Belgique

”À une heure du matin, ma fille me réveille et me dit ‘papa, il faut appeler Van Quickenborne’. Quand j’ai rappelé, il m’a dit ‘Paul, tu vas être ministre’”

En cette période estivale, l’actualité est un peu plus calme. On peut donc parler de tout, et pas des sujets qui fâchent. Alors on lui demande :

”Où vous voyez-vous dans six mois, Paul Van Tigchelt ?”

”Mon rêve ? Ouvrir un piano-bar, un endroit super classe où l’on servira de très bons Gin Tonic”, expliquait alors l’Anversois, dans un éclat de rire inimitable. Un avenir imaginé loin de la politique, donc ?

”Je pense. Mais, pour l’heure, je suis là où on a besoin de moi et je ne réfléchis pas trop à l’après. Surtout que 2023 est encore une longue année. Je n’ai jamais eu un plan de carrière fixe. Tout reste donc possible, mais j’ai très envie de consacrer mon temps à mes proches, et à d’autres occupations. Par exemple, voir plus de matchs du Sporting d’Anderlecht, ou courir plusieurs marathons, ajoutait-il, tout sourire. D’ailleurs, j’attends avec impatience le marathon d’Anvers.

Ce marathon est prévu le dimanche 22 octobre 2023. Mais Paul Van Tigchelt n’y prendra pas part. Il avait pourtant tout bien préparé. Tout prévu. Sauf la possibilité que, ce jour-là, il allait plutôt devoir courir vers le Palais royal, pour prêter serment et devenir le nouveau Vice-premier ministre Open VLD, ministre de la Justice et ministre de la mer du Nord.

guillement

« J’ai vite compris que je n’allais pas faire de jogging, mais que j’allais surtout devoir avertir Vincent Van Quickenborne de la situation. Il était en réunion au Luxembourg. La nature des faits ne laissait place à aucun doute : une démission allait avoir lieu, mais je n’ai rien dit ».

Le dossier oublié dans une armoire

Ce grand basculement dans l’arène politique est intimement lié à l’attentat qui a touché Bruxelles le 16 octobre, faisant deux morts et un blessé. L’auteur des faits, Abdesalem Lassoued, vivait en Belgique, mais il aurait dû être renvoyé vers la Tunisie bien plus tôt. Sa demande d’extradition s’était retrouvée au parquet de Bruxelles, mais n’y avait jamais été traitée. Oubliée dans une armoire.

Je suis le premier à avoir eu cette information, se remémore Paul Van Tigchelt. C’était le vendredi 20 octobre. Il était environ 8 h 30, je me préparais à un petit footing en vue du marathon quand le procureur général de Bruxelles m’a appelé pour m’expliquer cette histoire de dossier oublié dans une armoire. J’ai vite compris que je n’allais pas faire de jogging et que devrais avertir Vincent Van Quickenborne de la situation. Il était en réunion au Luxembourg. La nature des faits ne laissait place à aucun doute : une démission allait avoir lieu, mais je n’ai rien dit.”

Paul Van Tigchelt à La Libre: « Il faut être réaliste : la drogue, on ne va pas s’en débarrasser, mais on peut limiter la violence qui en découle »

Il poursuit : “Lorsque Vincent Van Quickenborne est arrivé à Bruxelles, nous avons organisé une sorte de réunion de crise. Il a estimé qu’il devait prendre ses responsabilités politiques. La démission était donc imminente”. Cette démission a effectivement été annoncée lors d’une conférence de presse organisée à 19 h 15, dans les couloirs de la Tour des Finances, où se trouve le bureau du ministre de la Justice.

À ce moment, personne ne savait qui allait reprendre le poste. “Sincèrement, on n’y pensait pas encore, avance Paul Van Tigchelt. Ce n’était pas la priorité, il y avait une crise à gérer. On pensait à autre chose. Je ne faisais pas partie des discussions préalables, en tout cas.

