Belgique

Sophie Rohonyi (Défi) : “A gauche, il y a un silence assourdissant à l’égard du féminicide de masse du Hamas”

Sur les réseaux sociaux, vous avez dénoncé le “naufrage de la gauche” sur la question du Hamas. La formule est forte…

Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Le PTB assume clairement son refus de qualifier le Hamas de terroriste et son refus de reconnaître à Israël le droit de se défendre face à une organisation qui veut la destruction d’un État démocratique et l’éradication de tout un peuple. C’est une position extrême, intenable. À côté de cela, je constate le double discours des autres partis. Les écolos et le PS condamnent l’attaque du Hamas mais ne sont pas prêts à voir la réalité en face par rapport aux évènements du 7 octobre.

Zakia Khattabi (Ecolo), ministre fédérale du Climat, a refusé de considérer clairement le Hamas comme une organisation terroriste en expliquant qu’elle ne connaissait pas la portée juridique du mot “terroriste”. Un faux-fuyant, selon vous ?

Effectivement. Je vois mal Madame Khattabi, pour laquelle j’ai beaucoup de respect, ne pas se préparer à “La” question que tous les journalistes adressaient aux politiques à ce moment-là. Une question parfaitement légitime, d’ailleurs. L’Union européenne a classé le Hamas comme organisation terroriste il y a vingt ans et elle ne pouvait pas l’ignorer vu son expérience et l’équipe qui l’entoure.

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Comment expliquez-vous ce positionnement de la part de la gauche de l’échiquier politique ? Est-ce de la stratégie électorale ?

À nouveau, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Simone Susskind (ancienne parlementaire PS et ancienne responsable du Centre communautaire laïc juif, NdlR), une femme de gauche qui a une vision universaliste des droits humains, s’est exprimée de manière très claire par rapport au Hamas et à la montée actuelle de l’antisémitisme. Il y a un amalgame de plus en plus important au sein de notre population entre le gouvernement israélien, qui est un gouvernement d’extrême droite, et la communauté juive. Certains commencent à tenir la communauté juive comme responsable de ce qu’il se passe à Gaza. C’est évidemment totalement faux : la communauté juive est elle-même victime de cette guerre dont elle ne voulait pas. On ne doit pas tomber dans le piège de devoir choisir un camp plutôt qu’un autre, mais c’est la voie la plus compliquée. Le seul camp à défendre est celui du respect des droits humains – que l’on soit Israélien ou Gazaoui, juif ou musulman – et du droit international.

guillement

Certains commencent à tenir la communauté juive comme responsable de ce qu’il se passe à Gaza. C’est evidemment totalement faux : la commauté juive est elle-même victime de cette guerre dont elle ne voulait pas.« 

Mais justement, pourquoi de nombreuses personnes de gauche n’arrivent pas à franchir ce pas ?

Ce qui a posé problème pour la gauche, c’est le fait que l’attaque a été perpétrée en Israël, un État dont la légitimité pose problème encore aujourd’hui à certains. Je suis sûre que si cette attaque avait été commise dans un autre État démocratique, la condamnation aurait été immédiate et unanime.

Y a-t-il de l’antisémitisme de la part des élus de gauche ? En France, à l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, patron de La France insoumise (LFI), manie les codes de l’antisémitisme.

Je ne parlerais pas d’antisémitisme de la part des élus de gauche. Mais il y a un problème avec le PTB à l’égard de la reconnaissance de la légitimité et de l’existence même de l’État d’Israël. On n’entend jamais le PTB sur la révolution des femmes iraniennes, par exemple. Ce parti se fait le grand défenseur des droits humains mais il ne se positionne que sur la question israélo-palestinienne ! Le PTB alimente l’idée que l’État d’Israël n’a pas à exister, qu’il s’agit d’un régime sioniste et qu’il faut aider le Hamas qui fait partie d’un axe de la “résistance”.

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Le PTB alimente l’idée que l’Etat d’Israël n’a pas à exister et qu’il s’agit d’un régime sioniste, qu’il faut aider le Hamas qui fait partie d’un axe de la résistance.« 

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Au niveau du parlement fédéral, suite au refus de la Chambre, le MR a annoncé qu’il allait organiser la projection de la vidéo israélienne sur les actes barbares du 7 octobre. Est-ce que vous y assisterez malgré le fait que vous êtes d’un autre parti ?

Je n’ai pas le choix, c’est le devoir de tout élu d’y assister. Chez Défi, quand on a appris par voie de presse que la conférence des présidents refusait le visionnage, on est tombé des nues. Pourquoi ce qui est possible au Parlement européen et à l’Assemblée nationale française n’est pas possible ici ? Personne ne veut voir ces images, on sait que c’est atroce. Mais on ne doit pas infantiliser les députés. Ces massacres sont le point de départ de cette guerre et ces images sont d’une barbarie que l’on n’avait plus vue depuis la Shoah. À côté de cela, le MR fait preuve d’une hypocrisie incroyable car, au niveau de la Chambre, ce parti n’a pas du tout insisté pour que la vidéo soit projetée : le chef de groupe du MR, Benoît Piedbœuf, a même justifié le refus de la projection car cela aurait “entraîné un déséquilibre dans la cohésion sociale”… Donc, il y a le MR des médias qui dit qu’il faut voir la vidéo et le vrai MR qui veut éviter de soi-disant tensions…

Certains remettent en cause la réalité des attaques terroristes du 7 octobre. C’est, par exemple, le cas du député bruxellois Fouad Ahidar (Vooruit).

