France

50 ans du périphérique : Ils l’aiment autant qu’ils le détestent, les Franciliens (et les autres) racontent leur périph

Avec le recul, cela ressemble à un clin d’œil ironique aux bouchons permanents de la bestiole. Il y a cinquante ans, Le 25 avril 1973, Pierre Messmer inaugurait en autocar le dernier tronçon du périphérique parisien entre la porte Dauphine et la porte d’Asnières, qui s’avère l’un des plus embouteillés du périph intérieur, à la pratique.

Certaines affirmations du Premier ministre de l’époque, qui se félicitait d’un ouvrage « dans l’ensemble bien intégré au paysage parisien », n’ont pas très bien vieilli, et pourtant, malgré ses défauts, ses nuisances sonores, la pollution qu’il engendre aux alentours, le périphérique parisien « et ses 36 kilomètres de circulation sans feu rouge », comme on le vendait alors, reste un compagnon aussi indispensable que contestable pour les Franciliens. 20 Minutes a choisi plusieurs témoins pour raconter « leur périph à eux ».

Jacques Lurati, Directeur de site à Rungis et co-auteur, avec Bernadette Charnay, du livre Périphérique mon amour

« Le périphérique, c’est un bout de vie pour tous ceux qui ont une voiture en région parisienne. Les gens y passent vingt, trente, quarante-cinq minutes, deux heures par jour parfois. Tous les matins, on voit une femme dans la voiture d’à-côté se remaquiller, on voit des gens somnoler, d’autres se disputer, et des centaines d’heures de conversations en mains libres. C’est un endroit moche, mais un endroit de vie, donc attachant, comme un collègue qu’on n’aime pas trop au début, mais qu’on est obligé de côtoyer. On finit par s’habituer à lui, à le connaître et par s’y attacher. Nous avons fait notre livre en 2011 et une bonne partie est déjà obsolète tant il se transforme en permanence. Les voitures ne sont plus les mêmes, les constructions de la porte des Lilas, le palais de justice de la porte de Clichy, la petite maison qui se situait entre Italie et Gentilly, qui a été détruite et remplacée par un immeuble… C’est aussi un petit bout d’histoire. »

Rachel, 21 ans, militante à l’association écologiste Dernière rénovation

« J’ai participé à un blocage du périphérique le 2 juillet 2022. Le périph, c’est un endroit où l’on est très visible si l’on veut bloquer. C’était très impressionnant d’être assise avec dix autres personnes sur cette route, on ne s’imagine pas être debout sur une autoroute. Je voyais des gens inquiets et en colère, mais notre action n’était pas contre ces gens en particulier, qui n’ont sûrement pas le choix, qui ont des obligations et pas le temps de s’arrêter pour réfléchir à ça. J’ai eu la sensation de stopper la routine parisienne, je voulais faire comprendre qu’on ne pouvait plus continuer comme cela, produire toujours plus et peu importe les conséquences. Comme les gens sur le périph, nous allons droit dans le mur à toute allure. Il nous reste très peu de temps pour changer les choses : hélas il ne suffit plus de se dire “arrêtons de prendre la voiture sur le périph trop souvent”, il faut que le gouvernement agisse ! Ils sont tellement à côté de la plaque, à faire plein de projets pour développer la voiture, au lieu de développer les transports en commun. »

Omar, un SDF de 27 ans qui squatte porte d’Aubervilliers, juste en dessous du périphérique

« Bien sûr ça me gêne, la pollution et le bruit, c’est tous les jours, 24 h/24, c’est comme un chien, si tu lui mets la musique contre l’oreille tous les jours, il devient agressif. Mais ici, je suis tranquille, personne ne vient me mettre dehors. Et puis, je ne fais pas de problème, je ne vole pas, alors on ne m’embête pas. Dans le centre de Paris, si tu dors à côté d’une boulangerie, on te demande de partir même pas au bout de deux minutes. Je suis Marocain, je suis venue en France quand j’étais mineur. C’était en 2010. J’ai toujours vécu dans la rue depuis. La rue, c’est pire que la drogue, j’ai trop l’habitude, je n’arrive pas à arrêter. Je dors parfois au foyer, le Sleep In [dans le 18e]. Sinon, le soir, je vais dans un parking. Ici, la police me laisse tranquille, et les gens sont ouverts, ils viennent m’aider. » Effectivement, en à peine une heure, on croise à deux reprises des personnes venues apporter aux SDF du jardin Anaïs-Nin des vêtements ou de la nourriture. Plus loin, une distribution spontanée de colis alimentaires est organisée par un groupe d’adolescents.

