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Alpinisme : Benjamin Védrines savoure l’ascension « magique » et record de son premier 8.000

Souvenez-vous l’été de vos 18 ans, lorsque vous cherchiez à négocier avec vos parents un pass Interrail pour filer à la conquête de l’Europe de l’Est et, au hasard, découvrir le dément Sziget Festival à Budapest. Au même âge, Benjamin Védrines avait un tout autre délire : fuguer en solo pour découvrir le Népal. Comme un voyage initiatique d’un mois et demi, dès 2010, pour cet amoureux de la montagne ayant grandi entre le Vercors et les Hautes-Alpes. « C’est avec cette aventure au Népal que l’idée de l’ascension de l’Everest s’est vraiment forgée dans ma tête, raconte celui qui n’avait prévenu ses parents de son évasion qu’une fois arrivé à Katmandou. En me voyant à l’époque réussir des étapes de trek doublées avec plus de 10 heures de marche par jour, des Israéliens étaient persuadés qu’un jour, je gravirais l’Everest. »

Une prédiction de plus en plus envisageable pour l’alpiniste de 30 ans, guide de haute montagne diplômé depuis 2016. L’an passé, Benjamin Védrines s’est en effet offert au Pakistan le record de vitesse d’ascension du Broad Peak (8.047 m), sans bouteille d’oxygène. Seulement 7h28 depuis son camp de base situé à 4.900 m d’altitude lui ont été nécessaires, ce 19 juillet 2022. Le record vieux de 38 ans du Polonais Krzystof Wielicki (15h40) était tout simplement foudroyé, ce qui valait bien la réalisation du film Edge of reason (« à la limite de la raison »), actuellement dévoilé dans le cadre du festival Montagne en scène.

Qui n'a pas déjà réalisé un selfie en décollant en parapente d'une petite colline à 8.047 m d'altitude ?
Qui n’a pas déjà réalisé un selfie en décollant en parapente d’une petite colline à 8.047 m d’altitude ? – Benjamin Védrines

« C’était vraiment un feu d’artifice pour moi ! »

« Ce qui m’intéresse, c’est d’être novateur, confie l’intéressé. Là, pour pimenter la quête de mon premier 8.000, je voulais ajouter une dimension de performance. Et le jour J, je me suis senti flotter, en état de grâce. Toutes les souffrances de mes entraînements ont porté leurs fruits. » Benjamin Védrines avait bien préparé son exploit en optant pour une première ascension en deux jours, la semaine précédente, aux côtés de son ami Nicolas Jean. Et pour vraiment « pimenter » le tout, il s’est envolé en parapente après avoir rejoint le sommet en un temps record.

Je n’avais pas vraiment planifié ça mais j’avais vu avant de partir ce matin-là que les conditions aérologiques pourraient être adéquates. Je me suis donc imaginé comme un gamin, en train de décoller du Broad Peak. C’était vraiment un feu d’artifice pour moi ! J’ai savouré ce moment hyper émouvant, et cet enchaînement magique pourrait bien rester unique dans ma vie. »

Une euphorie qui se ressent bien dans Edge of reason, avant qu’on ne perçoive l’extrême opposé, neuf jours de tournage plus tard, toujours lors de son expédition au Pakistan. A peine reposé au camp de base, situé donc à quasiment 5.000 m (« ce qui use de l’énergie non-stop, même quand on regarde la télé »), il repart pour le mythique K2 (deuxième sommet du monde avec ses 8.611 m d’altitude). Celui qui avait ouvert une nouvelle voie avec Charles Dubouloz au Chamlang (7.319 m au Népal), un an plus tôt, a cette fois déchanté et a dû abandonner.

Une hypoxie sévère dans l’ascension du K2

« J’ai eu les yeux un peu plus gros que le ventre en voulant absolument rejoindre le sommet du K2 en un jour, glisse Benjamin Védrines. J’étais conscient de mon état de fatigue avancé et de la neige fraîche qui tombait en plus. On a tous en tête les deux ascensions de l’Everest enchaînées en moins de sept jours par Kilian Jornet (en 2017) mais c’est hyper rare et risqué sur le plan physiologique. Mon projet principal, c’était le Broad Peak et je n’avais pas du tout prévu de tenter le K2. Mais en arrivant, j’ai été séduit par cette montagne et je n’ai pas pu résister… »

Benjamin Védrines, ici en janvier 2023 lors d'une ascension autour de Briançon (Hautes-Alpes).
Benjamin Védrines, ici en janvier 2023 lors d’une ascension autour de Briançon (Hautes-Alpes). – Abdou Martin

Une audace qui a valu une sacrée frayeur au jeune alpiniste. « J’ai souffert d’une hypoxie sévère vers 8.400 m, confie-t-il. Autant je me souviens de très peu de choses à ce moment-là, autant quand je suis redescendu sous les 8.300 m, je n’avais plus de jus mais j’avais réactivé le mode on. J’étais pleinement conscient de tout. »

L’Everest « en style alpin » comme rêve ultime

Et notamment de la nécessité de rejoindre le camp de base, avant de mettre provisoirement en sommeil ses projets fous de 8.000 sans oxygène. Il y a dix jours, c’est sur la célèbre traversée des Alpes entre Chamonix et Zermatt (la Haute Route) que Benjamin Védrines a battu un nouveau record, cette fois en ski alpinisme aux côtés de Samuel Equy, avec 100 km et 8.300 mètres de dénivelé positif avalés en 14h54, sans ravitaillement, assistance ni repérage. L’athlète professionnel du Team North Face prend désormais avec philosophie son échec sur le K2.

Quelque part, si j’étais resté sur ma réussite du Broad Peak, j’aurais peut-être été trop confiant pour enchaîner de futurs projets. Là, ça m’a rappelé que même acclimaté, et après huit jours de repos, le corps peut être extrêmement faible. Et puis, dans une telle expédition, tu ne sais jamais vraiment si tu vas réussir à t’engager. Tu peux être amené à rester cloué au camp de base pendant trois semaines. Il n’y a parfois qu’un jour où toutes les planètes s’alignent et où il faut être prêt à plonger immédiatement dans l’inconnu. »

Ça ne veut pas dire que le Graal que constitue l’Everest n’est plus du tout d’actualité pour lui, loin de là. Depuis que « la flamme de l’alpinisme est née » en Benjamin Védrines, lorsqu’il a gravi sa première voie sauvage dans le massif des Ecrins à 15 ans, l’Everest (8.848 m) occupe une partie de ses rêves. Si le géant népalais compte environ 200 ascensions sans oxygène dans l’histoire, seulement trois l’ont conquis « en style alpin », c’est-à-dire en équipement minimaliste et sans emprunter de corde fixe. Autant dire que ces très rares performances auraient besoin d’être dépoussiérées, puisqu’elles remontent à 1980 avec l’Italien Reinhold Messner et 1986 avec le duo Erhard Loretan-Jean Troillet.

« Ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est le chemin de vie pour devenir un jour le quatrième humain à y parvenir en style alpin », conclut Benjamin Védrines. Et pourquoi pas, tant qu’à faire, marcher aussi sur les traces du regretté Jean-Marc Boivin, auteur en 1988 de la première descente historique en parapente depuis le toit du monde qu’est l’Everest.