour que les Européens prennent la mesure des dégâts commerciaux et politiques engendrés par leur application inflexible de ce même accord. Il n’était pourtant pas question pour la présidente de la Commission d’admettre avoir accepté un compromis qui répond à la plupart des demandes des négociateurs britanniques, même si elle enlève aussi une sacrée épine du pied des Européens. Pour ne pas affecter l’image d’adulte responsable et consciencieux de l’UE, il fallait donc faire reposer l’impossibilité d’une solution sur les mensonges et l’inconséquence quasi infantile de Boris Johnson et de Liz Truss. Et pourtant : quelle naïveté de croire qu’Ursula von der Leyen et l’UE n’auraient pas signé une résolution qui leur convienne en raison de la personnalité de leur interlocuteur. L’accord de Brexit signé en 2019 avec un BoJo déjà honni en est la preuve.

Boris Johnson veut faire anoblir son père, selon The Times

Toujours soucieux de se montrer sérieux et réfléchi, Emmanuel Macron voulait aussi faire oublier qu’il a lui aussi attiser les braises qui ont mené à la dégradation des relations franco-britanniques. Taper sur les “Froggies” est électoralement porteur en Angleterre, taper sur les “Roastbeefs” l’est également en France. Si Boris Johnson et Liz Truss n’avaient pas été en reste, Emmanuel Macron avait redoublé d’ardeur contre la perfide Albion et les “Brexiteurs menteurs” (sic) lors de l’année précédant l’élection présidentielle. Afin de gagner des votes, il était devenu du jour au lendemain le porte-parole et le protecteur de pêcheurs et de résidents du nord de la France qu’il avait jusqu’alors largement méprisés. L’argument anti-Truss tient pourtant d’autant moins que le sommet franco-britannique de ce vendredi a été décidé le 6 octobre avec… Liz Truss, alors que Rishi Sunak n’était pas membre du gouvernement.

Guerre en Ukraine : “Sans matériel, mes amis seront morts ou blessés demain”

Pour l’actuel chef du parti conservateur, cette communion d’intérêts est inespérée. Enterrer en deux semaines la hache de guerre avec ses deux plus proches voisins lui permet de se présenter comme un Premier ministre conservateur “efficace”, capable d’aboutir rapidement à des résultats concrets. Par la même occasion, il donne un sacré coup aux ambitions d’un Boris Johnson, qui rôde toujours à Westminster et envisage de récupérer la tête du parti conservateur avant ou après la prochaine élection générale, prévue l’an prochain. Et cela, personne en Europe ne le lui reprochera !