Belgique

Françoise Bertieaux sur les nouvelles règles de réussite: « Pourquoi y aurait-il des dégâts ? Les jeunes ne sont pas plus bêtes qu’avant »

À l’occasion de la rentrée académique dans l’enseignement supérieur, la nouvelle ministre MR de tutelle qui a succédé à Valérie Glatigny, démissionnaire pour raison de santé, prend possession de ses sujets. Face à l’inquiétude exprimée dans les rangs étudiants devant les nouvelles règles de réussite, Françoise Bertieaux tranche : “Pourquoi y aurait-il des dégâts si les étudiants prennent les choses au sérieux ? Les jeunes ne sont pas plus bêtes qu’avant. Si on était capables de réussir avant le décret Marcourt (NdlR : ce texte qui avait modifié les règles de réussite en 2013, permettant d’avancer dans son parcours sans avoir réussi tous ses cours, a été réformé avec de nouvelles balises de réussite plus claires et plus strictes, depuis l’année passée), pourquoi ne serait-ce plus possible ? “

”Les nouvelles règles permettent de faire comprendre plus vite à certains que les études, ce n’est pas pour eux”

La Fef (Fédération des étudiants francophones) s’inquiète des conséquences pour les étudiants des nouvelles règles de réussite. Dans un an, pour s’inscrire pour l’année académique 2024-2025, chacun devra être en conformité avec le nouveau décret Paysage qui, à la base, ne devait concerner que les nouveaux étudiants à partir de 2022-2023. Ne risque-t-il pas d’y avoir de la casse ?

Étudier, c’est un métier comme un autre. À un moment donné, on respire et on avance. On travaille, on s’accroche et on gère son stress. Que la société donne au plus grand nombre la possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur, c’est très bien. Maintenant, tout le monde n’est pas fait pour cela. Un tas de métiers, parfois avec de très beaux revenus, ne passent pas par l’enseignement supérieur. Ces réussites devraient d’ailleurs être mieux mises en valeur. Les nouvelles règles permettent, selon moi, de faire comprendre plus vite à certains que les études, ce n’est pas pour eux. On ne peut pas toujours adapter le système pour ceux qui ne réussissent pas.

La semaine passée, les recteurs ont dénoncé le sous-financement du secteur qui nuit à la qualité de l’enseignement supérieur. Si on n’a pas d’argent, faut-il limiter le nombre d’inscriptions, organiser davantage d’examens d’entrée ?

Je suis favorable à une limitation d’accès, seulement quand il y a une bonne raison. En médecine, la saga Inami a montré qu’il fallait trouver un mécanisme : le concours d’entrée est la solution. Le niveau d’exigence chez les ingénieurs, en début de filière, justifie aussi l’examen d’entrée. Par contre, je suis contre une limitation d’accès, juste parce qu’il y a trop de monde.

Les recteurs se plaignent aussi du nombre d’étudiants français qui grossissent les rangs en étant subsidiés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Que pouvez-vous faire ?

C’est un gros sujet qui va être fortement débattu. En janvier, la Belgique prend la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Caroline Désir et moi serons présentes pour les matières d’éducation et d’enseignement supérieur. Et le sujet choisi pour l’enseignement supérieur est précisément la mobilité étudiante. J’espère pouvoir faire évoluer les lignes. Une étude de faisabilité est en cours concernant l’idée d’augmenter les coûts pour les non-résidents. Mais il faut être très prudent, on ne doit pas se prendre les pieds dans le tapis du droit européen. On ne peut pas contrevenir à la libre circulation en Europe. Il ne faudrait pas non plus créer de freins à la liberté de nos étudiants à nous. En imaginant une inscription plus chère ici pour les non-résidents, on pourrait imaginer des mesures de représailles d’un pays ou l’autre. Bref, il faut tout baliser juridiquement, et avec une analyse plus fine de la mobilité de nos étudiants.

Qu’en est-il du nouveau test de maîtrise de français, à l’entame de la nouvelle formation initiale des futurs enseignants ? Pourrait-il être pris comme un filtre ?

Contrairement à ce que certains voulaient, ce n’en est pas un, non. C’est bien un test en début de première année mais, d’abord, il n’est pas obligatoire. Et en plus, il n’empêche pas de s’inscrire en cas d’échec. Il permet de valider automatiquement 5 crédits s’il est réussi, faute de quoi il faut suivre et réussir le cours.

Pensez-vous que la nouvelle formation initiale va attirer plus d’étudiants vers les carrières de profs ?

C’est trop tôt pour le dire. Les inscriptions se clôturent à la fin du mois.

”Je suis réfractaire à ceux qui veulent réduire l’enseignement à sa seule dimension utilitaire”

Sur LN24, lundi, le ministre-Président Pierre-Yves Jeholet (MR), semblait laisser entendre qu’il faudrait faire un certain ménage dans les filières d’études actuellement proposées dans l’enseignement supérieur. Est-ce votre avis ?

Lorsqu’on sortira de l’actuel moratoire, le nouveau décret prévoit que toute nouvelle habilitation (NdlR : demande d’autorisation pour organiser un nouveau diplôme) devra être financée par l’établissement pendant les trois premières années et que, pour ouvrir une nouvelle habilitation, il devra s’engager à en supprimer une autre. Ceci implique, pour certains établissements, une sorte de “ménage”. Là où toutes les habilitations sont pertinentes, c’est vrai qu’il faudra faire des choix. Je suis consciente que cela peut être une difficulté. Mais que les établissements soient amenés à évaluer la pertinence de toutes leurs habilitations constitue une bonne chose. Parfois, pour qu’un arbre pousse bien, il faut élaguer. Les branches qui restent auront plus de force. Je rappelle tout de même que des dérogations sont possibles aux deux règles du décret, pour mieux coller aux besoins du marché.

