France

Guerre en Ukraine : En multipliant les déplacements, Volodymyr Zelensky « mène tout de front », de l’Otan à la CPI

Les ailes de son avion sous le tapis du vent, Volodymyr Zelensky voyage, voyage. Après un triptyque Londres-Paris-Bruxelles en février, le président ukrainien s’est rendu en Finlande hier avant de décoller direction La Haye. Un autre déplacement, à Berlin la semaine prochaine, serait planifié. Bien loin d’une année 2022 lors de laquelle l’ancien acteur avait attendu dix mois de guerre avant de se rendre à Washington sous bonne garde.

Le timing de son déplacement, alors que les troupes ukrainiennes attendent le feu vert pour lancer une contre-offensive, ne manque pas d’interroger. Pourquoi Volodymyr Zelensky se met-il à multiplier les visites chez ses alliés ? Quel est son agenda diplomatique ? Faut-il y voir l’entrée dans une nouvelle phase du conflit, avec un président ukrainien moins chef de guerre au quotidien ? Alexandra Goujon*, maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Bourgogne, a répondu aux questions de 20 Minutes.

Pourquoi Volodymyr Zelensky se met-il à voyager chez ses alliés ?

Avant d’aller à Washington, Volodymyr Zelensky avait passé plus de dix mois sans sortir du territoire ukrainien. Et si, depuis, ses déplacements sont « assez importants » pour un président en guerre, selon Alexandra Goujon, l’année 2022 a en fait plutôt marqué une parenthèse dans son exercice de la diplomatie. « Il s’était beaucoup déplacé en 2021 », souligne la spécialiste de l’Ukraine, « il savait à quel point l’aide internationale est importante » alors que les tensions se renforçaient avec la Russie. A l’époque, le président ukrainien était bien connu, et ses déplacements passaient inaperçus dans la presse internationale.

Mais l’ancien acteur a « toujours eu une diplomatie active », « tous azimuts ». Ces déplacements chez ses alliés correspondent même « à ce qu’il faisait lors de ses interventions à distance », estime la chercheuse, quand Zelensky multipliait les visioconférences. Avec le même objectif, en montant d’un cran grâce à la présence physique : « éviter une lassitude des alliés, l’installation d’une « fatigue ukrainienne » » et « entretenir la coalition pro-ukrainienne ». Les mots d’ordre restent d’ailleurs les mêmes : « remercier et continuer à demander de l’aide », indique Alexandra Goujon, tout en incluant « une forme de diversification dans ses déplacements ».

Faut-il y voir l’entrée dans une nouvelle phase du conflit ?

Le voyage de Volodymyr Zelensky à Londres, Paris et Bruxelles date de près de trois mois. Depuis, la ligne de front n’a quasiment pas bougé et l’état-major ukrainien n’a eu qu’un mot à la bouche : la contre-offensive.  « Il y a un mois, il y avait un mètre de neige à Bakhmout », rappelle Alexandra Goujon. Il fallait aussi composer avec le dégel, synonyme de boue. C’est désormais une question de jours. Le déplacement de Volodymyr Zelensky n’est donc « pas forcément significatif des phases du conflit », estime-t-elle. Le moment n’est pas plus sûr et tranquille qu’avant, au vu des attaques de drones régulières. D’ailleurs, comme pour son déplacement à Paris, la visite actuelle est une surprise « uniquement pour des raisons de sécurité ».

Mais les circonstances n’exigent pas une présence du chef de l’Etat pour tout coordonner. « Tout ce qui relève des questions militaires se discute entre militaires », développe la chercheuse, indiquant que les états-majors alliés viennent eux aussi en Ukraine. A Volodymyr Zelensky de prendre le bâton de pèlerin pour continuer à demander de l’aide. « Il y a des besoins en munitions, et aussi en aide financière pour faire fonctionner l’école, la justice, l’Etat ukrainien », indique l’experte.

Volodymyr Zelensky prépare-t-il l’après-guerre avec ces déplacements ?

« L’après est une obsession occidentale, pas ukrainienne », tranche Alexandra Goujon. Sans plan de paix en vue, « la reconstruction des villes, la question de l’adhésion à l’UE et à l’Otan, c’est maintenant », avance-t-elle. A Kiev, « on mène tout de front ». D’ailleurs, la candidature pour l’Union européenne a été déposée après le début de la guerre et acceptée en juin. « Ils ont une feuille de route et veulent entrer en phase de négociation », développe la chercheuse, pointant le travail en cours sur la lutte contre la corruption.

La visite du président ukrainien à La Haye, ce jeudi, en est la parfaite illustration. « Il est à la Cour pénale internationale pour dire que la justice doit avancer, et ne pas attendre la fin de la guerre » pour créer un tribunal spécial, soutient l’universitaire. Quant à l’Otan, « l’Ukraine frappe à la porte depuis longtemps » et cherche à « rallier des pays à la cause ». La visite dans une Finlande qui vient d’adhérer n’est donc pas anodine.

*Alexandra Goujon est autrice de L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre, ed. Le Cavalier Bleu, 2023.