De nombreux migrants SDF vivent le long du périphérique dans l'Est parisien.
De nombreux migrants SDF vivent le long du périphérique dans l’Est parisien. – PHILIPPE LOPEZ

Fabien, 47 ans, chauffeur de poids lourds

« Le périphérique, cela fait presque quinze ans que je le pratique. Tous les soirs, je pars de Bretagne pour aller livrer de la marchandise à côté de Roissy. Pour moi, c’est une sorte de monstre tentaculaire. Surtout, c’est de la vie, de l’animation. Je ne roule que de nuit, et en grande majorité sur l’autoroute, donc c’est plutôt tranquille. Et je suis toujours surpris de voir le monde qu’il y a entre 2 heures et 6 heures du matin sur le périphérique, il y a toujours un peu de vie, de l’animation, des lumières. Surtout, je longe une partie de la capitale, je n’y suis jamais allé, à part une fois quand j’étais petit. Le périphérique est comme une frontière que je ne peux pas dépasser, ça crée un mystère autour de Paris. »

Sara 23 ans, employée dans une station-service à proximité du périphérique sud

« Le périph, c’est très ambigu. Quand j’étais petite, c’était plutôt pour les vacances dans le sud de la France. Je suis de proche banlieue, et on ne le prenait jamais pour aller à l’école ou pour venir à Paris. Donc, quand on prenait cette grande route qui tourne tout le temps, c’est qu’on partait en voyage avec mes parents. C’est quelque chose que je retrouve aujourd’hui, parce que beaucoup de nos clients, surtout le vendredi après-midi, viennent faire un plein avant de partir en week-end. Donc je revis un peu cela à travers eux. Mais de l’autre, c’est aussi un véritable enfer. Du bruit tout le temps, la pollution, et puis il n’y a pas de vie autour. Ce ne sont que des grands bâtiments et des zones industrielles. Mais je sais que, dès que je vais repartir en vacances, je vais devoir le reprendre et ce sera comme quand j’étais enfant. C’est une sorte de relation d’amour/haine. »

Ali, chauffeur VTC originaire du Val-de-Marne, 51 ans

« J’ai beaucoup de collègues qui refusent les courses qui les obligent à emprunter le périph, mais pas moi. Je considère que cela fait partie du métier. Et puis je me mets à la place du client qui a besoin d’aller d’un point A à un point B [Ali, qui habite le Val-de-Marne, emprunte le périphérique plusieurs fois par jour quand il transporte des clients]. En réalité, quand ça roule bien, il n’y a rien de mieux. Mais c’est sûr que, quand c’est bouché, cela fait mal au dos, et au portefeuille. J’ai choisi de décaler mes horaires [Ali sort de chez lui à 10h30, jusqu’à 21 heures]. Comme cela, je ne me retrouve dans les embouteillages que le soir, entre 16 heures et 20 heures, et j’évite ceux du matin. Quand on est coincé dans les bouchons du périphérique, dès le matin 8 heures, et que cela recommence le soir, cela devient très pénible. On est facilement stressé et énervé. »

Antoine Perez-Munoz, chef du service accompagnement des acteurs chez Bruitparif

« Aujourd’hui, le périphérique fait partie de la vie des Parisiens, les riverains qui vivent à proximité ont une relation ambivalente au bruit qu’il génère : soit ils l’exècrent et cherchent à le fuir à tout prix, soit ils l’intègrent dans leur quotidien de façon souvent non consciente, car ce bruit de fond permanent génère des troubles impactants. La lutte contre le bruit se fait par des actions de court et de long terme, comme le couvrir ou l’enterrer sur certaines portions, mettre en place la ZFE qui permettra d’alléger la charge sonore, construire des écrans antibruit, renforcer l’isolation des logements. C’est aussi le cas pour ceux qui travaillent à proximité, comme nous chez Bruitparif, évidemment, mais on ne subit pas la spécificité de ce grand axe urbain, le bruit de nuit. Imaginer que le périph va disparaître ? Le jour où on arrivera à le transformer en axe urbain plus lambda, ça pourrait être bien de changer son nom, pour lui enlever son étiquette. »