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Grand favori de la Flèche wallonne, Tadej Pogacar est-il trop lourd pour s’imposer au sommet du Mur de Huy ?

Et si on peut évidemment faire dire beaucoup de choses aux chiffres et aux statistiques, certains dessinent tout de même des tendances irréfutables. Ces 20 dernières années, seuls deux vainqueurs affichaient plus de 65 kilos sur la balance au moment de lever les bras à l’ombre de l’église Notre-Dame de la Sarte : Philippe Gilbert en 2011 (73 kilos selon Procyclingstats) et le Luxembourgeois Kim Kirchen en 2008 (68 kilos). Depuis 2003 et la victoire de l’Espagnol Igor Astarloa, le poids moyen des vainqueurs de la classique wallonne est ainsi de 62,4kg. Un chiffre à prendre avec une relative précaution quand on sait le mystère que certains coureurs continuent d’entretenir autour d’un paramètre très impactant de la performance mais qui prouve tout de même qu’il convient de ne pas avoir la stature trop imposante pour faire le Mur.

Profil du mur de Huy
Profil du mur de Huy ©IPM Graphics

Grandissime favori de cette 87e édition, Tadej Pogacar avait levé le voile sur ce chiffre sans ambages en amont du Tour des Flandres. “Je fais actuellement 67 kilos (NdlR : pour 1m76), avait alors soufflé le Slovène. Ma balance n’affiche pas encore les mêmes chiffres qu’en juillet pour le Tour de France car il convient de posséder un peu plus de masse musculaire pour pouvoir briller sur les classiques pavées.”

Deux semaines à peine après s’être imposé sur le Ronde, le coureur de chez UAE Team Emirates fera donc face à un défi de poids ce mercredi sur les pentes du Mur du Huy avec une question en pointillé : le vainqueur de l’Amstel Gold Race est-il trop lourd pour s’imposer sur les hauteurs de la cité mosane ?

Le poids des 20 derniers vainqueurs de la Flèche walonne
Le poids des 20 derniers vainqueurs de la Flèche walonne ©IPM Graphics

Une forme étincelante qui contrebalance son gabarit

Tadej Pogacar s’aligne cette semaine pour la quatrième fois au départ de la Flèche wallonne avec des résultats, jusqu’ici, pas encore totalement à la hauteur de son rang. Après avoir découvert l’épreuve en 2019 (53e), il s’était ainsi classé 9e en 2020 et 12e en 2022. “Mais l’année dernière, notre leader avait été victime d’un incident mécanique qui l’avait contraint avec ses partenaires à une débauche d’efforts toujours préjudiciables, se remémore Joxean Fernandez Matxin, le manager sportif de la formation émiratie. Il n’avait ensuite pas abordé l’approche de la montée finale dans les meilleures positions. Tadej ne possède, je vous l’accorde, pas le gabarit-type du vainqueur de la Flèche wallonne mais je crois que sa condition est telle actuellement que ce second paramètre contrebalance, sans mauvais jeu de mots, son poids. Avec tout le respect que je peux avoir pour nos rivaux, nous prendrons à nouveau le départ de cette course avec l’ambition de la gagner. Et je crois que nous avons le droit de nous montrer ambitieux…”

Un argument que tempère légèrement Jelle Vanendert. “Dimanche dernier, dans le final de l’Amstel Gold Race, j’ai perçu certains signes de fatigue chez Pogacar que je n’avais plus décelé depuis un moment, juge le néo-retraité des pelotons, auteur de cinq top 10 à Huy. Le Slovène reste, à mes yeux, le grandissime favori pour ce mercredi mais je n’ai pas le sentiment qu’il s’appuie sur la même condition que lors du Tour des Flandres qui constituait son objectif majeur du printemps.”

15,5 % de puissance en plus à développer que Pidcock

S’il arrive au pied de l’ascension finale du Mur de Huy avec Tom Pidcock dans sa roue, Pogacar sait toutefois qu’il devra s’employer d’avantage que le Britannique sur les pentes du Chemin des Chapelles.