Paul Van Tigchelt s’imaginait-il alors qu’il pourrait succéder à Vincent Van Quickenborne ? “Dans mes tripes, je sentais que tout pouvait arriver. Cela paraissait inimaginable, et en même temps, je suis l’un des plus proches collaborateurs de Vincent Van Quickenborne, ai-je pensé. Donc pourquoi pas. Mais ça, je l’ai dit à moi-même, et à personne d’autre. Cette décision, ce choix, il ne devait pas être dicté par ce que moi je voulais ou ce que je pensais.”

BRUSSELS, BELGIUM - OCTOBER 22 : King Philippe receives Paul Van Tigchelt (Open VLD) in audience for her Taking of the oath as new Minister of Justice on October 22, 2023 in Brussels, Belgium, 22/10/2023 ( Photo by Didier Lebrun / Photonews
BRUSSELS, BELGIUM – OCTOBER 22 : King Philippe receives Paul Van Tigchelt (Open VLD) in audience for her Taking of the oath as new Minister of Justice on October 22, 2023 in Brussels, Belgium, 22/10/2023 ( Photo by Didier Lebrun / Photonews ©DLE

La soirée d’anniversaire qu’il ne fallait pas louper

Le lendemain, Paul Van Tigchelt espère avoir un peu de repos. Il n’a pas beaucoup dormi. Une petite grasse matinée, ça ne serait pas de trop, pense-t-il. Mais il y a ce marathon, demain. Et puis cet anniversaire qu’il ne peut pas louper en soirée, “sinon ma femme allait me tuer, c’était l’annif d’une de ses meilleures amies”.

”J’étais en kern de midi à 21 h 30, ensuite je suis passé à cette fête d’anniversaire en compagnie de mon épouse”, poursuit-il. Là-bas, une amie lui glisse : “Toi, tu vas être notre futur ministre de la Justice”. Paul Van Tigchelt esquisse un sourire gêné. Mais ne répond pas.

Intrigué, il confie à sa femme que cette petite phrase “lui fait quelque chose”. Réponse de Madame Van Tigchelt : “De toute façon, tu dis non, là maintenant, mais si on t’appelle, tu ne vas pas hésiter cinq secondes. Donc arrête d’en parler comme s’il s’agissait d’un problème”.

Paul Van Tigchelt rentre chez lui assez tôt. Puis s’écroule dans son lit. “La semaine avait été particulièrement intense. J’étais épuisé. Je n’avais envie que d’une chose : dormir. Puis à une heure du matin, ma fille me réveille et me dit ‘papa, il faut appeler Vincent Van Quickenborne’. Quand j’ai rappelé, il m’a dit ‘Paul, tu vas être ministre’. Quelques heures plus tard, une réunion était organisée. Et c’était parti.

Deux mois après cette nomination inattendue, Paul Van Tigchelt a-t-il des regrets ? “Je préfère avoir des regrets en ayant tenté des choses et constater, plus tard, que ça n’était pas mon truc, plutôt que de regretter de ne pas avoir osé, rétorque-t-il. Là, je n’ai aucun regret. Il fallait poursuivre le travail entamé par Vincent Van Quickenborne. J’ai été proche de lui, j’ai vu tout le travail mené. Je me sens légitime pour le poursuivre. Au moins par respect pour ce qu’il a fait. Et puis, l’équipe autour n’a pas tellement bougé. Il y a donc une forme de stabilité qui a été maintenue, et qui permet de poursuivre le travail sereinement. À ma façon, mais sereinement”.

guillement

« Le jour où j’ai prêté serment, je suis rentré au bureau et j’ai trouvé toute l’équipe, avec ma femme et mes enfants, qui m’attendaient pour m’applaudir. Les quelques doutes qui subsistaient se sont estompés à ce moment-là. Parce que j’ai compris que j’étais soutenu ».

L’amie Alexia Bertrand

Rien ne prédestinait Paul Van Tigchelt à de telles fonctions. Il n’a pas le gène de la politique en lui. Il se considère d’abord et avant tout comme un homme de loi. S’il n’est pas (encore) un animal politique, c’est un monde qu’il côtoie pourtant de près depuis 2003 – l’année où il est devenu chef de cabinet-adjoint de Patrick Dewael (Open VLD), alors ministre de l’Intérieur. Une mission qu’il occupera jusqu’en 2008.

