France

« Dégueulasse », « monstrueux »… Les services de garde à vue dans des « conditions indignes » en France ?

Il n’avait pas choisi ce lieu au hasard. Le 15 mars dernier, en visitant à l’est de Nice les écrous de la caserne Auvare, les cellules où sont enfermées les personnes gardées à vue, le bâtonnier Adrien Verrier savait qu’il y trouverait… des dysfonctionnements. Ce commissariat occupe depuis les années 1960 les locaux d’une ancienne caserne des Chasseurs alpins construite en 1870. Mais, sur place, le verdict dépasse ses prévisions : il dénonce des locaux « monstrueux », dignes de « cachots du Moyen Age ». Avec aucun kit d’hygiène, des couvertures en papier jamais changées et de la crasse.

Beaucoup de crasse même, selon l’avocat, qui se fait l’écho de « conditions d’hygiène déplorables ». Quelques jours plus tard, il saisit la justice. Un référé mesure utile est lancé devant le tribunal administratif de Nice pour obtenir du ministre de l’Intérieur la mise en conformité des cellules « avec les règles sanitaires ». La juridiction devrait tout prochainement statuer. Mardi a prori

En attendant, même si le ministère de l’Intérieur assure « qu’un budget est consacré chaque année pour des programmes de rénovation et d’entretien », le cas niçois ne serait pas isolé parmi les 646 commissariats en France, auxquels s’ajoutent d’autres locaux de certains services territoriaux.

« C’est toujours aussi dégueulasse »

En 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) inspectait « les conditions matérielles de garde à vue » dans 17 de ces services de police avec le même constat : « des conditions d’accueil indignes ». En octobre 2013, une équipe du CGLPL notait déjà que les écrous de la caserne Auvare étaient « anciens et inadaptés ». En janvier, des geôles de Rennes étaient également pointées du doigt. Et le « caractère récurrent des manquements relevés ainsi que l’absence d’amélioration de cette situation au cours des dix dernières années » poussait, il y a deux ans, cette autorité administrative indépendante à recommander la « mise en place d’une politique globale de réhabilitation des locaux ».

Depuis, si « ça s’est un tout petit peu amélioré dans certains cas, dans la grande majorité, c’est toujours aussi dégueulasse », tranche la contrôleuse générale, interrogée par 20 Minutes. Dominique Simonnot évoque même, dans certains endroits visités, des odeurs d’urine insoutenables. « Vous entrez là-dedans pour être placé en garde à vue et vous passez des heures dans un endroit immonde, poursuit-elle. Vous êtes forcément en état de vulnérabilité. Pourquoi ces gens-là sont traités avec autant de mépris de la personne humaine ? On ne peut pas s’empêcher de se demander si ce n’est pas voulu. »

A Nice, les installations de la caserne Auvare devraient de toute façon déménager dans un « hôtel des polices » flambant neuf, en 2025 si tout va bien. Mais les travaux sont urgents, selon le bâtonnier, pour garantir la justice. « Une garde à vue peut durer jusqu’à 96 heures. Et pour se défendre, il faut être dans de bonnes conditions. La question se pose : avoir face à eux une personne qui mouline peut arranger les enquêteurs, abonde Me Adrien Verrier. Personne ne parle de ces conditions dans lesquelles se passent très souvent ces procédures. Il y a une sorte de consensus autour de ça. Et il y a plusieurs explications, mais la plus plausible est que les libertés individuelles des personnes placées en garde à vue ne font pas partie des priorités ».

« Des progrès sont nécessaires », reconnaît Darmanin

Sollicité par 20 Minutes, l’Intérieur, dont dépendent ces lieux de privation de liberté, assure pourtant que des choses sont faites. « Ces dernières années, les normes ont été rehaussées concernant les locaux de garde à vue, prenant en compte les recommandations qui ont été faites, précise le ministère. Un budget est consacré chaque année pour des programmes de rénovation et d’entretien. »

En 2021, dans une réponse au précédent rapport du CGLPL, Gérald Darmanin contestait « fortement » l’affirmation « d’une supposée  »totale indignité des conditions d’accueil en garde à vue » ». « L’obligation de traiter avec dignité les personnes gardées à vue […] est rigoureusement respectée dans l’immense majorité des situations », assurait le ministre, tout en reconnaissant « que des progrès sont nécessaires pour mieux garantir le respect de la dignité des personnes dans le déroulement des gardes à vue. » Le ministère précisait déjà que « d’importants efforts sont consentis depuis plusieurs années pour améliorer la situation […] malgré la persistance de disparités territoriales ».

Dans le Sud-Est, 1,3 millions d'euros doivent être dépensés d'ici à 2024
Dans le Sud-Est, 1,3 millions d’euros doivent être dépensés d’ici à 2024 – Ministère de l’Intérieur

Un investissement de 15 millions en cinq ans

Selon un tableau d’investissement publié il y a deux ans et reprenant « les opérations réalisées ou prévues dans les locaux de garde à vue entre 2019 et 2024 », c’est l’Est de la France qui bénéficierait de la plus grosse enveloppe, à 6 millions d’euros sur un total de moins de 15 millions. Le Sud-Est devait, lui, bénéficier de 1,3 million sur la période, dont 260.000 euros seraient dépensés cette année, en 2023. Sollicité ces derniers jours, le ministère n’a pas redonné plus de précision à ce sujet.

Il n’était pas non plus présent à l’audience organisée il y a quelques jours à Nice. Aucun représentant n’avait fait le déplacement, pas même un avocat. Une absence remarquée et « regrettée » par la magistrate, chargée de statuer sur la demande du bâtonnier : faire des travaux dans le commissariat sous astreinte de 1.000 euros par jour. « La juridiction avait beaucoup de questions et sans doute qu’eux n’auraient pas eu beaucoup de réponses », a ironisé Me Adrien Verrier. « La date prévisionnelle de rendu de la décision est fixée au mardi 18 avril », avait alors indiqué le tribunal administratif.