Belgique

Vanessa Matz: « Ces histoires de mauvaise communication, cela m’a rappelé les attentats de 2016, mais cela m’a fait surtout penser à l’affaire Dutroux »

Je pense qu’à quelques mois des élections, c’est une hérésie de vouloir mettre en place une commission d’enquête parlementaire qui dure 12 à 18 mois, voire deux ans. Il n’y a pas d’intérêt dans ce dossier où les dysfonctionnements sont surtout liés à des problèmes structurels, contrairement à ce que certains voudraient nous laisser penser. Je pense donc qu’à l’entame d’une législature nouvelle, il sera plutôt utile de mettre en place une commission spéciale pour voir les réformes qui s’imposent tant pour la justice que pour la police. La justice est le parent pauvre de la politique, et la police est sous-investie depuis quelques années. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la mise en place d’une commission d’enquête implique que des parlementaires s’immiscent dans le fonctionnement de la justice, ce qui est contraire à la séparation des pouvoirs. Je m’étonne que Monsieur Uyttendaele n’y ait pas pensé.

« On peut imaginer que Van Quickenborne a démissionné par anticipation, sachant que d’autres couacs pourraient être révélés »

Que préconisez-vous, alors ?

Dans l’immédiat, il est plus intéressant de songer à une commission de suivi des recommandations de la commission des attentats de mars 2016. Au sein de mon groupe, nous le demandons depuis deux ans, mais cela nous a été refusé. Aujourd’hui, la demande semble être plus audible auprès de l’ensemble des députés. Nous ne voulions pourtant pas faire du show en exigeant une telle chose, mais soit.

Estimez-vous que certaines des recommandations de la commission attentats sont restées au placard ?

Certains disaient que tout est mis en œuvre, d’autres – notamment dans la majorité – disent que 30 % des recommandations ont été oubliées. En tout cas, ce que j’estime fondamental – et cela s’est encore vu dans le dossier Lassoued qui nous préoccupe aujourd’hui -, c’est la question de l’échange d’informations entre les services de sécurité. Entre ceux qui savent quelque chose mais ne peuvent agir, et ceux qui ne disent rien car ils pensent que d’autres ne peuvent pas intervenir, c’est un méli-mélo qui ne peut plus se répéter. Ces histoires de mauvaise communication, cela m’a rappelé les attentats de 2016 et à ce qui s’est passé autour de la mort du policier Thomas Montjoie à Schaerbeek. Cela m’a fait surtout penser à l’affaire Dutroux. Est-ce que l’échange optimal d’informations aurait pu éviter tout cela ? Personne ne peut l’affirmer à 100 %. Mais en tout cas, nous aurions mis plus de chances de notre côté pour éviter de tels drames.

Pointez-vous des responsables dans la chaîne d’informations pour la gestion du dossier d’Abdesalem Lassoued ?

On a toujours les mêmes scénarios : celui d’un émiettement des responsabilités. Chacun, et on l’a vu dans ces quatorze heures de commissions à la Chambre, est venu dire : ‘Voilà ce qui s’est passé dans mes services. Il y a peut-être eu un tout petit truc, un oubli, mais c’est tout, ça n’est pas une faute‘. Dans les faits, on constate que c’est tout le système qui dysfonctionne. Moi, je ne viens pas au Parlement pour réclamer la démission de quiconque. J’y viens pour entendre la vérité. Et nous n’avons pas eu toutes les informations que nous sommes en droit d’obtenir.

Justement, certains députés ont réclamé la démission de la ministre de l’Intérieur parce qu’elle n’aurait pas tout dit sur le contenu de la Red Notice. On parle même de “mensonge”. N’est-ce pas un élément qui doit pousser à la démission ?

Il est vrai que nous avons eu l’occasion de voir que, contrairement à ce qui a été avancé par la ministre de l’Intérieur, la Red Notice sur la demande d’extradition de Lassoued ne contenait pas que l’évasion comme seul élément. Est-ce un mensonge ? Un arrangement de la vérité ? Une contre-vérité ? Je ne sais pas. Je trouve que cela n’a pas de sens de ne pas tout dire. Je ne dis pas que Madame Verlinden doit démissionner, mais personne n’en sort grandi. Les victimes méritent mieux que cela. Sur cette demande d’extradition, le plus choquant fut, selon moi, le nouveau ministre de la Justice. J’ai été abasourdie lorsqu’il a dit que le parquet de Bruxelles ne souffre pas de manques de moyens.

La ministre de l’Intérieur défend la police, justifie sa gestion du dossier Lassoued et sauve son poste

Le ministre de la Justice n’a-t-il pas raison de dire que la faute commise au parquet de Bruxelles n’est pas liée aux manques de moyens, mais à une question d’organisation ?

Certainement, cet argument peut s’entendre. Mais dans sa déclaration, le ministre dit que, de façon globale, le parquet ne manque pas de moyens, et ça, c’est inaudible. Pour que le cadre de magistrats soit complet dans ce parquet, il faut 119 personnes. Or il n’y a que 95 personnes qui le remplissent aujourd’hui et, de façon effective, ils ne sont que 82 personnes. Ces chiffres, le ministre de la Justice lui-même les a annoncés. Donc 82 personnes sur 119, c’est tout sauf un parquet avec des moyens. On annonce aujourd’hui l’arrivée de cinq magistrats supplémentaires, mais j’ai posé la question : et ça sera bien cinq en plus et c’est tout. Ce chiffre est ridicule au regard de la situation à Bruxelles.

La suite de notre entretien avec Vanessa Matz: « Quand j’entends le MR dire qu’il faut des moyens pour la police et la justice, cela me laisse perplexe »