Les études qui ne mènent pas à l’emploi sont-elles inutiles ?

Avec le ministre-Président, nous avons rencontré les recteurs qui nous ont évoqué l’énorme affluence d’étudiants en psycho et la question de leur employabilité. Même si les budgets de santé mentale ont été revus à la hausse, je doute que le marché puisse absorber tout le monde. Pour autant, j’ai la conviction qu’on doit voir dans des études supérieures deux paramètres différents. Il y a un côté utilitaire qui mène à certains métiers. Mais je suis réfractaire à ceux qui veulent réduire l’enseignement à cette seule dimension-là. La dimension académique est tout aussi importante. On forme les esprits. Pour revenir aux psychologues, j’ai envie de dire que si, un jour, il y en a trop, ils pourront toujours utiliser leur esprit pour exceller dans d’autres tâches. Notez que le succès massif de certaines filières pose aussi la question de l’orientation et des raisons du choix.

Justement, le nouvel outil d’orientation attendu pour cette rentrée est-il prêt ?

Non. Il reste des choses à vérifier. Le test en ligne devrait être lancé en cours d’année.

La réforme des allocations d’études a fait du bruit, cet été. Où en êtes-vous ?

Le problème, c’est que la note du gouvernement a fuité avant même que commencent nos discussions. Le débat a déboulé sur la place publique avant qu’on puisse en parler entre nous. Ce que je souhaite, maintenant, c’est faire atterrir ce que Valérie Glatigny avait préparé, avec ses deux améliorations : un plus grand nombre de bénéficiaires et une allocation pour les étudiants koteurs. Six millions d’euros sont sur la table. Ce serait dommage qu’ils n’aillent pas aux étudiants.

”Ma carrière est derrière moi. Je fais un intérim. Après, place aux jeunes !”

Pourquoi avoir accepté de remplacer la ministre Valérie Glatigny ?

On ne se refait pas… J’ai adoré mon métier, 20 ans de Parlement, 30 ans à la commune. Puis j’ai suivi mon mari à New York et, pendant quatre ans, je suis partie dans une tout autre vie. Quand on part, j’estime qu’on ne fait pas la belle-mère. On ne vient pas embêter ceux qui travaillent. Je n’ai donné aucune expression publique pendant ce temps. Heureusement, il y avait 6 000 kilomètres et 6 heures de décalage avec ici. Et puis j’étais plongée dans mes cours de dessin et de peinture, tout en anglais. Je n’ai jamais été une aussi bonne élève de ma vie : concentrée, appliquée, travailleuse. Cela m’a aidée à prendre du champ. Même si, tous les soirs, avec mon mari, on se repassait le journal télévisé. Bref, je n’aurais jamais imaginé qu’on m’appelle un matin et de revenir un jour en politique. Mais il aurait fallu être folle pour ne pas accepter.. Surtout sur ces matières qui me tiennent tellement à cœur.

Comment s’est passé le passage de témoin avec la ministre Glatigny ?

Très bien. Elle a été formidable. Elle m’a tout expliqué pour chacun des dossiers. J’ai aussi eu la chance de prêter serment la veille des vacances parlementaires. Ensuite, j’ai eu deux mois de blocus. Je suis partie en vacances avec mes classeurs. Peu de ministres ont eu cette chance…

Quelles sont vos intentions pour la prochaine législature ?

C’est très clair. Ma carrière est derrière moi. Au niveau ministériel, je fais un intérim avec ce gouvernement. Après, place aux jeunes ! Il y a plein de talents dans le parti. Je me suis engagée à figurer sur les listes. Je ne sais pas où ni à quelle place. Je ferai ce que je peux pour aider mon parti à gagner ces élections pour le ramener au gouvernement. Mais je n’ai pas d’autre projet.

”Je ne défendrai jamais ce que j’ai critiqué, mais je suis capable de loyauté”

Dans l’opposition, vous étiez une parlementaire très critique. Je me rappelle de vos attaques contre des dossiers défendus par ceux qui sont aujourd’hui vos partenaires de gouvernement. Comment vous arrangez-vous, par exemple, avec vos critiques concernant le décret inscription (qui régule les inscriptions en première secondaire) ?

Je ne vais jamais défendre ce que j’ai critiqué mais je suis aussi capable de loyauté. Depuis 2007, on a fait une énorme bêtise. Le premier décret Arena a causé des dégâts incommensurables. Il a mis en évidence les écoles complètes qui apparaissaient fabuleuses pour tout le monde, et en a marqué d’autres dont personne ne voulait au fer rouge. Caroline Désir a voulu améliorer certains paramètres de l’algorithme qui départage les candidats quand il y en a trop. Seulement c’est comme une pelote de laine : si vous tirez sur une ficelle, vous créez un nœud ailleurs. Le problème s’est déplacé. Alors on va devoir aller plus loin pendant la législature prochaine. Il faut écraser l’algorithme et faire autrement. On doit arrêter de torturer la demande des parents et travailler sur l’offre, réhabiliter certaines écoles. En son temps, j’avais eu la liste des écoles qui ne recevaient aucune demande. Zéro, même quand on habite à côté. Et il y en a quelques-unes à Bruxelles. Le tronc commun peut être une chance. On doit leur remettre le pied à l’étrier. Mon idée est d’explorer les partenariats pédagogiques pour que l’enfant sache où il continuera, dès ses primaires. C’est indispensable pour que les parcours des élèves restent cohérents pendant tout le tronc commun (jusqu’en 3e secondaire). Quand j’entends réguler, obliger, je m’enfuis : on doit aider les parcours, aider l’orientation.