France

« Le problème, c’est la vitesse »… Développer le vélo à la campagne, mission impossible ?

Elle prend son vélo chaque matin depuis quatre ans pour aller travailler. Un petit trajet de quelques kilomètres sur les routes entourant le bourg du Faouët, à la frontière du Morbihan et du Finistère, qu’elle effectue avec le sourire. Après être tombée malade, Florence a décidé de ressortir le vélo qui traînait dans son garage. Un choix « pour la santé » qui s’est vite traduit économiquement. « Vu le prix de l’essence, j’ai vite compris l’intérêt ». Le problème de Florence, c’est qu’elle ne profite d’aucun aménagement sur son trajet. Contrairement aux grandes villes qui multiplient les équipements, les territoires ruraux n’ont pas beaucoup avancé. « Je roule sur la départementale, je n’ai pas le choix. Au début, je me sentais en danger quand un camion ou un tracteur me doublait. Je m’y suis un peu habituée ». La Bretonne reconnaît qu’elle a régulièrement des frayeurs et rêverait qu’un aménagement sécurisé soit réalisé. « Dans l’ensemble, les gens sont prudents, mais il y a toujours quelques imbéciles ».

Le témoignage de Florence est loin d’être un cas isolé. Tous ceux qui ont tenté l’expérience du vélo à la campagne savent qu’à tout moment, ils pourront être frôlés par un véhicule plus ou moins lourd circulant à 80 km/h ou 90 km/h. « Le gros problème du vélo à la campagne, c’est la vitesse, la différence est très importante. C’est pour ça qu’il faut des aménagements en site propre, isolés de la circulation », estime Michel Villain, président de l’association Libourne à vélo. Le département de la Gironde dans lequel il pédale chaque jour est pourtant l’un des territoires français les mieux dotés en piste cyclable. « Mais ce sont souvent pour les touristes, pas pour les habitants ». Lui rêverait que la bastide de Libourne soit reliée à la voisine de Fronsac, située à moins de 3 kilomètres. « Personne ne la prend à vélo car il n’y a rien d’aménagé pour être en sécurité. C’est trop dangereux ».

Les statistiques sont là pour le confirmer. En 2022, plus de 60 % des cyclistes tués circulaient hors agglomération, bien souvent sur des départementales. La différence de vitesse est LE principal facteur de cette mortalité. Cette question du vélo en milieu rural sera au cœur des débats du congrès de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) qui s’ouvre ce jeudi à Rennes. Le thème : « Le vélo, incontournable dans l’après voiture ». L’après voiture ? Mais allez l’expliquer aux habitants de la ruralité, ils vous riront au nez, vous expliquant qu’ils n’ont pas d’autre solution.

« C’est pour cela qu’il faut développer le vélo dans ces territoires. C’est même urgent car c’est là que le vélo est le plus pertinent, qu’il est le plus efficace, car il n’y a pas d’alternative. En ville, les gens ont accès aux transports en commun, ils ont le réflexe », estime Olivier Schneider, président de la FUB.

Son association réclame depuis des années à l’État qu’il s’engage dans le développement de territoires ruraux propices au vélo. « Ce que l’on demande, c’est de pouvoir tester des solutions dans des secteurs où l’on mette le paquet pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Le mode d’emploi des aménagements cyclables pour le rural, il reste à inventer ». Lors de son congrès, la FUB voudra montrer que le vélo peut se développer hors des villes, à condition de lui en donner les moyens. « Il faut des itinéraires sécurisés sur une voie séparée. Sinon, c’est inconfortable pour tout le monde, y compris pour les automobilistes qui doivent se ranger derrière avant de doubler ».

Problème : Les investissements sont conséquents

Le grand défi de ces aménagements, c’est qu’ils doivent être réalisés dans des territoires qui ne sont pas toujours liés, pas même par une intercommunalité. Ce jeudi, le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine présentera fièrement son projet d’aménagement entre La Mézière et La Chapelle-des-Fougeretz. Séparées de quelques kilomètres, les deux petites villes seront bientôt liées par une piste cyclable express. Montant de l’investissement : près de sept millions d’euros. « C’est un des freins au développement, car il faut beaucoup d’argent », admet Bernard Leroy.

Le président de la communauté d’agglomération de Seine Eure, près de Rouen, a réussi à faire voter la construction d’un réseau de 80 kilomètres de pistes cyclables destinés aux habitants de son territoire. « Mais il nous faudra dix ans et 2,5 millions d’euros par an pour y arriver ». Sa collectivité a aussi embauché une chargée de mission qui ne fait « que ça » depuis un an et demi. « On a contacté les entreprises pour savoir où habitent leurs salariés. On a recensé les trajets utiles, on a analysé pour voir ceux qui étaient faisables », poursuit le président. Dans ce territoire, 105.000 habitants habitent dans 60 communes. Des villes moyennes comme Louviers ou Val-de-Reuil, mais aussi des petits bourgs, qu’il est difficile de relier autrement qu’en voiture. « Notre ambition, c’est de relier les communes aux zones d’activité économique, d’offrir une alternative aux gens qui n’en ont pas ».

Des prêts de vélos pour essayer

Pour convaincre les habitants d’enfourcher une bicyclette, la collectivité a proposé à la location une centaine de vélos à assistance électrique pour des salariés. Seine Eure prend à sa charge la moitié du montant de l’abonnement, l’autre moitié étant payée par l’employeur « pour que ça ne coûte rien au salarié ». « Le frein chez nous, il était aussi physique car il faut souvent grimper vers les villages qui sont situés sur les plateaux. Mais avec le vélo électrique, tout a changé. Dès qu’on le teste, on se rend compte qu’on ne force pas ». Et c’est un homme de 72 ans qui le dit. Reste à offrir de beaux aménagements pour le tester en toute sécurité.