France

Crèches : Violences, négligences… Que dit le rapport édifiant sur les conditions d’accueil des tout-petits ?

Il y a bientôt un an, le 22 juin dernier, la vie de la petite Lisa, 11 mois, s’arrêtait brutalement. Une heure à peine après avoir été déposée à la crèche par son père, la fillette a avalé de la soude caustique, un produit nettoyant extrêmement nocif. Selon les premiers éléments de l’enquête – toujours en cours d’instruction – elle aurait été forcée à ingérer le produit par une professionnelle qui a reconnu l’en avoir aspergée, excédée par ses pleurs. Un mois après cette affaire, et face à la multiplication de témoignages de maltraitance, le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combes, a diligenté une enquête sur les conditions d’accueil dans les structures pour les tout-petits. Et les résultats, publiés ce mardi, par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), sont édifiants.

L’étude, qui porte sur quelque 16.000 structures (crèches publiques, microcrèches, halte-garderie…), met en lumière une « qualité d’accueil particulièrement hétérogène » : des crèches « de grande qualité, portées par une réflexion pédagogique approfondie » cohabitent avec des « établissements de qualité très dégradée », notent les auteurs du rapport, n’hésitant pas à faire un parallèle avec les Ehpad. « Les faits remontés sont identiques à ceux que l’on constate dans tout accueil de personnes vulnérables et dépendantes : négligence du fait de contraintes de l’organisation qui priment les besoins de la personne accueillie, non-respect des rythmes individuels, dévalorisation, humiliation, forçage, violence verbale et physique… », insistent-ils.

2.000 témoignages de maltraitance

Pour parvenir à une telle conclusion, les enquêteurs se sont rendus dans 36 établissements publics ou privés et ont diffusé un questionnaire anonyme auquel ont répondu 5.275 directeurs, 12.545 salariés de crèches et 27.671 parents. Si certaines pratiques peuvent prêter à sourire – comme ces établissements qui se prétendent bilingue alors que personne ne parle un mot d’anglais et qui diffusent des enregistrements dans la langue de Shakespeare – la majorité des remontées font froid dans le dos. Un quart des répondants au questionnaire « professionnels » ont indiqué avoir déjà travaillé dans un établissement qu’ils considéraient comme maltraitant à l’égard des enfants. Certes, cela ne signifie pas qu’un quart des crèches ont un comportement répréhensible – ces remontées n’ont pas été vérifiées et un même établissement peut être visé plusieurs fois – mais ces éléments constituent, a minima, des signaux d’alerte. D’autant que quelque 2.000 témoignages allant en ce sens ont été recueillis.

« La directrice la forçait à manger à la faire vomir. » « Enfants attachés au radiateur sur une chaise. » « Forcer un enfant à manger en lui tenant la bouche. » « Tirer les cheveux à un enfant pour lui montrer ce que ça fait. » « S’asseoir sur un enfant pour qu’il reste dans son lit au sol. » « Coucher un enfant parce que la collègue ne le supporte plus. » La lecture des verbatims – plus d’une centaine sont retranscrits dans le rapport – est vertigineuse. Les auteurs notent que, paradoxalement, la question de la maltraitance dans ces établissements reste « impensée », tant par les parents que par nombre de responsables et de gestionnaires de structures. « Cette conviction repose sur le sentiment que le contrôle entre professionnels au sein des établissements suffit à prévenir les maltraitances : le fait qu’il s’agisse d’un univers presque entièrement féminin et orienté vers les bébés ne paraît pas non plus étranger à cette croyance. »

« Ne pas donner à boire, comme ça on change moins les couches »

« La maltraitance ne concerne pas uniquement des situations de violence mais également des faits de négligence, y compris de façon ponctuelle, précise le rapport. Ainsi, le manque de soin apporté aux enfants, du fait des contraintes qui pèsent sur le personnel et sur la structure, entre dans le champ de la maltraitance. » Là encore les exemples appuient les propos. Les témoignages d’enfants qui restent toute la journée avec la même couche, de nourrissons qui pleurent faute d’attention sont légion. Il y a également ces récits de tout-petits qu’on oublie dans le dortoir ou même dehors, de ce bébé « qu’on a oublié de nourrir une journée entière ». Dans certaines structures, ce manque de soin semble même institutionnalisé : une professionnelle raconte que dans sa structure la règle est de ne « pas donner à boire comme ça, on change moins les couches ».

Plusieurs éléments sont avancés pour expliquer cette situation, à commencer par la dégradation des conditions de travail dans le secteur. Selon l’entourage du ministre des Solidarités, il manque actuellement 10.000 professionnels. « C’est un cercle vicieux, explique-t-on. Plus la pénurie est forte, plus la pression sur les équipes est importante et plus il devient difficile de recruter. » Le niveau de formation et le taux d’encadrement actuellement en vigueur – cinq enfants par professionnel en-dessous de 1 an, 8 au-dessus – sont également pointés par les experts. « Une telle dérive peut être renforcée par des logiques de rentabilité qui semblent transformer l’activité en gestion de flux, voire limiter la réponse aux besoins de l’enfant dans des logiques économiques (pression pour limiter le nombre de couches ou de gants utilisés par jour, quantité insuffisante de l’alimentation…) », poursuivent les auteurs. 

Pour y remédier, l’Igas préconise un « changement culturel » et émet 38 recommandations allant de la formation, au financement des structures en passant par une refonte des circuits d’alerte. Le ministre des Solidarités a assuré, mardi, sur son compte Twitter, que « l’ensemble des recommandations » seraient prises en compte, notamment dans le cadre de la création d’un « service public de la petite enfance », promis par Emmanuel Macron.