”Le poids reste bien souvent l’ennemi du cycliste en montée, c’est de la physique assez élémentaire, sourit Frédéric Grappe, docteur en physiologie de l’entraînement sportif à l’université de Besançon. Pour vous donner un chiffre qui parlera à beaucoup, une différence d’un kilo sur la montée de l’Alpe d’Huez (NdlR : 14,4km à 7,9 % de moyenne) représente un gain de 30 secondes : c’est énorme. Le Mur de Huy est évidemment bien plus court. Sur le dernier kilomètre, les coureurs qui jouent la gagne développent ainsi une puissance moyenne oscillant autour des 8 watts par kilos. Je vous laisse dès lors faire vos calculs…”

Le coureur de chez Ineos-Grenadiers affichant un poids officiel de 58 kg, il devrait ainsi évoluer autour d’une puissance moyenne de 464 watts contre 536 watts à Pogacar. Un différentiel de 72 watts qui représente 15,5 % d’effort supplémentaire à livrer !

”Mais l’une des grandes forces du Slovène tient dans le maintien de ses valeurs après une course difficile et exigeante là où certains autres coureurs vont voir leur niveau de puissance s’étioler au fil des heures, continue Grappe. S’il se présente avec 50 autres coureurs au pied de la troisième montée du Mur, il pourrait possiblement tomber sur un os car d’autres coureurs excellent également dans l’effort lactique que requiert cette difficulté. Ce dernier kilomètre avalé en, environ, deux minutes et quarante secondes est l’un des exercices les plus difficiles du sport cycliste par sa violence car il demande de combiner des qualités physiques acquises et travaillées avant la vingtaine avec une capacité mentale à supporter la douleur et seuls quelques coureurs brillent dans ce domaine. Si Pogacar et son équipe durcissent en revanche la course en amont, le double vainqueur du Tour risque d’être intouchable. Ce n’est pas un hasard si les UAE ont pris l’habitude de lancer les grandes manœuvres d’aussi loin… Et comme la Flèche wallonne fait une soixantaine de kilomètres de moins que Liège-Bastogne-Liège par exemple (NdlR : 194km contre 258) cela risque de rouler très vite très tôt.”

Une échappée victorieuse pour la première fois depuis 2003 ?

Course de côte la plus prisée de la saison cycliste, la Flèche wallonne n’a plus couronné une échappée victorieuse depuis… 20 ans et la victoire d’Igor Astarloa en 2003. Tadej Pogacar serait-il donc capable de bouleverser les codes et d’écrire un scénario différent que celui de l’explication finale du peloton des favoris sur les pentes du Chemin des Chapelles ? “Attaquer d’aussi loin qu’à l’Amstel est-il possible sur la Flèche wallonne ? souriait dimanche le Slovène après son succès dans le Limbourg néerlandais dessiné à un peu plus de 25km de l’arrivée. Je ne sais pas trop. Il y a eu de nombreuses tentatives d’offensives sur cette épreuve lors des dernières éditions qui n’ont cependant jamais été couronnées de succès puisque cela s’est à chaque fois joué sur la montée finale du Mur de Huy. Mais si un groupe de coureurs solides venait à se former à un moment de la course à l’avant, pourquoi pas…”

Une option tactique que de nombreuses équipes chercheront assurément à anticiper. “Je n’ai pas souvenir d’avoir connu un coureur aussi impactant dans la construction des stratégies adverses, juge Maxime Monfort, qui dirigera la formation Lotto-Dstny. Quand il est au départ d’une course, il en est très souvent le personnage central et on tente dès lors d’avoir un coup d’avance sur ces manœuvres. Il est tellement fort que personne n’a en effet la garantie de pouvoir l’accompagner dans une attaque… Même s’il pèse 67 kilos et qu’il place celle-ci dans le Mur de Huy.”