International

« Même en cas de défaite en Ukraine, la Russie sera gagnante »: ce qui se cache derrière les déclarations de Prigojine, le chef de Wagner

Selon Evgueni Prigojine, les objectifs de “l’opération militaire spéciale” auraient été atteints et les forces russes auraient réussi à « éradiquer la majeure partie de la population masculine active de l’Ukraine et à intimider le reste ». Toujours selon ses propos, la Russie détiendrait “une bonne partie” du territoire ukrainien, qu’il suggère à présent de défendre par tous les moyens nécessaires.

Mais que se cache-t-il derrière ces déclarations et surtout comment peuvent-elles être perçues du côté de Vladimir Poutine? Tanguy Struye, professeur de sciences politiques à l’UCLouvain, livre son éclairage.

« Il ne faut pas s’attendre à une fin de la guerre », commente d’emblée l’expert. « Car ce que Prigojine déclare ici, c’est plus dans une logique de politique intérieure. C’est-à-dire qu’à mon sens, il craint fortement une contre-offensive ukrainienne dans les semaines à venir. Il se dit qu’au vu des gains déjà obtenus, ce serait peut-être mieux pour les Russes que tout s’arrête maintenant. Comme ça, ils pourront dire qu’ils ont quand même obtenu une victoire et ils pourront sortir de ce conflit avec une certaine grandeur. »

Guerre en Ukraine : “Avec l’accord sur les armes nucléaires en Biélorussie, Poutine a obtenu la castration définitive de Loukachenko”

Mais Tanguy Struye insiste sur la suite des propos tenus par Evgueni Prigojine: « Il ne veut cependant rien négocier et, si l’Ukraine entame sa contre-offensive, il affirme être prêt, comme l’armée russe, à riposter. Là où ça devient intéressant, c’est qu’il dit ensuite que même en cas de défaite de l’armée russe face à la contre-offensive ukrainienne, la Russie en sortira gagnante. Pourquoi? Car cela permettra de reconstruire la Russie en interne, c’est-à-dire s’attaquer à tous ceux qui n’ont pas soutenu la guerre et s’attaquer à tous les problèmes qu’il y a eu en interne. Pour finalement créer une nouvelle Russie qui va être beaucoup plus forte dans les années à venir en politique étrangère, en politique de défense et donc sur la scène internationale. »

Mais qu’en pense Vladimir Poutine? « C’est très compliqué de comprendre la relation entre les deux hommes », affirme Tanguy Struye. « On dit qu’il y a de fortes tensions, mais ce sont les médias occidentaux qui relaient ça. On n’a pas de preuves très claires. Ce que j’observe, moi, c’est que Prigojine est toujours en tête à Bakhmout, qu’il est soutenu par l’armée russe, contrairement à ce qu’on avait dit il y a quelques semaines. Si Poutine avait voulu l’éliminer, il aurait pu le faire. Prigojine n’est pas l’homme le plus difficile à tuer en plein milieu d’une intervention militaire… »

Le professeur à l’UCLouvain définit plutôt la relation entre les deux hommes d’« ambiguë ». « A-t-il lui un problème personnel avec Poutine ou avec l’entourage de Poutine? Ce n’est pas très clair. Prigojine est en tout cas un cas un peu unique dans le système Poutine, dans le sens où il dit ce qu’il pense et n’a pas peur de le dire, contrairement à d’autres. »

Sergiy, résistant ukrainien: « J’ai voulu tuer un collaborateur. Cela a eu de graves conséquences »

Pour Tanguy Struye, les propos du chef de Wagner sont aussi stratégiques et une façon de se « placer en interne comme acteur de la politique intérieure russe ». « Il est clair qu’en cas de défaite russe, il se prépare à être une potentielle alternative. »

Et l’expert de conclure, sur une note plus grave: « Il faut se montrer prudent avec les analogies, mais tout ceci rappelle la fin de la Première Guerre mondiale. Quand l’Allemagne a été défaite, il y a aussi eu dans certains courants cette logique du ‘on a perdu la guerre mais on va revenir beaucoup plus fort’, avec finalement une logique de revanche. Et quand je lis les propos de Prigojine, je trouve qu’il est vraiment dans cette logique-là: ‘on va revenir plus fort’… et donc en fait beaucoup plus dangereux. »