Suisse

Quatre ans de calvaire judiciaire pour un photographe suisse à Hong Kong

Marc Progin s’adressant à la presse devant le tribunal où il a été jugé en novembre 2020. Keystone / Jerome Favre

Installé de longue date à Hong Kong, le photographe suisse Marc Progin a été pris dans un implacable engrenage judiciaire après avoir couvert une manifestation pro-démocratie en 2019. Quatre ans et deux acquittements plus tard, une nouvelle décision de justice en sa défaveur vient d’être rendue. Les organisations de défense de la presse dénoncent un acharnement.

Ce contenu a été publié le 06 septembre 2023 – 16:45




situation kafkaïenneLien externe» et ont interpellé les autorités à ce sujet (voir encadré plus bas). Marc Progin, lui, s’est résigné à payer les 500’000 dollars hongkongais (plus de 56’000 francs suisses) qu’on lui réclame, pour enfin mettre un terme à quatre ans de calvaire judiciaire.

«Au mauvais endroit au mauvais moment»

Tout débute le 4 octobre 2019. Hong Kong est alors le théâtre de manifestations de grande ampleur contre un projet de réforme qui, selon les protestataires, permettra à Pékin de resserrer son emprise sur la région administrative spéciale. Comme à chaque manifestation, Marc Progin est sur le terrain pour prendre des photos mais, ce jour-là, la situation dégénère.

Une altercation a lieu entre un banquier de Chine continentale et la foule, lors de laquelle le ressortissant chinois est violemment frappé. Aux premières loges, le photographe est filmé par des caméras du monde entier. «J’étais au bon endroit au bon moment pour faire la photo parfaite, décrit Marc Progin, mais aussi au mauvais endroit au mauvais moment au vu de la suite des événements».

>> Une vidéo de l’incident mise en ligne par l’agence Bloomberg:

annule le remboursementLien externe de ses frais de justice, arguant que «les preuves ont été mal analysées» et que «les actes [du photographe] l’incriminent».

Les autorités chinoises ont régulièrement accusé des «forces étrangères» d’ingérence en faveur du mouvement pro-démocratie. «En lisant l’argumentaire de la juge, j’ai compris qu’elle aurait voulu me voir en prison, confie le photojournaliste. Elle a clairement laissé entendre que l’accusation aurait aussi dû faire appel du verdict.»

Alors qu’il était enthousiaste à l’issue de ses deux acquittements, et avait affirmé publiquement avoir été jugé équitablement, le Neuchâtelois dit avoir perdu toute confiance dans cette justice aujourd’hui. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a renoncé à faire appel. La procédure aurait pris encore un an et lui aurait coûté un million de dollars hongkongais (près de 113’000 francs), sans aucune garantie, explique-t-il. «Moralement j’ai gagné, et c’est ce qui compte.»

Les autorités en Suisse interpellées

La section suisse de l’Union de la presse francophone, en collaboration avec les comités de la Press Emblem Campaign et de RSF-Suisse, ont écrit au conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, et au nouveau secrétaire d’État, Alexandre Fasel. Ils les enjoignent à faire respecter la décision acquittant Marc Progin et lui reconnaissant le droit au remboursement de ses frais de justice. Ils ont également envoyé une lettre de protestation à l’ambassadeur de Chine en Suisse.

Contacté par swissinfo.ch, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a indiqué qu’il ne commentait pas les décisions de justice et s’est limité à confirmer «être en contact [avec Marc Progin] via la représentation suisse à Hong Kong» et «[le soutenir] dans le cadre de la Protection consulaire».

Invitée par courriel à réagir, l’ambassade de Chine en Suisse n’a pour sa part pas donné suite.

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«Dissuader les journalistes étrangers»

Marc Progin relève que son histoire illustre le «climat de peur» qui règne à Hong Kong depuis l’entrée en vigueur en 2020 de la loi sur la sécurité nationale, imposée par Pékin, et qualifiée de liberticide par les organisations de défense des droits humainsLien externe. Des milliers de personnes accusées d’avoir pris part, même de loin, aux manifestations ont été condamnées à plusieurs années d’emprisonnement.

«Il est devenu très difficile d’informer; la critique passe difficilement, une sorte d’autocensure s’opère, déplore l’expatrié. On n’ose plus rien dire, il y a des oreilles partout, tout est filmé et il y a des appels à la délation.» L’organisation Reporters sans frontières (RSF), qui a récemment diffusé un communiquéLien externe sur le cas Progin, dénonce une «croisade anti-journalisme» et rappelle que près d’une trentaine de journalistes et défenseur-es de la liberté de la presse ont fait l’objet de poursuites par le gouvernement de Hong Kong ces trois dernières années. Plusieurs médias ont également été forcés à fermer.

«La campagne de harcèlement judiciaire orchestrée (…) contre (…) Marc Progin (…) est à l’évidence destinée à dissuader les journalistes étrangers qui souhaiteraient couvrir de futures manifestations», dénonce Cédric Alviani, Directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF.

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