France

« Ecoanxiété », « mégabassine »… Les dictionnaires ont mis le paquet sur les mots écolos

Greenwashing : 26 points au Scrabble. Ecoanxiété : 21 points. Et n’en déplaise aux puristes, ces mots sont tout à fait valables, puisqu’ils figurent dans les nouvelles éditions du Robert et du Larousse. Aux côtés des jeunes « bader », « parkour », « crush » ou « instagrammable », et des numériques « miner » et « métavers », les deux dictionnaires de référence de la langue française ont cette année fait entrer dans leurs pages une flopée de mots liés à l’écologie et à l’environnement.

Dans le Larousse, 15 des 150 nouveaux mots sont liés aux « nouveaux risques et enjeux environnementaux ». Dans un échantillon fourni par le Robert, l’environnement représente neuf nouveaux mots et sens. Quels sont ces mots du champ de l’écologie qui entrent dans les dictionnaires ? Que dit ce choix de mots de notre société ? Qu’est-ce que l’entrée de ces mots peut changer dans le discours sur l’écologie ? 20 Minutes fait le point avec Michelle Lecolle, professeure de sciences du langage à l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle.

Quels sont les mots de l’écologie et de l’environnement qui entrent dans le dictionnaire ?

Dans la classe des petits nouveaux, seul « greenwashing » fait office d’élève en Erasmus. Et encore, l’anglicisme « déconseillé » renvoie directement vers le plus franchouillard « écoblanchiment ». A ses côtés, on retrouve « écopont » et « écoanxiété ». Michelle Lecolle, qui travaille à recenser les mots et expressions formés avec « vert » ou « durable », remarque que la plupart de ces nouveaux mots « sont des mots composés, soit dans la morphologie, soit avec une préfixation ». Il en va ainsi de « dette climatique », « mégabassine », « microplastique », « aquaponie » ou « biocombustible ».

On notera parmi eux le « réensauvagement », qui n’a rien à voir avec la théorie de l’extrême droite sur la délinquance dans la société. Il s’agit d’un « mode de protection de l’environnement consistant à rendre aux écosystèmes leur caractère naturel, sauvage ». Des lieux, « ressourcerie », « recyclerie », « bricothèque » et « sas à vélo », font aussi leur apparition. Le vélo est d’ailleurs à la mode avec « vélo-cargo » et « vélorution ». Dans le langage météo, les phénomènes marquants de 2022, « dôme de chaleur » et « goutte froide », font aussi leur entrée en tant que locutions supplémentaires, accompagnés du grand enjeu de l’hiver, la « sobriété énergétique ».

Pourquoi un tel choix ?

« Le dictionnaire constate a posteriori » l’usage d’un mot ou d’une expression, rappelle Michelle Lecolle. Avec la crise climatique qui s’aggrave, l’enchaînement des canicules l’été dernier, la sortie du dernier rapport du Giec et une prise de conscience plus aiguë dans la société des enjeux environnementaux, l’emploi de certains mots s’est largement répandu. Au point d’être « ancré dans une pratique », souligne la linguiste.

Les médias ont ainsi largement joué leur rôle dans la démocratisation de « mégabassine », avec la couverture des manifestations à Sainte-Soline et des sujets sur la problématique de la guerre de l’eau. Pareil pour le mot « écoanxiété », un terme qui s’est rapidement propagé au sein de la jeunesse post Covid-19. La vitesse avec laquelle certains mots se sont imposés ne manque d’ailleurs pas d’interroger Michelle Lecolle. « Il faut un certain recul pour qu’un mot entre dans le dictionnaire » en temps normal. Cette entrée importante d’une « thématique très ciblée » serait donc le révélateur d’un élément structurant de notre société, « dans l’air du temps ».

Est-ce que ça change quelque chose pour les discours écologistes ?

Parmi les entrées notables, Michelle Lecolle relève la « vélorution ». Un « jeu de mots » à l’origine, qui « relève plus du slogan », et a reçu une « onction de banalisation » du Larousse, analyse-t-elle. Rentrer dans le dico, ça veut donc dire perdre son sens politique ? Pas forcément, selon la linguiste, la preuve avec « mégabassine, un objet devenu symbolique » de la lutte écologiste. D’autres « mots de militants » reçoivent ainsi leurs lettres de noblesse et une forme de légitimité, comme la « dette climatique », et « entrent dans la société plus largement ».

Toutefois, ce n’est pas parce que le dictionnaire vient « sanctionner la stabilisation » d’un mot qu’il fait l’unanimité. Michelle Lecolle signale ainsi le Manuel pour dépolluer le débat public (Ed. Seuil, 256 pages), « livre critique sur les termes qui relèvent du greenwashing ». Notre experte soulève également la problématisation de « l’écoanxiété, que la militante Camille Etienne rejette » en préférant parler « de lucidité ou de vigilance ». Au sein même des sphères écologistes, des mots à la définition bien posée peuvent ainsi « devenir un passage obligé mais discuté ». Car le français demeure une langue bien vivante.