France

Bretagne : Très gourmande, l’industrie agroalimentaire compte sur ses eaux usées pour réduire sa consommation

C’est un bien précieux qui est désormais au cœur des batailles. Avec le réchauffement climatique, la question de l’eau suscite de nombreuses inquiétudes. Frappée par une sécheresse inédite l’été dernier, la Bretagne semble ainsi avoir découvert qu’elle n’était, elle aussi, pas à l’abri d’une pénurie. Face à ce risque, de nombreuses voix s’élèvent dans la région pour dénoncer l’impact de l’industrie agroalimentaire sur la ressource en eau. A Liffré, près de Rennes, le projet d’usine de viennoiseries surgelées porté par le groupe Bridor fait l’objet de vives contestations, les opposants dénonçant « sa consommation astronomique d’eau », de l’ordre de 200.000 m³ par an. Idem à Plouisy près de Guingamp (Côtes-d’Armor) où le groupe norvégien Smart Salmon envisage de construire une usine capable de produire 8.000 tonnes de saumon par an.

Poids lourd de l’économie régionale, l’agroalimentaire, qui emploie plus de 70.000 salariés en Bretagne, ne cache pas que ses activités sont très gourmandes. « On consomme beaucoup d’eau car il faut nettoyer régulièrement les installations pour des raisons sanitaires », souligne Nathalie Le Clézio, responsable environnement chez Entremont. Filiale de la coopérative Sodiaal, le fabricant de fromages engloutit sur certains de ses cinq sites bretons jusqu’à 2.000 m³ par jour, soit l’équivalent d’une ville de 13.000 habitants. Dans son usine géante de Lamballe (Côtes-d’Armor), la Cooperl, numéro un français du porc, consomme quant à elle 530.000 m³ par an.

Réduire, réemployer et recycler

Des quantités colossales d’eau que les industriels cherchent à réduire depuis quelques années. « On sait qu’on doit rendre nos entreprises plus sobres et faire mieux avec moins », indique Marie Kieffer, déléguée générale de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires (ABEA). Depuis fin 2019, ce lobby a mis sur pied un groupe de travail baptisé « Collectif eau propre » qui prône une approche 3R (réduire, réemployer et recycler). Omniprésente en Bretagne, l’industrie laitière réutilise par exemple l’eau issue du lait en substitution de l’eau potable pour des opérations de nettoyage en extérieur ou pour laver les camions. La Cooperl en fait également de même grâce à une station de régénération qui traite les eaux industrielles.

Des actions qui ont permis de réduire de quelques pourcents la consommation d’eau. « Mais on est à la limite de ce qui est faisable pour réduire », assure Vincent Videau, responsable de la gestion des risques industriels chez le géant laitier Laïta. La solution passe pour eux par le développement de la Reuse, une solution déjà en place dans plusieurs pays européens et qui permet de réutiliser les eaux usées traitées. A ce sujet, la réglementation française est pour l’heure très stricte pour les entreprises de l’agroalimentaire. « Nous ne pouvons utiliser que de l’eau potable dans le process alimentaire, pour nettoyer les lignes de production par exemple », précise Clothilde d’Argentré, cheffe de projets environnement au sein de l’ABEA.

Une économie de plusieurs millions de m3 d’eau

Autant de freins réglementaires qui sont en passe d’être levés. Dans son plan eau présenté la semaine dernière, Emmanuel Macron a en effet ouvert la voie à une meilleure utilisation et valorisation des eaux usées avec un objectif de 10 %, contre moins de 1 % de réutilisation aujourd’hui. « Soit 300 millions de m³, l’équivalent de la consommation de 3.500 bouteilles d’eau par Français et par an », a avancé le chef de l’État. Attendue de longue date, cette annonce a bien sûr été saluée par l’industrie agroalimentaire. « C’est une mesure de bon sens qui va nous permettre d’aller encore plus loin dans la réduction de nos consommations », souligne Marie Kieffer.

Selon une étude menée par l’ABEA auprès de 28 sites industriels en Bretagne, la levée des verrous réglementaires sur la Reuse devrait permettre d’économiser « plus de 2,5 millions de m³ d’eau potable chaque année, soit l’équivalent de 1.000 piscines olympiques ». Réunis au sein de l’Atla, les acteurs de la filière lait chiffrent eux l’économie à plus de 16 millions de m³ chaque année, incluant dans ce chiffre les 5 millions déjà réutilisés. Mais avant de se lancer, les industriels vont devoir attendre la publication du décret qui détaillera notamment tout le protocole de surveillance sanitaire. « Il va falloir laisser passer le temps administratif mais en tout cas les entreprises sont prêtes », assure Clothilde d’Argentré.