Belgique

Mort troublante de Natacha de Crombrughe au Pérou : “Je n’exclus toujours pas le meurtre, l’enquête a été classée trop tôt”, confie son papa

Natacha de Crombrugghe
Natacha de Crombrugghe ©D.R.

Ces mots ont été posés par Sabine de Crombrugghe (Verhelst de son nom de jeune fille). Gravés dans le journal de voyage que Natacha tenait à jour et retrouvé après sa disparition.

Le drame a transpercé le cœur de tous les Belges. Une jeune femme de Linkebeek dégoulinante de vie, souriante jusqu’à l’éperdu, à la vie sociale prolifique, qui disparaît en pleine quête d’aventure et de reconnexion avec le réel que seule la nature âpre et pure peut permettre alors que la vie réclame des choix. Des parents effrayants de noblesse et de courage, confrontés sur place durant des mois à un univers kafkaïen les poussant à mener eux-mêmes l’enquête en accostant une population villageoise tremblotant à la simple idée de subir des représailles.

Les parents de Natacha de Crombrughe se souviennent : “Au Pérou, il y a mille disparitions de femmes par mois. Pour la justice locale, il fallait que notre dossier soit considéré”

Deux ans. Bientôt deux ans déjà que la Belge Natacha de Crombrugghe a laissé sa vie lors d’un trek au Pérou, dans le canyon du Colca. Cette jeune femme de 28 ans croquait la vie à pleines dents. Son corps sans vie a été découvert par des pêcheurs. “Retrouver le corps de Natacha après huit mois de recherches épuisantes et surtout angoissantes a agi comme une délivrance, une sorte de soulagement” pour ses parents et ses proches. Une délivrance partielle, à tout le moins…. La fin de Natacha génère toujours sa part d’ombres…

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Eric et Sabine de Crombrughe à la recherche de leur fille dans le Colca. ©DR

Après ses études de droit et avoir travaillé durant quatre ans pour un groupe d’assurances, Natacha est partie en Amérique latine. Pour réfléchir à ce qu’elle souhaitait réaliser de sa vie. Le 1er janvier 2022, Natacha s’est donc envolée pour le Pérou, avant de disparaître le 24 janvier à Cabanaconde, où elle devait partir pour un trek dans le canyon de Colca.

Ses parents, Sabine et Eric, ont remué ciel et terre pour la localiser, se rendant sur place pour activer les recherches. Jusqu’au bout, ils ont gardé l’espoir de retrouver Natacha vivante. “Même si, au fil des mois, cet espoir devenait de plus en plus petit… Tant que rien ne prouvait son décès, elle pouvait être vivante et avoir besoin d’aide. Nous ne pouvions pas l’abandonner. Au Pérou, il y a mille disparitions de femmes par mois. Pour la justice locale, il fallait que notre dossier soit considéré. J’ai manifesté avec d’autres femmes. L’appui de l’ambassade a été déterminant aussi”, nous témoigne Sabine.

Natacha est morte. Ça, c’est à ce stade l’unique certitude absolue. Mais pour les parents, des zones obscures et de perplexité subsistent : “Nous n’avons toujours pas reçu les conclusions des expertises médicales ni un rapport complet sur le déroulé de l’enquête. Au Pérou, le procureur de départ a quitté sa fonction et son remplaçant a classé sans suite. Nous avons fait appel pour garder le dossier ouvert et faire nommer un nouveau procureur. Cela semble aujourd’hui bien parti. Nous espérons que ça aboutira.”

Les parents de Natacha de Crombrugghe n'ont toujours pas reçu les conclusions de la police
Natacha de Crombrughe faisait un périple en Amérique du Sud. ©BELGA

Pour Sabine, c’est un accident. C’est l’intuition maternelle qui agit ici. “La veille de la découverte de son corps, pour les enquêteurs, c’était à 90 % un homicide. Aujourd’hui, avec ce qu’on sait, je sens qu’elle est descendue dans le canyon pour aller voir un geyser, vers un pont. Elle a peut-être pris un selfie puis je crois qu’elle a glissé. On était en période de crue, la rivière était tumultueuse. Elle a été emportée et s’est noyée et les fractures sont post mortem alors qu’elle a été retrouvée à quarante kilomètres de là.

Décès de Natacha de Crombrugghe : ses parents n’excluent pas “un acte malveillant”

Le scepticisme d’Eric reste, par contre, plus pesant. Il y a du cartésianisme chez l’homme. Tel Thomas d’Aquin, le père a besoin de voir, ici noir sur blanc, pour croire. “Je ne peux me résoudre à exclure complètement le meurtre tant que nous n’aurons pas obtenu les rapports médicaux et de l’enquête et surtout les conclusions sur les circonstances de la mort de Natacha. Peut-être y découvririons-nous le nom d’un potentiel témoin qui n’aurait pas été auditionné ? A-t-elle été droguée ? On ne sait jamais. Il y a eu tellement d’incohérences dans la première enquête.

Rebondissement dans la mort de la Belge Natacha de Crombrugghe au Pérou : l’affaire n’est pas clôturée

Un livre sur le parcours des parents et leurs actions menées au village péruvien : “Notre coeur est resté là-bas”

Le passéisme lancinant des parents n’exclut en rien leur proactivité dans le présent et leurs projets pour le futur. Eric et Sabine viennent de sortir un livre et ont créé un Fonds Natacha-Colca. Ils s’activent à mettre sur les rails des projets dont bénéficient déjà et bénéficieront encore aux habitants du village qui les ont tant aidés, alors même qu’il n’y avait guère plus qu’eux qui enquêtaient sur place, et qui les ont chaleureusement soutenus. “Natacha continue de nous faire agir. Le livre, les actions sur le terrain, c’est aussi un moyen de redonner vie à Natacha. Et de remercier tous ceux qui nous ont soutenus.

