France

Plus de hérissons en France en 2025 ? Pas si vite….

En France, l’espèce hérisson « sera quasiment éteinte en 2025 ». Jean-Xavier Duhart ne prend guère de gants dans la pétition qu’il a lancée sur le site Change.org. L’animal aura quasiment disparu dans certains territoires et, dans d’autres, les effectifs seront si réduits que l’animal ne sera plus en mesure de se reproduire, prédit-il.

Le texte a été mis en ligne en 2016, mais ce passionné de l’animal, derrière le site familleherisson.fr, le fait vivre activement. Avec un certain succès même, puisque la pétition continue d’être reprise régulièrement dans les médias et enregistre toujours de nouvelles signatures. Sans peine, elle devrait passer le cap des 300.000 signatures, l’objectif visé et qui en ferait l’une des pétitions les plus signées sur change.org.

« Il reste une espèce commune en métropole »

Pourtant, « en aucun cas, le hérisson va disparaître de France d’ici deux ans », assure le biologiste Patrice Haffner, chef du pôle « Espèces » au service « Patrimoine naturel » au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). « Il reste une espèce commune en métropole, présente un peu partout sur le territoire et dont on peut dire, sans se tromper, que les effectifs se comptent en centaine de milliers », abonde Florian Kichner, chargé de programme « espèce » à l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN)-France.

L’ONG est connue pour sa « liste rouge », un inventaire mondial de l’état de conservation des espèces végétales et animales. « Et pour qu’une espèce y apparaisse comme menacée, il faut soit des effectifs faibles, soit une répartition très restreinte, soit encore un déclin de la population très marqué, énumère Florian Kichner. En France, nous considérons que le hérisson ne coche aucune de ces cases à ce jour et qu’il n’est pas menacé d’extinction dans les décennies qui viennent. »

Les observations britanniques comme point de départ

Mais d’où Jean-Xavier Duhart tire-t-il alors ces projections alarmistes ? De Grande-Bretagne, répond-il. Outre-Manche, des grands programmes de sciences participatives, appelant les Britanniques à compter et signaler les hérissons aperçus, ont été lancés depuis le début des années 2000, notamment par des fondations comme la People’s Trust for endangered species (PTES) ou British Hedgehog Preservation Society (BHPS). Dès 2013, la première tirait la sonnette d’alarme, notamment dans le Gardian, en estimant à moins d’un million le nombre de hérissons restant en Grande Bretagne, quand la population était évaluée deux millions au milieu des années 1990 et même 36 millions en 1950. « Depuis, les chiffres ont encore été revus à la baisse pour tomber à environ 500.000 individus et le hérisson est, depuis 2020, classé sur la liste rouge des espèces menacées de l’IUCN en Grande-Bretagne », poursuit Jean-Xavier Duhart.

L’auteur de la pétition a alors extrapolé les chiffres britanniques à la France, en considérant qu’il se passe à peu près la même chose chez nous. Et en prolongeant les courbes, il en vient à estimer la quasi-disparition de l’animal en 2025.

« Pas scientifiquement rigoureux »…

La méthode fait tiquer Patrice Haffner. « Elle n’est pas scientifique », tranche-t-il. Surtout, le biologiste du MNHN revient sur les études britanniques sur lesquelles s’appuie Jean-Xavier Duhart. « Très bien faites certes, mais beaucoup plus prudentes que laisse entendre la pétition », précise-t-il. Dans l’édition 2022 de leur rapport commun, la PTES et BHPS ne donnent ainsi, pour seule estimation de population, celle qu’a faite la Mammal Society – autre association caritative britannique- en 2018. Soit 879.000 individus. Aussitôt, le rapport précise qu’« il y a beaucoup d’incertitudes sur ce chiffre ». Rien d’étonnant rappelle Patrice Haffner, « le hérisson étant un animal nocturne, discret et occupant un vaste territoire ».

Tout de même, en croisant différentes études, la PTES et BHPS arrivent bien au constat d’un long déclin de la population des hérissons en Grande-Bretagne. Mais les deux ONG nuancent : « dans les zones urbaines, les populations apparaissent désormais stable voire montrent des signes de reprises », observent-elles. En revanche, en zone rurale, le hérisson aurait perdu « entre un tiers et les trois quarts de sa population ». Avec toutefois des disparités régionales, la moitié Est de l’Angleterre étant plus touchée.

Des inquiétudes tout de même sur le hérisson en France

C’est un mérite alors qui peut être accordé à Jean-Xavier Duhart : Celui d’avoir attiré l’attention sur le sort du hérisson en France. S’il ne va pas disparaître en 2025, il est fort probable que sa population décline chez nous aussi. On retrouve, en tout cas, les mêmes pressions des deux côtés de la Manche. Gilles Benest, président de France Nature Environnement Doubs, cite surtout l’essor de l’agriculture intensive. « La simplification des paysages (destruction des haies) et le recours massif aux pesticides ont fait fondre les ressources alimentaires du hérisson, grand mangeur d’insectes et de limaces. »

S’ajoutent aussi les collisions routières toujours et encore. « Mais justement, on observe moins de hérissons morts sur le bord de route que par le passé alors que le trafic automobile n’a pas diminué en intensité, fait remarquer le biologiste du MNHN. Si bien qu’on peut en déduire que l’animal est aussi en déclin chez nous. »

C’est le moment d’ouvrir l’œil

Reste à confirmer cette intuition avec des données robustes. « Jusqu’à présent, les efforts se sont concentrés sur les espèces qu’on savait les plus menacées et beaucoup moins sur les communes comme les hérissons, les belettes, les blaireaux… », concède Florian Kichner.

Des associations tentent de rectifier le tir. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) a ainsi lancé, en 2020, la « mission hérisson » qui nous invite à installer, cinq nuits de suite, des tunnels à empreintes dans nos jardin ou un coin de nature et à relever les traces chaque matin. En parallèle, la FNE a lancé un grand recensement du hérisson. Plus simple. « Il suffit, dès qu’on aperçoit un hérisson, vivant ou mort, de le signaler sur une plateforme en ligne et de répondre à une rapide enquête en ligne pour préciser les circonstances », raconte Gilles Benest. Et c’est le moment d’ouvrir l’œil alors que le mammifère sort petit à petit d’hibernation. La FNE a ainsi reçu 258 signalements (pouvant correspondre à plusieurs hérissons vus) depuis le début de l’année et 5.369, l’an dernier. « D’ici trois-quatre ans, on peut espérer avoir suffisamment de données pour faire des premières estimations de population », estime Gilles Benest. Jean-Xavier Duhart craint de son côté qu’il soit alors trop tard pour agir.