International

La réforme judiciaire qui ferait d’Israël une “dictature”

La mesure la plus emblématique de la proposition de loi est la possibilité pour la Knesset (parlement) de rejeter les arrêts de la Cour suprême, à la majorité simple. Cette Cour, la plus haute instance judiciaire d’Israël, est aujourd’hui la seule à contrôler la constitutionnalité des lois. Or, cette prérogative, bien que largement admise, ne figure pas dans la loi fondamentale sur le pouvoir judiciaire. Le gouvernement Netanyahou, qui juge la Cour trop politisée et son pouvoir disproportionné, tente de combler cette lacune en en profitant pour “rééquilibrer le rapport de force” entre la justice et le législateur.

Une majorité automatique

Deux dispositions, adoptées fin février en première lecture, vont dans ce sens. L’une empêche la Cour suprême d’invalider toute nouvelle loi fondamentale (faisant office de chapitre d’une hypothétique constitution) qui serait adoptée par le Parlement. L’autre stipule que la coalition au pouvoir dispose d’une majorité automatique au sein de la commission chargée de nommer les juges, y compris ceux de la Cour suprême.

Israël se déchire sur fond de changement de régime

Dans un tel cadre institutionnel, l’exécutif aurait toute latitude pour gouverner sans le moindre garde-fou ni la moindre perspective de sanction judiciaire de sa politique. Un tel gouvernement tout-puissant, craignent les défenseurs de l’état de droit, constituerait une porte ouverte à toutes les dérives. Il pourrait ainsi décider, par exemple, de ne plus autoriser les manifestations que l’on voit dans les rues depuis le début de l’année. Les déclarations du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir (Force juive, extrême droite), ne sont pas loin de s’en rapprocher : “Il est interdit de bloquer les axes de circulation principaux”, a-t-il mis en garde jeudi, estimant que “le droit d’expression n’est pas la porte ouverte à l’anarchie et ne doit pas perturber la vie des citoyens”.

« Coup d’État judiciaire”

En gestation depuis des années, cette réforme du pouvoir judiciaire proposée par le ministre de la Justice Yariv Levin (Likoud, droite) est devenue la priorité absolue du Premier ministre Benjamin Netanyahou depuis qu’il est revenu au pouvoir, fin décembre, à la tête d’une coalition alliant droite et extrême droite. Mais l’homme, qui est jugé depuis deux ans pour fraude et corruption, s’attendait-il à une telle levée de boucliers tous azimuts ?

La controverse est totale. Depuis les Nations unies, qui ont demandé la suspension de la réforme, jusqu’aux citoyens inquiets pour leur état. Le sujet a même fait sortir du bois des personnalités respectées qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer publiquement. Un signe qui ne trompe pas que l’on touche là à un fondement de l’État d’Israël, ce que souligne d’ailleurs l’omniprésence du drapeau national dans les cortèges. “Il s’agit d’une attaque débridée contre le système judiciaire, comme s’il représentait un ennemi qui devait être […] écrasé”, a déclaré la juge à la Cour suprême Esther Hayout.

D’autres voix plus connues, comme celle de l’ancien ambassadeur Elie Barnavi, font état de leur “peur” non pas seulement “des conséquences de la politique” du gouvernement mais du “gouvernement” en tant que tel qui monte sous les yeux de la population “un coup d’État judiciaire”.

Un possible compromis

J’ai peur d’un gouvernement qui entend émasculer la Haute Cour de justice, seul rempart constitutionnel face à l’arbitraire du pouvoir dans un pays qui n’a ni constitution écrite, ni parlement bicaméral, […] ni rien qui sous d’autres cieux garantit les libertés fondamentales des citoyens”, écrit-il dans la revue Regards du Centre communautaire laïc juif (CCLJ).

Premier fruit de ce grand ramdam, une proposition de compromis portée entre autres par l’ancien ministre de la Justice Daniel Friedman (2007-2009) est parvenue mercredi à son actuel successeur, qui estime qu’elle va “dans la bonne direction”. Elle prévoit, entre autres, une clause d’annulation des décisions de la Cour suprême par une majorité spéciale de 65 voix – au lieu de 61 dans le projet de réforme – sur les 120 que compte la Knesset. Cette même majorité permettra aussi de repasser des lois annulées ou modifiées par le Cour suprême.