France

A quoi s’engage l’enseignement privé pour accueillir plus de boursiers ?

C’est l’une des priorités que s’est fixées Pap Ndiaye depuis son arrivée Rue de Grenelle : améliorer la mixité sociale dans les établissements. Très attendu par les syndicats, ce plan mixité a finalement dégonflé au fil des mois. Après avoir été maintes fois reportées, des premières annonces ont été faites la semaine dernière pour le public, via une communication minimaliste envers les journalistes. Dans un simple communiqué et sans conférence de presse à l’appui, ils ont appris et que les recteurs avaient pour objectif d’accroître la mixité sociale dans les établissements publics « en réduisant les différences de recrutement social entre établissements de 20 % d’ici à 2027 ».

Ce mercredi, c’était au tour du privé, avec la signature d’un protocole sur la mixité scolaire et sociale entre le Secrétariat général de l’enseignement catholique (qui représente la majorité des établissements sous contrat) et le ministère de l’Education. Car c’est bien dans le privé sous contrat que le chantier est le plus colossal : car s’il est financé à 73 % par l’Etat, il n’accueille que 12 % de boursiers, contre presque 30 % dans le public. Là encore, le ministère de l’Education a dévoilé de manière très feutrée, via un dossier de presse envoyé, la feuille de route confiée à l’enseignement catholique.

Augmenter le taux de boursiers, mais sous conditions

Exit les quotas de boursiers imposés aux établissements privés et le rattachement de ces derniers à la carte scolaire. Philippe Delorme, le secrétaire général de l’enseignement catholique, Éric Ciotti, le président des Républicains et Gérard Larcher, le président du Sénat ayant agité le spectre d’une « guerre scolaire », la voilure du plan semble avoir été réduite. « C’est un protocole réaliste. On ne modifie pas la face du monde d’un coup de baguette magique », assure Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique à 20 Minutes.

« Nous nous engageons à doubler en cinq ans le nombre de boursiers dans les établissements à condition que ces derniers bénéficient des aides sociales qui sont octroyées aux élèves du public pour financer la cantine et le transport scolaire », explique Philippe Delorme. Car selon lui, le prix de la cantine (environ 1.000 euros par an) représente un obstacle pour les familles aux faibles revenus. Mais ces bonnes intentions pourraient ne pas avoir d’effets si les communes, des départements et les régions ne mettent pas la main à la poche. « Car il s’agit pour les collectivités d’un coût supplémentaire dans une période où les contraintes budgétaires sont fortes », estime le sociologue, Pierre Merle. « Par ailleurs, les collectivités locales dont l’orientation politique est à droite ou de centre-droit, souvent favorables au développement des établissements privés catholiques, augmenteront plus facilement leurs aides sociales. À l’inverse, celle dont l’orientation politique est plutôt à gauche seront réticentes, notamment parce qu’elles craindront que les établissements privés ne choisissent que les élèves boursiers d’un bon niveau scolaire au détriment des établissements publics au recrutement défavorisé », ajoute-t-il.

La modulation des frais d’inscription

Autre engagement du privé : demander aux établissements à pratiquer des tarifs différenciés en fonction des revenus des familles. « Actuellement, environ 30 % d’entre eux le font, mais je souhaiterais qu’une très large majorité le fasse », déclare Philippe Delorme. Le nombre d’établissements proposant des contributions modulées augmentera donc au minimum de 50 % en 5 ans, promet-il. Mais selon Pierre Merle, « cette modulation restera probablement limitée afin de ne pas trop augmenter les frais de scolarité des enfants de cadres qui sont le plus souvent de bons élèves et assurent les bons résultats scolaires et l’attractivité des établissements privés ».

Pour que les familles sachent à quoi s’attendre en matière de frais de scolarité, une base de données les détaillant, ainsi que précisant les aides accessibles, sera mise en place. « Elle sera disponible aux vacances de la Toussaint 2024, car ce n’est pas si facile de récupérer ces données pour 8.000 établissements », explique Philippe Delorme. Les établissements des grosses villes étant les moins mixtes, Philippe Delorme souhaiterait aussi développer des annexes dans les proches banlieues plus défavorisées : « Un établissement bordelais pourrait par exemple, ouvrir une annexe à Bègles. »

Les meilleurs élèves boursiers recrutés ?

Quant aux craintes des syndicats que le privé se contente de capter les meilleurs élèves boursiers, Philippe Delorme les balaie de la main : « C’est un procès d’intention très injuste alors que nous accueillons déjà beaucoup d’élèves en difficulté. » Pierre Merle est plus circonspect : « Il ne fait guère de doute que chaque établissement privé choisira les meilleurs élèves afin de maintenir un bon niveau de résultat au brevet et au baccalauréat. Il faut donc s’attendre, si l’objectif est atteint par les établissements catholiques, à une augmentation de la mixité sociale sans amélioration sensible de la mixité académique qui est un objectif aussi souhaitable ».

L’Enseignement catholique a promis aussi de développer les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), qui accueillent des élèves présentant des difficultés scolaires et les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) qui sont pour l’heure peu nombreuses dans le privé. Mais là encore, aucun objectif chiffré n’est indiqué. « Ces élèves spécifiques nécessitent des prises en charges complexes et coûteuses, ne participent pas à l’attractivité et aux bons résultats scolaires de l’enseignement privé et, pour cette raison, sont largement délaissés. Il ne faut pas préjuger de la bonne volonté de l’enseignement catholique, mais je crains que, dans ce domaine, leurs efforts demeurent limités » commente Pierre Merle.

Des réactions très mitigées

Sans surprise, ces annonces concernant le privé ont suscité des réactions déçues chez les syndicats. Dans un communiqué, le Sgen-CFDT, a qualifié ces mesures de « non contraignantes » et déclaré qu’elles « ne suffiront pas à accroître la diversité sociale des élèves ». De son côté,  le Comité national d’action laïque* dénonce la stratégie de l’enseignement catholique consistant « à s’engager dans un protocole non contraignant, fixant une trajectoire indicative, tout en exigeant davantage de moyens publics, notamment en termes de financement de la restauration scolaire. C’est une manière de laisser passer l’orage ».

Selon Pierre Merle, s’il avait voulu être plus ambitieux, Pap Ndiaye aurait pu décider de moduler les aides financières des établissements selon l’origine sociale des élèves scolarisés. « Pour les établissements publics comme pour les établissements privés, la dotation budgétaire par élève pourrait être augmentée lorsqu’il s’agit d’enfants de milieux populaires et réduite dans le cas contraire. Cette incitation financière pourrait amener les établissements privés à scolariser davantage des enfants d’origine moyenne et populaire. »