France

Inflation : Pourquoi la pauvreté augmente dans les zones rurales

Pas grand-chose dans le frigo, mais une belle vue sur la nature. Ces derniers mois, plusieurs associations caritatives alertent sur l’augmentation du nombre de personnes en situation de précarité. Les Restos du cœur en ont ainsi accueilli lors des trois derniers mois 22 % de plus qu’à la même période l’année dernière. Les banques alimentaires constataient aussi une hausse de 9 % de la demande d’aide alimentaire à la fin de l’année 2022, soit 200.000 personnes supplémentaires accueillies. Car l’inflation et l’augmentation des prix de l’énergie percutent violemment ceux qui s’en sortaient tout juste, les faisant basculer dans la précarité.

Et les campagnes ne sont pas épargnées par le phénomène, comme le constate Alexandre Pagès, sociologue spécialiste de la pauvreté en milieu rural et maître de conférences à l’université de Franche-Comté : « La pauvreté rurale s’étend du Nord à l’arrière-pays méditerranéen, en passant par la diagonale du vide (des Ardennes au Tarn-et-Garonne). Notamment parce que certains territoires se sont désindustrialisés et ont perdu de leur vitalité économique. Ils ne proposent plus suffisamment d’emplois, y compris saisonniers. » Le sociologue François-Xavier Merrien, qui a mené des études auprès des bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA) dans le Gers et en Bourgogne, l’observe aussi : « La pauvreté dans les villages s’accroît. D’autant que ces dernières années, encore plus après la crise du Covid-19, ils sont devenus le refuge des précaires qui n’arrivent plus à se loger dans les grandes villes. »

Leurs conditions de vie se sont durcies

Une pauvreté rurale qui revêt différents visages : « Des familles monoparentales, des retraités aux minuscules pensions, des personnes qui se sont retrouvées avec de petites ressources après une rupture, des agriculteurs, des aides à domicile qui gagnent très peu, des travailleurs précaires qui cumulent les contrats courts, des personnes en invalidité professionnelle… », énumère François-Xavier Merrien. « On constate aussi que la pauvreté rurale est reconductible. Les personnes issues de familles pauvres restent souvent dans leur village natal et cumulent les mêmes difficultés, » ajoute Alexandre Pagès. Et le fait d’être propriétaires ne constitue pas toujours une protection pour ceux qui n’ont de faibles revenus, car ils ont du mal à entretenir leur logement et n’arrivent pas à revendre leur bien, se retrouvant ainsi prisonniers de leur situation.

Des ruraux pour qui, on l’a dit, les conditions de vie se sont durcies ces derniers mois. « Cet hiver, ils ont du mal à se chauffer, car ils vivent souvent dans des passoires thermiques. Et ils ont des difficultés à remplir leur réservoir d’essence, alors même que l’usage de la voiture est indispensable là où ils vivent », souligne François-Xavier Merrien. D’où des arbitrages de plus en plus douloureux : « Ils doivent choisir entre différents postes de dépenses : payer le plein de la voiture ou la facture de fioul », indique Alexandre Pagès. La fermeture des commerces de proximité complique encore davantage leur quotidien, car ces ruraux dépensent parfois beaucoup d’argent pour se nourrir, faute de pouvoir accéder aux enseignes dont les prix sont les plus attractifs.

Une population qui n’accède pas toujours aux aides sociales

Facteur aggravant de cette pauvreté : le non-recours aux aides sociales. « Certaines personnes ne perçoivent aucune aide ou n’ont pas fait de demande de CMU, car elles n’ont pas d’ordinateur ou éprouvent de la gêne à demander un soutien », constate Catherine Luffroy, secrétaire générale de la fédération de l’Eure du Secours populaire. « Dans le Gers, on estime que 35 % des gens qui pourraient toucher le RSA n’y ont pas recours. Parce qu’ils ne connaissent pas leurs droits, que ce n’est pas dans leur mentalité d’être soutenus, ou que monter un dossier leur semble trop difficile », complète François-Xavier Merrien.

Les précaires ruraux se retrouvent bien souvent seuls face à leurs difficultés, constate aussi Patrice Douret, le président des Restos du cœur : « Il y a des zones blanches où les services publics ont presque disparu et où aucune association n’est présente. C’est là que l’effort est à faire ».

Des bus ou des camionnettes pour leur porter secours

Fort de ce constat, les Restos du cœur ont décidé d’aller vers celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se rendre dans une ville pour avoir accès à un centre de distribution alimentaire. « Nous avons 40 centres itinérants, avec l’objectif d’en ouvrir 30 de plus. Notre vraie difficulté, c’est de pouvoir les financer, car un camion coûte 50.000 euros et il faut une équipe d’une quinzaine de bénévoles pour le faire tourner », explique Patrice Douret. De son côté, le Secours populaire possède 43 solidaribus qui vont dans les campagnes, à la rencontre des personnes repérées par les services sociaux des mairies.

« Ce sont des libres-services alimentaires, où les bénéficiaires peuvent acquérir des biens de première nécessité une fois par semaine, moyennant une petite participation. On les aide aussi parfois à payer des frais médicaux ou des factures d’énergie, on leur propose un prêt d’ordinateur, on les aide à faire des dossiers administratifs… Nous sommes parfois la première porte qu’ils arrivent à ouvrir », souligne Catherine Luffroy.

Et plus ça va, plus le solidaribus qui sillonne dans l’Eure aide de personnes : en 2021, il allait à la rencontre de 6 familles ; aujourd’hui, c’est 70. « Dans les villages, on sait qu’on va aider ces familles pendant longtemps, déplore Catherine Luffroy. Car il y a peu de chance que leur situation s’arrange ».