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Rejetée au Parlement européen, la loi sur la restauration de la nature n’est pas encore enterrée

La restauration de la nature, enjeu d’une farouche bataille politique européenne

Le texte soumis au vote en Envi fixait notamment pour objectif la restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et marins endommagés de l’Union européenne d’ici à 2030 (contre 20 % dans la proposition déposée par la Commission européenne), et leur réhabilitation totale en 2050. Il prévoyait également de réserver 10 % des surfaces agricoles à la biodiversité (en plantant des arbres, des haies, en aménageant des points d’eau…).

Soutien total à gauche, opposition totale à droite, les libéraux divisés

Les 18 élus du groupe des socialistes et démocrates (S&D), les 10 Verts, les 6 députés de La Gauche ont voté pour le rapport du socialiste espagnol Cesar Luena, ainsi que 8 des 12 membres du groupe libéral-centriste Renew et deux non-inscrits. Groupe le plus important de l’hémicycle, le Parti populaire européen (PPE) ne faisait pas mystère de son intention d’envoyer le texte par le fond – un amendement en ce sens avait rejeté par la même commission Envi, le 15 juin à Strasbourg sur le même score de 44 pour/44 contre.

La législation sur la restauration de la nature est en sursis

Les 22 élus PPE ont voté comme un seul homme contre le rapport Luena, comme l’ont fait, sur leur droite, les 8 Conservateurs et réformistes européens (ECR), et les 8 membres groupe d’extrême droite Identité et démocratie (ID). Quatre élus Renew et deux non-affiliés ont complété le camp des opposants. Pas de majorité contre, mais pas de majorité pour non plus. La commission Envi va donc recommander à l’ensemble des députés de rejeter le texte, sans doute lors de la séance plénière de juillet. Fin de l’histoire pour l’une des propositions législatives les plus controversées du Pacte vert (ou Green deal) ? Pas si vite.

Le rapporteur Luena pense qu’il serait possible de renverser la tendance en juillet. “Nous irons en plénière. C’est vrai que nous n’aurons pas de rapport à présenter. Nous voterons le rejet et ensuite nous proposerons des amendements basés sur les compromis qui ont été obtenus. Le processus continue à avancer”, assure l’Espagnol. Le pro-législation pensent avoir un atout dans leur manche : le fait que le Conseil ait déjà adopté sa position sur le texte, à une courte majorité d’États membres, dont certains dirigés par le PPE – la Belgique s’est abstenue. “Le Conseil ne dicte pas sa position au Parlement européen”, rétorque le conservateur allemand Peter Liese.

Il sera néanmoins difficile au Parti populaire européen de garder un front uni et inflexible et en plénière, calcule le Français Pascal Canfin (Renew), président de la commission Envi. Il en veut pour meilleure preuve que le président du groupe conservateur, Manfred Weber s’est assuré que ne votent en commission que des députés opposés au texte. “Je sais qu’un tiers des votants PPE n’étaient pas membres de la commission Envi et appartiennent à la (délégation chrétienne-démocrate allemande, NdlR) CDU-CSU, qui représente un cinquième du groupe. Et que trois quarts des remplaçants viennent de la commission Agriculture (qui a rejeté le texte, NdlR). C’était une manipulation très claire du vote en Envi de la part de Weber”, dénonce le Français.

Pascal Canfin veut croire que la diversité des opinions des élus du Parti populaire européen sur le sujet est bien plus grande que ce que laisse penser le vote en Envi, et que cela apparaîtra en plénière. “Je tends les deux mains pour qu’ils reviennent à la table des négociations”, plaide César Luena. Pas certain que l’appel soit entendu.

Le Parti populaire européen ne lâche rien

Le PPE supporte les objectifs du Green deal, assure l’eurodéputée conservatrice allemande Christine Schneider, mais en aucun cas la loi sur la restauration de la nature. “L’approche est mauvaise, la proposition est impraticable, elle est passéiste et elle est marquée idéologiquement”, flingue-t-elle.

Mais encore : le PPE dit redouter l’effet de la législation sur production agricole et la sécurité alimentaire de l’Union – même si 3300 scientifiques ont récemment publié une lettre ouverte démontant cet argument. L’opposition des conservateurs leur permet de se poser en défenseur des intérêts des agriculteurs européens – la colère des fermiers néerlandais et flamands contre les mesures environnementales n’est pas passée inaperçue.

Les politiques de restauration de la nature menacent-elles la souveraineté alimentaire européenne ?

Les groupes favorables au texte défendent qu’il aidera l’Union à atténuer les effets du changement climatique. Le PPE est de l’avis inverse et juge que le texte, sous divers aspects, va à l’encontre des objectifs climatiques de l’UE, notamment parce qu’il propose de lever les obstacles sur 25 000 kilomètres de cours d’eau. “Cela veut dire, enlever des centrales d’énergie hydraulique”, dénonce un autre député allemand, Peter Liese. Le texte a été rejeté par les commissions Agriculture et Pêche, consultées pour avis, puis par la commission Envi, compétente. “Cela ne peut pas être ignoré”, martèle Mme Schneider. Le PPE a réitéré son appel lancé au n°2 de la Commission en charge du Green deal, Frans Timmermans, de retirer le texte. “Il nous faut une autre proposition”, complète son compatriote Peter Liese. C’est un appel dans le désert : le Néerlandais a déjà dit qu’il ne retirerait pas la proposition et que le temps manquait pour en proposer une nouvelle.

Le n°2 de la Commission, Frans Timmermans, cible des conservateurs

Il est d’ailleurs intéressant d’observer que ce soit Frans Timmermans, un social-démocrate néerlandais, qui soit la cible du PPE et non la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, issue de ses rangs, alors que la proposition a été présentée après avoir été approuvée par l’ensemble du collège des commissaires. Comme si, derrière les préoccupations exprimées par les conservateurs au sujet du contenu de la législation, se trouvait un autre objectif, plus directement politique. “Jusqu’à présent, le S&D, une partie de Renew, les Verts et la Gauche se sont comportés comme s’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, pensant qu’il était toujours possible de former des majorités sur le PPE. C’est terminé”, a grondé Peter Liese.

Les conservateurs s’étaient retirés des négociations du texte de compromis et ont voté, à trois reprises, contre le rapport. La porte pour des pourparlers est-elle fermée à double tour ? Interrogée sur la possibilité d’un report du vote à la plénière de septembre, Christine Schneider, a dit ne pas y voir d’intérêt : “J’espère que Timmermans retirera sa loi et que nous n’aurons pas la voter”. Peter Liese est lui favorable à un vote en septembre “pour qu’on ait une bonne législation”.