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Sommet de l’Otan à Vilnius: la course contre la montre pour lever le blocage turc (et hongrois) à l’adhésion de la Suède continue

Suspense pour la Suède : la Turquie dira-t-elle “oui” à son entrée dans l’Otan ?

“Le moment est venu pour la Suède de rejoindre l’Alliance”, a insisté M. Stoltenberg jeudi, à l’issue d’une réunion avec des représentants turcs, suédois et finlandais. La Finlande avait en effet frappé à la porte de l’Otan en même temps que la Suède, mais a pu y adhérer en avril 2023, après avoir également été confrontée aux doléances d’Ankara. Le 28 juin 2022, en marge du sommet de l’Otan à Madrid, la Suède et la Finlande ont dû signer un protocole d’accord trilatéral avec la Turquie, s’engageant à répondre à ses préoccupations en matière de sécurité et de lutte antiterroriste. Si M. Erdogan a estimé que Helsinki avait tenu ses promesses, il n’est pas convaincu par les efforts de Stockholm, qui a pourtant modifié sa Constitution, durci sa législation antiterroriste et levé des restrictions sur les exportations d’armes vers la Turquie. Le pays scandinave “a pris des mesures, mais ces changements doivent se traduire dans la pratique”, a expliqué Hakan Fidan, ministre turc des Affaires étrangères, après la réunion de jeudi.

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La Turquie sous pression

Le problème est aussi politique. Une semaine avant le sommet de Vilnius, les autorités suédoises ont autorisé une manifestation lors de laquelle un Irakien a piétiné et brûlé le Coran, ce qui n’a pas apaisé les relations avec de la Turquie. Un incident similaire avait déjà provoqué l’ire d’Ankara en janvier. “La lutte déterminée contre les organisations terroristes et contre l’islamophobie constitue notre ligne rouge”, a tonné M. Erdogan lundi – même si ce deuxième point ne figurait pas dans l’accord trilatéral. La Suède a “respecté les engagements pris” a ainsi répété M. Stoltenberg jeudi, estimant qu’il s’agissait désormais “de combler le fossé entre ce que la Suède a fait et la compréhension qu’en a la Turquie”.

Qu’est-ce qui pourrait permettre d’infléchir la position turque en quelques jours ? Les Alliés peinent à y voir clair. Le président américain Joe Biden a tenté de faire monter la pression, recevant cette semaine à Washington Ulf Kristersson. À cette occasion, il a déclaré attendre “avec impatience” l’adhésion de la Suède à l’Otan, que “les États-Unis soutiennent pleinement, pleinement et pleinement”. M. Biden tente depuis quelques semaines de mettre dans la balance les avions de chasse américains F16 que la Turquie cherche à acheter depuis des années. Mais Ankara refuse, en apparence, de lier ces dossiers. Et le sort de ce contrat de 20 milliards de dollars dépend aussi du Congrès américain, où l’attitude turque passe mal. En mai, juste après le feu vert turc à la Finlande, les législateurs avaient simplement approuvé la vente d’équipement de modernisation des F16 d’Ankara, pour une valeur de 259 millions de dollars.

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Ne pas oublier la Hongrie

Si toute l’attention est axée sur la Turquie, “il ne faut pas oublier la Hongrie”, l’autre pays membre de l’Otan qui n’a pas encore approuvé l’adhésion de la Suède, a toutefois rappelé Camille Grand, qui dirige le programme sécurité et défense du Conseil européen des relations étrangères, lors d’un échange avec la presse vendredi. Certes, le Premier ministre hongrois Viktor Orban assure que si Ankara donne son feu vert, il ne fera pas blocage seul. Mais qu’a-t-il à gagner en traînant des pieds ? “La Hongrie tente de ramener à l’Otan des disputes qu’elle a avec l’Union européenne” (notamment au sujet du respect de l’état de droit), note M. Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan. Ce qui n’aide pas à renforcer la crédibilité de la Hongrie en tant qu’alliée, alors qu’elle semble par ailleurs maintenir une proximité avec la Russie.

“Les Alliés regarderont si la Turquie et la Hongrie, qui ont été difficiles sur nombre de questions, prennent la mesure de ce moment extraordinaire”, anticipe M. Grand. Comme l’a indiqué M. Stoltenberg vendredi, le sommet de Vilnius doit “envoyer un message clair : l’Otan est uni”. Or la saga liée à la Suède déforce cette image. D’ici le 11 juillet, la Hongrie et la Turquie n’auront pas le temps de faire approuver par leurs Parlements respectifs l’adhésion de la Suède, mais un signal politique en ce sens permettrait au moins de sauver la face. Au sommet, la Turquie prendra “la meilleure décision, quelle qu’elle soit” concernant l’adhésion de la Suède, a affirmé vendredi M. Erdogan, sans trop rassurer les Alliés…

Un enjeu sécuritaire

Outre le symbole, c’est la force et la défense de l’Otan qui sont en jeu. “Les États baltes sont vulnérables au regard de leur voisinage terrestre”, composé de la Russie, de son enclave Kaliningrad et de la Biélorussie, “qui n’est au fond qu’une extension militaire de la Russie”, note Linas Kojala, directeur du Centre d’études lituanien sur l’Europe de l’Est. L’adhésion de la Finlande – qui partage 1300 kilomètres de frontière avec la Russie – et de la Suède “change fortement la donne dans cette région. Avec ces deux pays, l’Otan améliore sa profondeur stratégique et la sécurité dans la mer Baltique et sur ce corridor maritime”, qui peut servir à mieux acheminer des troupes et des équipements, en cas de provocation russe. Au sommet de Vilnius, les Alliés doivent justement peaufiner leurs plans de défense, y compris et surtout sur le flanc oriental.