Belgique

« La disparition d’Emile m’a immédiatement fait penser à un cold case belge sur lequel j’ai travaillé »

Le petit Emile, disparu depuis le 8 juillet dernier en France, est-il encore vivant ? Ce n’est pas l’avis d’Alain Remue. « Pour être honnête, je n’y crois plus, mais il ne faut jamais dire jamais. » Selon le patron de la cellule des personnes disparues de la police fédérale, il faut tenir compte du temps qui passe et rester réaliste quant aux chances de retrouver le petit garçon. Alain Remue est l’Invité du samedi de LaLibre.be.

Pourquoi n’a-t-on pas encore retrouvé Emile, malgré tous les moyens mis en place ?

C’est la grande question à laquelle il n’y a toujours aucune réponse. Pourtant, je peux vous dire – puisque je connais le fonctionnement de la gendarmerie en France et plusieurs membres des unités de montagne – qu’ils sont au top. Quand ils font des fouilles et qu’ils ne trouvent rien, il y a une possibilité qu’il n’y ait rien, en effet. Ils ont déployé des moyens d’envergure, ils ont mis le paquet avec des enquêteurs chevronnés, ils ont fait des fouilles dans un cours d’eau, dans un lac, ils ont détruit une dalle de béton. C’est normal, ce sont des choses que l’on ferait aussi dans des dossiers comme celui-là. Je ne crois pas qu’il ait été enlevé pour être mis dans un réseau. En 28 ans à la cellule des personnes disparues, aucun dossier ne nous a menés à un tel scénario. Jamais. Oui, on a eu l’affaire Dutroux, mais c’était un pervers qui faisait ça pour lui-même, pas pour un réseau.

A-t-on encore une chance de le retrouver vivant ?

Dans l’affaire Dutroux, Sabine Dardenne est restée trois mois dans la cave, et elle était vivante au moment où on l’a libérée. On ne peut jamais dire jamais. Mais plus le temps passe, plus les chances de retrouver Emile s’amenuisent. Il faut d’abord le retrouver, et ensuite espérer qu’il soit en vie. Ce n’est pas une science exacte mais, pour être honnête, je n’y crois plus…

Quelle piste privilégiez-vous ?

Je ne connais pas tous les détails du dossier, mais sur base des informations dont je dispose pour le moment, je n’exclus toujours pas qu’il soit tombé quelque part. N’oublions pas que la nature ne joue pas en notre faveur. Lorsqu’un être humain perd la vie en pleine nature, que ce soit un enfant ou pas, les éléments naturels font leur travail : la décomposition et les animaux interviennent. Quand quelqu’un tombe dans un cours d’eau, après un certain temps, il n’y a souvent plus grand-chose qui reste.

De quelles ressources les enquêteurs disposent-ils encore pour avancer ?

Je crois qu’ils ont fait tout leur possible. On a des contacts avec les autorités en France parce qu’on travaille ensemble sur d’autres dossiers, et ils sont allés dans toutes les directions. Tous les moyens ont été engagés. Je ne comprends pas qu’il n’ait pas été retrouvé malgré un tel déploiement de la gendarmerie française et des différentes unités. Personne ne comprend. Ils ont aussi enquêté sur le cercle familial. Quand on parcourt toutes les hypothèses lorsqu’un enfant disparaît, la thèse qu’un membre de la famille puisse être impliqué doit être envisagée, et c’est ce qu’ils ont fait. C’est une piste qu’on doit malheureusement étudier, sans pour autant dire que quelqu’un est suspect.

Disparition d’Emile : pourquoi le deuxième témoin a-t-il changé sa version trois mois plus tard ?

Depuis samedi dernier, la France compte une seconde disparition, celle de Lina, 15 ans, en Alsace. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je ne connais pas le dossier, j’ai seulement lu quelques articles là-dessus parce que ça nous intéresse, bien sûr. D’autant que c’est à Strasbourg, donc pas très loin de la Belgique. Même si la question du tueur en série va se poser, je ne vois aucun lien entre le petit Emile et Lina. Honnêtement, je n’en ai aucune idée pour le moment, aucun élément ne pointe dans cette direction. Cette fois, elle a 15 ans, c’est une fille, et c’est dans une autre région.

