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Marioupol, une ville dévastée au cœur de la propagande russe : « Nous vivons maintenant sous occupation »

Apprêtée, souriante, la sexagénaire a failli apercevoir son héros lorsqu’il s’est rendu en personne, incognito, dans la cour de son immeuble le 19 mars dernier, le temps d’une mise en scène. Elle s’enthousiasme, «j’ai vu les voitures, les hélicoptères, mais je ne l’ai vu qu’à la télévision, Vladimir Vladimirovich était beau et si jeune ! ». Les télévisions d’État n’ont visiblement pas relevé qu’une de ses voisines s’est écriée de sa fenêtre, « tout ça c’est faux ! C’est pour le spectacle ! », au nez et à la barbe des services de sécurité. Rappel que toute la ville ne se satisfait pas de l’arrivée des Russes.

La nouvelle Grozny

Ce nouveau quartier créé en lisière de la ville a été nommé « Nevski », en hommage au prince, héros national dont la sépulture repose à Saint-Pétersbourg. La ville natale de Vladimir Poutine a été jumelée à Marioupol, ce qui l’engage à financer une grande partie de la reconstruction. Ce sont les premières pierres d’un gigantesque projet d’effacement des traces de la guerre, organisé de la même façon que la reconstruction de la ville de Grozny après la guerre de Tchétchénie.

Ces bâtiments aux allures de village Potemkine, qui contrastent avec une ville noircie par les incendies, ravagée, ont été construits à la va-vite ces derniers mois, par une entreprise liée au ministère de la Défense. Aux finitions hasardeuses, sans ascenseurs, ces bâtiments soupçonnés d’être au cœur d’un gigantesque schéma de corruption par les enquêteurs qui collaborent avec l’opposant Alexeï Navalny, sont encore, pour la plupart, vides. Ils sont livrés sans meubles et sans titre de propriété avec une petite enveloppe de 100 000 roubles (environ 1 100 euros).

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La voisine de Lydia, elle, est moins bavarde et préfère l’anonymat. Elle est aussi retraitée, elle ne vit pas sereinement dans son nouvel appartement. Cette femme seule craint que Vladimir Poutine en ait fait un symbole d’une reconstruction cynique dénoncée par l’Ukraine. Elle redoute d’éventuels partisans qui choisiraient de s’en prendre aux habitants, ou tout simplement, un tir d’artillerie sur son immeuble…

Une armée d’ouvriers russes

Dans les autres quartiers de la ville, l’ambiance est toute autre. Un an après le siège, le choc de la guerre est omniprésent : Marioupol la martyre peine à renaître. Dans des situations dignes des années 1990, des queues se forment devant les bureaux de poste qui permettent désormais de recevoir des pensions russes. Des marchés de rue sont improvisés, les habitants y vendent leurs derniers vêtements et bibelot pour pouvoir se nourrir. Le quartier central, historique, est inhabité. L’ampleur des destructions est telle, qu’on n’y croise plus que des ouvriers envoyés par la Russie, originaire de Sibérie ou d’Asie centrale.

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La ville de Marioupol, sous contrôle russe, le 27 octobre 2022 en Ukraine

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La ville de Marioupol, sous contrôle russe, le 27 octobre 2022 en Ukraine ©AFP

Ils ont pour mission de rétablir le gaz dans tous les domiciles, changer les fenêtres et réparer les appartements endommagés par les tirs. Ces « cache-misère » sont omniprésents en ville, plus que les habitants dont le nombre est aujourd’hui inconnu. Nikolaï, un jeune ingénieur du son originaire de Perm, dans l’Oural, rentre de son chantier, alcoolisé. « Je suis payé 5000 roubles par jour (environ 56 euros) pour travailler 150 jours sur le chantier d’un hôpital ». Il glisse, « nos gars meurent à la guerre. Nous non plus nous ne voulons pas de guerre. Certains habitants n’aiment pas les Russes, ils sont hostiles. Mais nous sommes venus en paix, pour reconstruire ».

Les trois usines métallurgiques de la ville, qui furent les employeurs principaux de la cité, sont hors d’usage. La célèbre usine Azovstal n’est plus qu’un enchevêtrement de métal et de béton. Un an après, les autorités déminent encore les lieux tandis que 4 500 hommes s’emploient à découper le métal. Le quartier Est est détruit à 100 %. Même chose pour le centre historique et les quartiers d’habitation situés à proximité du port. Il n’y a plus âme qui vive, tout n’est que ruines et désolation. Dans toutes les cages d’escaliers, des inscriptions à destination des secouristes et des maraudeurs – « habitants vivants » – apparaissent encore sur les portes des appartements.

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« On était si bien ici »

C’est à proximité du port que Natalia et Vitali, couple de quarantenaires, avaient construit la maison de leur vie. « Un bâtiment à deux étages avec vue sur la mer d’Azov avec la cuisine de nos rêves », se rappelle la jeune femme. « Un matin, les combats ont commencé et nous nous sommes retrouvés entre deux camps. Il y avait des bombardiers, de l’artillerie de tous les côtés. C’était effrayant, ils reprenaient les combats tous les jours à 4h du matin », se souvient l’ancienne auto-entrepreneur, encore sous le choc. Pendant un mois, le couple a vécu dans sa cave avec une quinzaine de voisins. « Il a fait jusqu’à -10 degrés, on tenait à l’adrénaline. L’électricité puis l’eau et le gaz ont été coupés, un tir a touché le toit de la maison, nous avons alors décidé de partir », livre-t-elle, dans une colère froide. Elle s’autorise à chuchoter l’interdit : « Nous vivions en Ukraine, la ville était belle, elle se développait, il y avait des touristes. Puis la Russie est arrivée, nous sommes maintenant sous occupation ».

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