France

Cocaïne : « Il arrive que des containers tombent d’un navire »… Mais d’où vient la drogue qui déferle sur nos côtes ?

Les saisies de cocaïne ont explosé en 2022 : 27,7 tonnes ont été interceptées l’année dernière en France, un chiffre multiplié par cinq en dix ans. « Il faut éviter que ce tsunami blanc n’atteigne nos côtes », a alerté Gabriel Attal lors d’une conférence de presse le 1er mars, aux côtés de ses collègues de la Justice et de l’Intérieur. Le ministre des Comptes publics, dont dépendent les douanes, ne croit pas si bien dire. Ces dernières semaines, plus de deux tonnes de drogue, emballée dans des paquets hermétiquement fermés, ont été découvertes sur différentes plages du Cotentin et de la Manche, à Réville, à Querqueville et à Fontenay-sur-Mer. Parfois fixés à des gilets de sauvetage, les ballots de cocaïne ont dérivé sous l’effet de la houle, avant de s’échouer sur le littoral normand.

Initialement menée par la Jirs de Rennes, l’enquête est désormais entre les mains du parquet de Paris et de sa Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Trois services de police et de gendarmerie ont été cosaisis : la section de recherche de Caen, la section de recherche maritime de Houilles, et l’Office anti-stupéfiants (Ofast) de Nanterre.

Acheminée par la mer

« Il y a plusieurs hypothèses », analyse pour 20 Minutes le général François Daoust, ancien directeur du pôle judiciaire de la gendarmerie et de l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale). La drogue peut avoir été jetée volontairement d’un bateau par l’équipage pour éviter un contrôle de la gendarmerie maritime ou des garde-côtes anglais. « Mais il arrive aussi que des containers tombent d’un navire », explique François Daoust. Les enquêteurs doivent d’abord « se rapprocher de la préfecture maritime afin de savoir quels bâtiments sont passés par là au cours de cette période, et si certains d’entre eux ont déclaré la perte d’un container lors du passage par la Manche ».

En 2022, plus de 75 % de la cocaïne saisie par les autorités (16,3 tonnes) avait été acheminée par la mer depuis l’Amérique du Sud, souvent après avoir transité par les Antilles ou la Guyane. Les bateaux qui transportent les containers, dans lesquels elle est dissimulée dans des cargaisons parfaitement légales, arrivent le plus souvent au port du Havre. « On a saisi là-bas l’an passé 10,4 tonnes de cocaïne, contre 3,9 en 2020 », indique à 20 Minutes le contrôleur général Christian de Rocquigny, adjoint à la cheffe de l’Ofast (Office anti stupéfiant). Le 19 février dernier, les douaniers du port ont encore mis la main sur 1,9 tonne de cocaïne.

« Chaque cartel a sa propre recette »

Les pays de production de cette substance « sont essentiellement la Colombie, et dans une moindre mesure le Pérou et la Bolivie. Le Brésil et le Mexique sont quant à eux des pays de transit », précise le policier. Il est possible que les trafiquants aient laissé des empreintes digitales ou des traces d’ADN sur les ballots découverts sur les plages normandes. En revanche, il y a peu de chance pour qu’ils soient fichés en France. « Il faudra donc passer par une coopération internationale » pour interroger les fichiers d’autres pays, estime le général Daoust.

Il ajoute que l’analyse de la drogue permettra aussi aux enquêteurs de connaître avec certitude son pays de production. « Chaque cartel a sa propre recette. Ils utilisent des produits chimiques qui n’ont pas les mêmes impuretés. En l’analysant, cela permet d’avoir une idée de son lieu de fabrication, voire de culture. »

Les enquêteurs tenteront également de déterminer vers quel pays les ballots étaient acheminés. « Si ça se trouve, la cocaïne n’était pas destinée à la France et devait arriver dans un autre port européen », souligne l’ancien patron du pôle judiciaire de la gendarmerie. En Europe, la cocaïne expédiée par les cartels sud-américains débarque essentiellement dans les ports de Rotterdam, aux Pays-Bas, et d’Anvers, en Belgique, qui sont gangrenés par la « Mocro-maffia » d’origine marocaine : 162 tonnes y ont été saisies en 2022.

« Des grands trafiquants »

En France, policiers et douaniers ont affaire à « des grands trafiquants » qui traitent parfois directement avec les producteurs. « Mais on n’a pas, pour l’instant, le phénomène [de mafia] qu’on observe en Belgique et aux Pays-Bas », observe Christian de Rocquigny. Il n’en reste que l’explosion des saisies observée après 2021 inquiète. « On ne sait pas si cela signifie que le phénomène augmente ou que les services sont meilleurs, un peu les deux sans doute. Ce qui compte pour nous, c’est de démanteler des organisations criminelles. »

Ce n’est pas la première fois que de la cocaïne arrive en très grande quantité sur le littoral français. Fin 2019, des ballots contenant au total 1,6 tonne de poudre blanche venant de Colombie s’étaient échoués, en plusieurs mois, sur les plages d’une large zone allant de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) à Camaret (Finistère). L’enquête n’avait pas permis d’identifier le bateau qui les transportait.