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Le football, une revanche pour Naples : « La victoire de l’équipe sera aussi un message envoyé au reste de l’Italie »

Devant les centaines d’écharpes déposées au pied de l’autel peint en bleu ciel, les couleurs de l’équipe de Naples, les pères poussent leurs enfants en avant pour les prendre en photo. “Moi j’ai vécu la victoire il y a trente-trois ans, mais je voulais que mon fils se souvienne de celle-ci. Elle sera encore plus belle car on l’a attendue longtemps, mais Maradona restera le plus grand joueur de l’histoire !” Son fils âgé de dix ans, habillé avec toute la panoplie du parfait tifoso répète sans se faire prier : “L’équipe de Naples est la plus forte du monde”

Diego Maradona sera toujours éternel

Dans les ruelles des quartiers espagnols, la décoration est prête depuis des semaines. Aux traditionnelles cordes à linge suspendues entre les balcons, se sont ajoutés des rubans bleu et blanc où pendent parfois les figurines des joueurs, les nouveaux héros de cette ville, unique en son genre. Le titre de champion d’Italie était attendu pour ce dimanche mais le match nul concédé à domicile face à la Salernitana dans les dernières minutes de jeu a renvoyé la fête. Le SCC Napoli compte dix-huit points d’avance sur la Lazio Rome. Il pourrait être sacré dès mercredi soir, sans jouer, si son plus proche poursuivant ne l’emporte pas, ou jeudi soir, en cas de victoire à l’Udinese. Le troisième titre est une certitude, mais dans cette ville où la superstition atteint des sommets, personne n’ose crier victoire avant l’heure.

La revanche

Gennaro Troia, un artiste de rue, a dessiné aux pastels, sur le trottoir, une immense fresque représentant la victoire du Napoli. Aux joueurs actuels, il a ajouté Diego Maradona. “C’est une allégorie de la revanche, car ce n’est pas seulement un évènement sportif. On nous dit souvent que nous, les Napolitains nous devrions mourir, brûlés par la lave de notre volcan (le Vésuve, NdlR), mais le feu nous l’avons en nous.” Naples est souvent critiquée pour son exubérance, son mépris des règles, pour être le foyer d’une puissante criminalité organisée. “C’est vrai que beaucoup d’habitants doivent s’arranger, comme on dit ici, pour survivre, mais la victoire de l’équipe sera aussi un message envoyé au reste de l’Italie : nous les Napolitains, nous sommes toujours debout quoi qu’il arrive !”

Dans les rues, les couleurs de la fête font oublier la crasse et les immondices. Chaque quartier populaire a voulu rivaliser d’imagination pour célébrer cet évènement attendu depuis trente-trois ans. A Forcella, les supporters ont organisé les funérailles des autres clubs de football. A Scampia, on a coupé le toit des voitures pour les transformer en décapotables, afin de pouvoir agiter des immenses drapeaux aux couleurs de l’équipe. Au bar Vesuvio, Lino a inventé le café des champions, un expresso napolitain recouvert d’une mousse de lait bleue. Un peu plus loin, le coiffeur Paolo teint en bleu les cheveux de ses clients. “On va fêter cela pendant des jours et des semaines”, promet un habitant qui souffle déjà dans une trompette en plastique.

Le droit de s’enrichir

À chaque coin de rue, le souk napolitain reprend ses droits. “Quoi tu veux me le payer 3,5 euros ce drapeau ? Mais pourquoi faut-il toujours marchander ? Comment vais-je gagner ma vie ?”, se lamente Samuele Daniele en dialecte napolitain. Peu après, le client parti, il avouera discrètement qu’il a vendu plus de 6400 drapeaux en une seule journée, à 5 ou 10 euros pièce. La victoire du Napoli s’est transformée en manne céleste pour lui comme pour les nombreux commerces. “Cette nuit j’ai fait refaire des drapeaux, regardez, le graphisme, l’impression, la couture, tout cela en une nuit ! ” Bien entendu, il ne possède pas la licence du club de football, et vend donc des copies non autorisées. Maradona disait qu’il était content si les Napolitains profitaient de son image parce qu’il était né pauvre et devenu riche. S’il pouvait aider les gens, il le faisait” , justifie Samuele. “Le club du Napoli fait du bien à la ville, mais évidemment qu’on copie, tous, toute la ville de Naples copie ! ” Un peu plus bas, Peppe confirme. “Regardez cette étiquette, il est écrit : “Copie non conforme”. Je sais que le président De Laurentis, (NDLR le président de la société sportive de football de Naples) voudrait vendre exclusivement les maillots officiels, mais il les vend 150 euros pièce, moi 10 euros. Alors les familles préfèrent les miens !

Le sude de l’Italie est saigné de ses travailleurs par les mafias

Les agents de la finance ont confisqué 18 000 faux maillots au nom des joueurs, pour un montant de 800 000 euros, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Partout dans la ville, les ateliers clandestins travaillent jour et nuit pour fournir les magasins des vieux quartiers en objets aux couleurs du club. Car le succès du club de Naples fait aussi l’affaire des clans de la Camorra, la mafia napolitaine, qui organisent le trafic juteux de cette fête du football.