Quel est l’état d’esprit d’un policier qui mène une enquête de disparition, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant comme Emile ?

Quand on est confronté à la disparition d’un jeune enfant, c’est toujours spécial. Il y a une différence entre une disparition que j’appellerais « classique », comme celle d’une personne suicidaire ou de quelqu’un qui souffre de la maladie d’Alzheimer, et celle d’un jeune enfant qui ne rentre pas de l’école ou qui est signalé comme disparu d’une aire de jeu. On a malheureusement aussi été confrontés à des cas de disparitions inquiétantes en Belgique. Quand j’ai appris la disparition d’Emile, en France, ça m’a immédiatement fait penser à un dossier sur lequel j’ai travaillé et sur lequel je travaille toujours : la disparition du petit Liam, deux ans, le 3 mai 1996, à Malines. Il existe la possibilité, et je dois être prudent, qu’il soit tombé dans l’écluse qui se trouvait devant sa maison, parce qu’elle se situait à trois mètres seulement de la porte. Malheureusement, on n’a jamais retrouvé le petit. On peut le comparer à l’affaire d’Emile, bien qu’il s’agisse à chaque fois de circonstances différentes. Liam était aussi jeune qu’Emile et il a aussi disparu sans laisser de trace. Pour autant, il y a quand même une différence majeure entre l’écluse à Malines et les zones de montagne où le petit Emile a disparu.

Quels sont les grands principes d’une enquête de disparition ?

Chez nous, à la cellule, on utilise trois règles de base. Règle numéro un : chaque affaire est différente. Ça veut dire qu’il n’y a pas de routine, on ne sait jamais de quoi on va parler quand la disparition survient.

Règle numéro deux : les premières 24 heures sont très importantes. C’est encore plus le cas lorsque l’on veut sauver la vie d’une personne vulnérable, comme un enfant ou une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte, comme les circonstances de la disparition ou encore la météo.

Règle numéro trois, qui est un peu devenue le slogan de la cellule des personnes disparues : ne jamais dire jamais. Tout est possible. Quand on commence une enquête de disparition inquiétante, on ne sait jamais comment ça va finir. Ça peut partir dans n’importe quelle direction. On a déjà tout vécu : il y a des histoires qui commencent de façon vraiment très inquiétante et qui se terminent bien. Au contraire, il y a des dossiers qui commencent d’une façon plus ou moins normale pour nos standards, et qui se terminent par un drame imprévu. C’est le problème qu’on a dans une enquête comme celle d’Emile : le petit était là, il n’est plus là…

Comment se déroule une enquête de disparition ?

On commence par envisager une série d’hypothèses. En premier lieu, on se demande si ça pourrait être une disparition accidentelle. A-t-il fait une chute ? A-t-il été renversé par un véhicule et l’auteur, en panique, a-t-il emmené le petit corps ? Le terme « accidentel » signifie aussi qu’il s’agit peut-être d’une mort naturelle, ce qui est peu probable dans le cas d’un jeune enfant.

Deuxième hypothèse, la piste criminelle. Dans ce cas-là, on va envisager plusieurs possibilités. Quand un enfant disparaît, il est avant tout possible qu’il ait été enlevé par un inconnu pour un motif sexuel, pour une rançon, ou pour je ne sais quelle autre raison par un fou. Mais c’est aussi malheureusement possible qu’il y ait une implication de la famille, des parents. On l’a vécu en Belgique : j’ai travaillé sur des dossiers dans lesquels on a fini par déterminer que c’était la mère qui avait tué son enfant.

