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Le rêve de “Nouvelle République” du président al Sissi se transforme en cauchemar

“Le régime d’Abdel Fattah al-Sissi s’est lancé dans des méga projets de construction non rentables pour l’économie. Plutôt que d’investir dans des projets de production comme des usines, le pouvoir n’a cessé de s’endetter pour la construction de monstres de béton, comme la nouvelle capitale, la ville nouvelle d’Al-Alamein sur la Méditerranée, des autoroutes ou encore un monorail en plein désert. Résultat de cette politique : une crise économique”, a expliqué, Elhami El Merghani, le secrétaire général du parti El Tahalof el Shaabi (l’Alliance populaire).

Des millions d’Egyptiens tentent de survivre, alors que la crise économique s’accentue : « Le régime a peur d’une révolte sociale »

Personne n’ose dire “non”

Pour plusieurs chercheurs et observateurs, les dépenses du régime égyptien ont largement dépassé les moyens du pays. Il s’est lancé dans des projets qui servent son image, sans tenir compte des répercussions de cette politique sur l’économie, et est resté sourd aux opinions des experts qui l’ont mis en garde. Dans un État militaire, dirigé d’une main de fer, personne n’ose dire “non” aux ambitions de l’ancien maréchal devenu président.

Parmi les dépenses controversées figure la construction de deux nouvelles capitales administratives. En juin 2022, il a annoncé avoir achevé la plupart des travaux de construction de la première phase de la ville nouvelle d’Al Alamein sur la Méditerranée, dans le nord-ouest du pays. Déjà surnommée la “Dubaï égyptienne”, son coût est estimé à 4 milliards d’euros, et elle servira de capitale du gouvernement pendant l’été. Simultanément, des travaux continuent jour et nuit, depuis 2016, pour venir à bout d’un autre projet pharaonique, devenu la priorité absolue du régime égyptien : la Nouvelle capitale, à l’est du Caire, qui a coûté jusqu’à aujourd’hui, selon des médias, quelque 54 milliards d’euros.

Dans cette nouvelle capitale, grandeur et décadence semblent être la norme. En témoigne une nouvelle mosquée “de luxe”, destinée à incarner l’homme fort du pays. Construite sur une superficie de 450 000 mètres carrés, cette mosquée ultramoderne qui porte le nom du président, a rejoint en mars dernier la liste du Guinness world records, pour sa plus haute chaire d’imam et le plus grand lustre du monde. L’édifice, fierté du président al Sissi, a coûté près de 24 millions d’euros.

Une situation catastrophique

Et ce n’est pas tout. Les habitants des deux capitales bénéficieront de moyens de transport de luxe, dans un pays où près de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon les estimations de la Banque mondiale. En juin 2021, l’État a confié à un consortium d’entreprises locales et internationales le projet de construction d’un monorail, pour relier la nouvelle capitale au Caire, pour un coût estimé à 3 milliards d’euros. En outre, un méga projet de TGV électrique estimé à 7,5 milliards d’euros a été lancé pour relier l’est et l’ouest du pays, en passant par les deux nouvelles capitales.

Ces méga projets ont érodé la réserve du pays en dollars et aggravé la dette étrangère du pays. Début avril, le ministère égyptien de la Planification a annoncé que les dettes étrangères en Égypte ont atteint 163 milliards de dollars (148 milliards d’euros) fin 2022. Il y a huit ans, la dette égyptienne était d’à peine 42 milliards d’euros.

“Il y a un problème dans les priorités du régime égyptien. L’État est devenu comme une grande entreprise qui réalise des constructions partout”, commente pour sa part, Ammar Ali Hassan, ancien professeur de la politique sociale, à l’université publique de Helwan, au Caire. “Le pouvoir égyptien est en danger, à cause de l’accumulation des dettes, du déficit de la balance commercial, et du budget. La fermeture de l’espace public et la politique de main de fer ont accéléré la fuite des capitaux du pays”, ajoute le chercheur.

Ces rêves de modernisation ont réduit à néant ceux de millions d’Égyptiens, qui ont basculé dans la pauvreté. Fin de l’année dernière, l’Égypte a trouvé un accord avec le FMI lui permettant de recevoir un prêt de 3 milliards de dollars pour pouvoir rembourser à peine une poignée de dettes, à condition que l’Égypte laisse flotter pour une troisième fois sa monnaie. Résultat: en un an, la livre égyptienne a perdu la moitié de sa valeur face au dollar. Une situation catastrophique pour les Égyptiens, résignés à regarder les prix des aliments de première nécessité s’envoler. Tout au long de l’exécution de ces projets, le président al Sissi a demandé aux Égyptiens d’être patients pour récolter les fruits de sa politique. Huit ans plus tard, ils doivent vivre au quotidien dans une pauvreté générale, forcés de s’adapter à une inflation historique et une économie en faillite, estime Elhami El Merghani.