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©DR

Tout au long de leur quête de vérité, Sabine a écrit ce qu’elle ressentait. Pour pouvoir le raconter à leur fille, qu’ils pensaient alors encore vivante. “Lorsque Sabine a découvert le carnet de voyage à peine entamé de Natacha dans son sac à dos cinq jours après son arrivée au Pérou, elle s’est empressée d’y écrire presque quotidiennement les faits du jour” , explique Eric.

« Chaque jour sur place, nous vivions un thriller. Les rumeurs partaient dans tous les sens. »

Les idées sont communes mais l’écriture c’est Sabine, à la base historienne de l’art et archéologue : “Mon occupation avant la disparition était littéraire. C’était d’accompagner les personnes âgées dans leur récit de vie, dans la rédaction et la publication. L’alimentation de carnet de voyage était utilitaire aussi. Chaque jour, sur place, nous vivions un thriller. Tous les jours, nous écrivions à tout le monde pour faire bouger les choses. Et, dans ce cas, on oublie vite. Le nom des personnes, les réunions. Les rumeurs partaient dans tous les sens. On a dû s’attarder sur cette gérante d’hôtel qui a disparu subitement et qui n’avait prévenu personne de la disparition durant cinq jours alors qu’elle savait que Natacha partait en trek. La gérante a fait trois déclarations différentes.

”Si nous n’avions pas été sur place, il est évident que les recherches dans le canyon auraient été abandonnées après trois semaines comme cela a été le cas début mars 2022. De plus, aucune enquête pour homicide n’aurait eu lieu, puisqu’il n’y avait aucun indice prouvant qu’il pouvait s’agir d’un crime ou d’un enlèvement. En cas de disparition, aucune enquête n’est menée au Pérou. Dans ce pays machiste où la traite des femmes et la violence envers les femmes sont un vrai fléau, plus de 1 000 femmes disparaissent chaque mois. Pourquoi la police s’inquiéterait-elle soudainement de la disparition d’une touriste ?” En outre, nous avons dû à faire à six ministres des Affaires étrangères successifs.

Natacha de Crombrugghe réellement morte par accident au Pérou ? Des zones d’ombre demeurent

Après la célébration en hommage à Natacha le 30 novembre 2022, Sabine a décidé de poursuivre son travail d’écriture les mois suivants, “pour partager l’histoire de Natacha, notre histoire avec nos proches, mais aussi avec ses nombreux amis et tous ceux qui nous ont suivis et soutenus” .

Début de l’été, les éditions Kennes leur ont proposé d’éditer le livre, intitulé Natacha – À la recherche de notre fille. “La rédaction du livre a agi comme une catharsis pour Sabine, qui a commencé à dormir mieux…”, témoigne Eric.

Les ventes de ce livre permettront aussi d’alimenter un Fonds ‘Natacha” pour aider la population du village de Choco : “Une partie de notre cœur y est restée. Suite aux dons récoltés lors de l’hommage, nous avons déjà pu placer un auvent dans une école ou encore offrir des cadeaux et offrir une fête de Noël aux enfants et aux anciens. Nous sommes en contact avec les villageois, la paroisse, à l’écoute des besoins. Là, nous projetons d’envoyer sur place des amis de Natacha pour animer et organiser des projets les enfants durant les vacances. Ils n’ont rien dans ce domaine.

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Une messe de Noël a été célébrée en l’honneur de Natacha de Crombrughe vient d’être célébrée dans le village de Choco. ©DR
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Une messe de Noël a été célébrée par les villageois en l’honneur de Natacha de Crombrughe vient d’être célébrée dans le village de Choco. ©DR

C’est notamment dans ce cadre, pour mettre les choses en place, qu’Eric et Sabine sont repartis au Pérou. Ils sont de retour en Belgique depuis une semaine.Les liens de famille se sont resserrés. Nous avons éprouvé le besoin de repartir avec les trois frères de Natacha sur ses traces pour lui rendre hommage, nous retrouver autour d’elle en famille, revoir et remercier nos amis du Pérou, et pour tenter encore de savoir ce qu’il s’est réellement passé ce funeste jour du 24 janvier, précise Éric de Crombrugghe. “Notre cadet était mal. Depuis la mort de Natacha, il a retrouvé l’envie de vivre. Il fait du yoga. il est tombé amoureux. “, raconte Sabine. “J’ai arrêté mes activités professionnelles. Eric a ralenti les siennes. Nous pouvons nous lancer à fond dans nos projets et penser à nous”

Pour faire des dons :

En ligne : sur le site de la Fondation Roi Baudouin Ou par virement bancaire : IBAN : BE10 0000 0000 0404 (BIC BPOTBEB1) Communication : +++623/3830/10067+++ ou “Au profit du Fonds Natacha-Colca” Déductibilité fiscale à partir de 40 euros.

Pour info : “Looking for Natacha” (Facebook) ou https://www.lookingfornatacha.com/fr

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Instant de recueillement pour Natacha de Crombrughe au mirador de Choco. ©DR
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Eric et Sabine de Crombrughe et des amis rendent hommage à Natcah à stèle commémorative au miradoor d’Achachiua. ©DR