On sent en effet que, dans la population et au niveau politique, il y a une forme de négationnisme qui monte à l’égard de l’attaque du Hamas du 7 octobre.

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On sent en outre que, dans la population et au niveau politique, il y a une forme de négationnisme qui monte à l’égard de l’attaque du Hamas du 7 octobre.« 

Les massacres perpétrés par Hamas en Israël ont été accompagnés du viol des femmes. Cette dimension atroce des pogroms est assez peu commentée, bizarrement…

Oui, et cela me dérange beaucoup. À gauche, la condition des femmes est souvent mise en avant. La gauche a permis énormément d’avancées en la matière. Mais, aujourd’hui, à gauche, on entend un silence assourdissant à l’égard de ce féminicide de masse perpétré par le Hamas. Des femmes ont été tuées parce qu’elles étaient juives et parce qu’elles étaient femmes. Elles ont été violées, mutilés, on leur a uriné dessus, des otages ont été exhibées nues… Elles ont été séparées de leurs enfants, ce qui est aussi une violence faite aux femmes. Je lance un appel humaniste, non-politique, aux féministes : si on se revendique féministe, on doit reconnaître que ces femmes ont été attaquées et tuées dans une violence extrême parce qu’elles étaient des femmes.

La situation des femmes dans la bande de Gaza est également très inquiétante…

En parallèle, on doit aussi tenir compte de ce que vivent les femmes à Gaza. En particulier, les femmes enceintes n’ont pas droit aux soins et cela compromet leur grossesse, met leur vie en danger. Énormément d’enfants ont été tués dans les bombardements. Les femmes à Gaza sont doublement victimes : victimes de la guerre actuelle et victimes du radicalisme religieux et politique (du Hamas, NdlR). Les femmes sont toujours les premières cibles du radicalisme religieux qui veut les déshumaniser, les salir. Les femmes afghanes et iraniennes sont bien placées pour le savoir. Elles représentent la vie, la liberté, et cela va aux antipodes d’une société totalitaire religieuse. La situation au Congo est également dramatique. Depuis 30 ans, le docteur Mukwege dit que les femmes et leur corps sont devenus un champ de bataille. Elles sont mutilées et utilisées comme esclaves sexuelles.

guillement

Je lance un appel humaniste, non-politique, aux féministes : si on se revendique féministe, on doit reconnaître que ces femmes ont été attaquées et tuées dans une violence extrême parce qu’elles étaient des femmes.« 

Le député Samuel Cogolati (Ecolo) parle, citant des experts, d’un “génocide en cours” à Gaza. Peut-on en effet parler de génocide ?

La définition de génocide est quand même très stricte. Il faut viser l’éradication d’une population entière en raison de sa nationalité, de son ethnie ou de sa religion. Je parle de féminicide de masse en Israël car ces femmes ont été visées par une organisation terroriste et islamiste parce qu’elles étaient juives et parce qu’elles étaient femmes. L’attaque du 7 octobre était une entreprise génocidaire. On voulait tuer du Juif parce que c’était des juifs. À Gaza, l’intention n’est pas de tuer des musulmans ou des Arabes parce qu’ils sont musulmans ou arabes.

On ne peut pas exclure qu’il y ait une volonté de certains militaires de se venger du 7 octobre, à Gaza…

Alors il faudra les juger et ce seront des criminels de guerre. Le problème est que ce gouvernement israélien est extrêmement à droite. Certains veulent respecter le droit international, mais d’autres poussent à la surenchère et ne réfléchissent pas aux dégâts collatéraux qu’ils auraient pu éviter. Mais c’est une question extrêmement compliquée car le Hamas se sert des Gazaouis comme de boucliers humains. Israël doit se défendre parce que s’il ne le fait pas, son état disparaît. Israël a le droit de riposter mais la fin ne justifie pas les moyens. Et Israël doit respecter le droit international, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

”On a envie de rester dans la majorité bruxelloise et de monter dans une majorité fédérale”

Votre parti, Défi, n’a pas encore communiqué sur ses listes électorales bruxelloises.

Si je le savais (elle rit). J’aimerais bien être fixé, moi aussi, vous savez. Mais je serai sur les listes fédérales.

Mais vous ignorez si vous serez première ou deuxième ?

J’aimerais que le choix le plus naturel se concrétise, à savoir notre tandem avec François De Smet, qui est complémentaire et a fait ses preuves. Notre travail est reconnu, même de nos adversaires. La difficulté se situe au niveau de la liste régionale bruxelloise. Pas parce qu’on n’a pas de candidats. Mais parce qu’on a trop de bons candidats.

Dont François De Smet, que certains verraient bien tête de liste à la Région ?

Ce n’est pas tranché, le choix naturel est que François soit au Fédéral, mais on a un enjeu clé au niveau bruxellois pour rester dans la majorité où nous apportons énormément. Nous avons obtenu des résultats avec Didier Gosuin, pérennisés par Bernard Clerfayt, sur la diminution du chômage des jeunes. Les partenaires peuvent évoluer mais on a envie de rester dans la majorité bruxelloise. Et, si on le peut, monter dans une majorité fédérale, ce qui n’est pas du tout impossible. La formation de la coalition sera extrêmement difficile. On l’a vu avec la formation de la Vivaldi, avec 2,3,4 députés, on peut faire la différence pour monter dans un gouvernement. Un plus petit parti, comme le CD&V, peut obtenir énormément dans l’accord de gouvernement, en étant la clé de sa formation. Voter Défi au fédéral n’est pas un vote inutile.