Troisième possibilité : la catégorie « autre ». On parle alors d’un suicide, ce qui est peu probable pour un enfant de deux ans, même si cela peut aussi survenir très tôt. Le plus jeune suicide que j’ai connu était un petit garçon de dix ans, par pendaison. Mais à deux ans, l’âge d’Emile, je n’y crois pas. A côté de ça, il y a aussi l’hypothèse qu’il ait perdu son chemin. Mais il devrait alors y avoir quelque part une réponse. Pourquoi n’a-t-il pas retrouvé son chemin ? Peut-être a-t-il chuté pendant qu’il était perdu.

On retombe alors dans la catégorie d’une disparition accidentelle…

Oui, et on doit alors envisager les alentours du lieu de disparition, ce qu’on appelle chez nous le « point last seen ». Toujours dans la catégorie « autre », le malentendu est une possibilité, lorsque l’on se rend compte que la personne n’est pas là où elle devrait être, mais à un autre endroit. Il y a alors une confusion, mais ce malentendu se résout toujours dans les heures qui suivent. Ici, le petit ne revient pas. Ça ne s’arrange pas. Ce n’est pas un malentendu. Quelle hypothèse reste-t-il encore ? Plus grand-chose.

Après la disparition du petit Emile, on a même reçu chez nous des messages de personnes qui veulent aider l’enquête en nous fournissant certaines suppositions. Quelqu’un nous a par exemple contactés en nous demandant s’il ne serait pas possible que le petit ait été pris par un loup. Je n’en sais rien, mais normalement, les loups ont peur des êtres humains. Il y a aussi des gens qui se disent clairvoyants, avec leur pendule ou leur boule de cristal. On a un peu fait le tour de tous les scénarios et, malheureusement, Emile n’est toujours pas retrouvé. Que s’est-il passé ? Je ne le sais pas. Personne ne le sait.

Avez-vous déjà dû gérer beaucoup de disparitions d’enfants ?

Oui, on en a chaque année, mais les enfants finissent par revenir dans les heures qui suivent après avoir pris le mauvais chemin, ou après s’être disputés avec un ami. Parfois, ils se cachent ou ils dorment quelque part, tout est possible. Ne jamais dire jamais. Le petit Liam, à Malines, est le seul que l’on n’a jamais retrouvé depuis le lancement de la cellule en 1995. Dans d’autres cas de disparitions vraiment très inquiétantes, on a malheureusement retrouvé l’enfant décédé. Il pouvait s’agir d’un bête accident, d’une noyade dans un cours d’eau ou dans un petit lac, ou même parfois de l’intervention d’un parent. Il y a aussi encore quelques dossiers ouverts, dont certains sont devenus des cold cases entre-temps. C’est le cas de celui de Liam, qui date de 1996, mais il y avait déjà des disparitions d’enfants avant la création de la cellule, comme Nathalie Geijsbregts en 1991, ou encore Kim et Ken à Anvers en 1994.

Ces disparitions sont-elles psychologiquement plus compliquées à gérer qu’une disparition d’adulte ?

Oui, bien sûr, il y a une nette différence puisqu’il s’agit d’un enfant, d’un être humain vulnérable. Ce n’est pas normal. La disparition d’un enfant est toujours sensible, c’est un autre degré d’alerte. Quand ça entre chez nous, tout le monde est sur le qui-vive, prêt à mettre la machine en marche. On ne veut pas que ça se dirige vers une fin tragique. De plus, presque tous les membres de la cellule sont des parents. A titre personnel, j’ai vécu la disparition de Julie Van Espen à Anvers, la jeune fille victime de Steve Bakelmans. Au moment où on a retrouvé le corps de Julie dans le canal Albert, elle avait 23 ans. C’était une belle jeune femme blonde qui avait tout l’avenir devant elle. A ce moment-là, ma fille, Eva, qui est aussi une belle jeune femme blonde avec tout l’avenir devant elle, avait le même âge. Ce sont des choses qui marquent. Mais on est là pour faire notre métier, même si ce n’est pas toujours évident.