Ce même Patrick Dewael qui, en apprenant la nomination de Paul Van Tigchelt, a quelque peu tiqué. L’ancien patron serait-il contrarié, voire jaloux de voir son ancien poulain évoluer au sein des libéraux flamands ? “Pas du tout, balaie le ministre de la Justice. Patrick était même très content pour moi. Je ne nie pas qu’il y a eu des tensions au sein du parti. Mais elles n’étaient pas liées à ma personne, plutôt au processus qui a mené à ma désignation. Mais ça, c’est de la cuisine interne”, esquive Paul Van Tigchelt, tel un politicien chevronné.

Il poursuit. “Le jour où j’ai prêté serment, je suis rentré au bureau et j’ai trouvé toute l’équipe, avec ma femme et mes enfants, qui m’attendaient pour m’applaudir. Les quelques doutes qui subsistaient se sont estompés à ce moment-là. Parce que j’ai compris que j’étais soutenu. Au niveau des partenaires politiques, je peux compter sur Alexia Bertrand. Elle sait ce que c’est, de débarquer au gouvernement. C’est une femme extrêmement intelligente, une bosseuse sur qui je peux compter à tout instant. D’ailleurs, je dois lui envoyer un message, là, si vous me le permettez”, plaisante-t-il.

Et quelle personne vous n’appellerez jamais, demande-t-on ? “Tom Van Grieken”.

guillement

« Lorsqu’une fonction qui demande des responsabilités s’ouvre à moi, je me lance. Avec une condition : je veux travailler tout en m’amusant. Ma devise ? “Citius, Altius, Fortius”, c’est-à-dire “plus vite, plus haut, plus fort”. C’est la devise des jeux olympiques. C’est quelque chose qui me parle, ça”.

Opération Blackestone

La carrière professionnelle de Paul Van Tigchelt est très marquée par les attentats. Celui qui fut également magistrat au parquet d’Anvers a en effet été nommé à la tête de l’Ocam en mars 2016, quelques jours seulement avant… les attentats du 22 mars à Bruxelles.

Je n’ai pas peur de prendre des responsabilités dans les situations délicates, confie-t-il. Je suis un passionné. J’ai toujours aimé occuper des postes qui nécessitaient une prise de responsabilité. Quand j’avais 9 ans, j’étais délégué de classe, et dans mes souvenirs, c’était déjà une mission compliquée. Mais j’ai foncé, raconte-t-il. Idem lorsque je suis devenu le responsable de l’internat dans lequel j’étais inscrit durant mon adolescence. Où lorsque j’étais responsable des stagiaires magistrats. Lorsqu’une fonction qui demande des responsabilités s’ouvre à moi, je me lance. Avec une condition : je veux travailler tout en m’amusant. Ma devise ? “Citius, Altius, Fortius”, c’est-à-dire “plus vite, plus haut, plus fort”. C’est la devise des jeux olympiques. C’est quelque chose qui me parle, ça.”

En clôturant l’entretien, on demande à Paul Van Tigchelt si cette nomination est le moment le plus marquant de sa carrière politique. Il lève les yeux au ciel. Puis lance. “L’opération Blackestone. La libération d’Olivier Vandecasteele, ça, c’est un moment marquant. Nous avons permis à cet homme de retrouver ses proches en Belgique. Moi, à titre personnel, j’ai pu travailler sur un dossier d’une grande importance. Et, avec d’autres personnalités fortes, nous avons noué des liens extraordinaires. C’est quelque chose d’unique dans une carrière professionnelle.”

Après de tels moments, songe-t-il encore à l’un ou l’autre marathon ? “J’ai un autre marathon à mener, en ce moment. Finir le travail entamé dans ce cabinet. Et puis, il y a une échéance électorale. Je n’aime pas perdre, donc je vais tout faire pour montrer que je ne suis pas là pour faire de la figuration”.

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