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La Chouette d’or : cette chasse au trésor rend fous des milliers de chercheurs

Aujourd’hui encore, plusieurs milliers de « chouetteurs » – de Lille à Marseille, de Bruxelles à Montréal – continuent de s’invectiver, désormais sur un canal Discord, entre partisans de telle piste, défenseurs de telle théorie, partisans de telle « zone finale », certains persuadés d’avoir trouvé l’emplacement du trésor sans pour autant avoir réussi à le déterrer. Avec une nouvelle polémique sur laquelle s’écharper depuis quelque temps : la reprise en main du jeu, il y a deux ans, par l’un des deux cofondateurs survivant, le peintre et créateur de la chouette Michel Becker, accusé par certains de vouloir accélérer la découverte du volatile. Et autour duquel une centaine de chouetteurs se retrouvaient le week-end dernier à Rochefort (Charente-Maritime), pour deux jours de commémoration.

Onze énigmes accompagnées de onze tableaux

Tout a débuté dans la nuit du 23 au 24 avril 1993. Après plusieurs heures de route depuis la capitale française, Régis Hauser, professionnel du marketing, gare sa voiture sur un terrain public en pleine nature. Il est trois heures du matin. L’homme sort sa pelle, creuse un trou de 80 cm, avant d’y enfouir, à l’abri des regards, une sculpture de chouette en bronze, réplique de la « vraie », présentée alors comme valant 1 million de francs (environ 150 000 euros) et gardée en lieu sûr. Quelques jours plus tard sort en librairie un petit ouvrage : Sur la trace de la Chouette d’or. Onze énigmes, très courtes, accompagnées de onze tableaux de Michel Becker. Et dont la résolution est censée conduire à la cache.

Mais en réalité, ce n’est pas seulement à onze petits textes que les chercheurs vont être rapidement confrontés, mais à des milliers de sources qui vont, selon Michel Becker, finir par noyer la chasse. Dans les mois qui suivent la sortie du livre, Régis Hauser, qui utilise désormais le pseudo de Max Valentin, va faire publier dans la presse des « indications supplémentaires », des « IS », afin de relancer régulièrement le jeu. Et qui restent tout aussi énigmatiques que les énigmes elles-mêmes. Dans le même temps, l’homme tient un lucratif serveur 3615 où il répond – sans vraiment répondre – aux questions de plus en plus pressantes des milliers de chouetteurs. Ce seront les Madits (« Max a dit ») : des dizaines de milliers de messages postés en quelques années sur le minitel, interprétables dans tous les sens, et sur lesquels s’écharpent encore vigoureusement les chercheurs. Tous les ingrédients d’une quasi-religion, dont le gourou ne sera cependant pas éternel : dans la nuit du 23 au 24 avril 2009, seize ans nuit pour nuit après l’enterrement de l’oiseau, Régis Hauser décède, à l’âge de 62 ans. Il était le seul – hormis un huissier – à connaître les solutions. Trauma dans la communauté des chercheurs.

Multiplication de procédures judiciaires

La chouette, de son côté, va connaître plusieurs péripéties judiciaires. En 2005, comme le rappelle Julien Alvarez dans son livre Chouette d’or, l’enquête (1), la société qui loue le coffre où elle est hébergée fait faillite. La justice saisit l’oiseau. C’est le drame. L’objet est finalement récupéré par Michel Becker… qui va le mettre aux enchères en 2014. Nouveau drame. L’intervention d’une association de chouetteurs permettra au dernier moment de suspendre la vente.

Parallèlement, un chouetteur, Yvon Crolet, persuadé d’avoir décrypté les énigmes, mais dont le trou s’avérera désespérément vierge, multipliera les procédures judiciaires contre les organisateurs de la chasse, qu’il considère comme une vaste supercherie. Il lancera également une pétition afin de mettre fin au jeu. « La chasse au trésor ‘la Chouette d’or consiste à chercher un prétendu trésor caché dans un lieu précis. Cette pratique peut entraîner du stress, de l’anxiété, de la frustration et des conséquences psychologiques négatives pour les personnes qui y participent, écrit l’homme qui a consacré une partie de sa vie à rechercher l’oiseau. Les chercheurs peuvent également devenir dépendants de la quête et perdre de vue leur vie personnelle et professionnelle. Nous demandons à ce que cette chasse soit interdite ou empêchée strictement pour éviter les dommages psychologiques pour les chercheurs. »

De fait, cette chasse rend fou. Et méchant. Max Valentin recevait ainsi régulièrement des messages menaçants sur le serveur minitel, comme le rappelle Julien Alvarez dans son livre. En 1997, le Figaro Magazine rapporte l’un de ces nombreux courriers électroniques inquiétants : « On s’est creusé les méninges, on a creusé les énigmes, on a creusé des trous. Que faut-il creuser maintenant, votre tombe ? »

En 2021, nouveau coup de théâtre. Après des années de procédure, Michel Becker, le coorganisateur du jeu, récupère les solutions auprès des héritiers de Régis Hauser. Non sans mal : c’est une disquette 3,5 pouces cryptée qu’il réceptionne, enregistré sous un format informatique (.sam) aujourd’hui illisible. Après avoir retrouvé un lecteur de disquettes, et au milieu de plusieurs dizaines de pages aux caractères incompréhensibles, Becker finit par en expurger les solutions.

Une chasse au trésor a enthousiasmé, voire obsédé des dizaines de milliers d’Américains durant une décennie

Et c’est à nouveau au cours d’une nuit, celle du 22 au 23 octobre 2021, que le peintre, accompagné de son huissière de justice, Blanche Neige-Schmitt (sic), va aller vérifier l’emplacement du piaf. Surprise : l’oiseau n’est pas en bronze mais en ferraille. Et très rouillé. Max Valentin est-il revenu, par le passé, déterrer l’exemplaire en bronze ? Qu’importe : celle en or est dans un coffre. Le peintre, qui avait emporté avec lui un autre exemplaire en bronze, inhume une seconde fois l’oiseau. Puis au petit matin, s’en retourne avec Blanche Neige.

Une troisième (et dernière ?) phase du jeu va alors commencer : celle de Michel Becker, 73 ans, et de ses conférences vocales interminables sur un salon Discord, nouvelle source d’informations – et peut-être de confusion – dans cette incroyable chasse. Ce seront les « Midits ».

Becker commence par faire quelques révélations : Max Valentin a un peu menti, ou, a minima, beaucoup embrouillé les chercheurs, pendant des années, dans ses réponses sur le minitel. Lui veut les remettre sur la bonne piste. Pour les chercheurs de longue date, c’est la douche froide.

« Comment reprendre un historique de trente ans, pour renouer un dialogue entre des participants à un jeu et un organisateur sans pénaliser ceux qui ont commencé il y a trente ans, ceux qui commencent maintenant, et tous ceux qui ont commencé entre-temps. C’est là le vrai débat », glissait-il dans un échange vocal de cinq heures avec les chouetteurs, mardi 18 avril. Bref, en dire, mais pas trop non plus.

Le blocage, selon lui, résiderait dans l’avant-dernière énigme, prélude à la « super solution ». Tout pourrait ainsi se dénouer grâce à une expression courante, qui est « sous votre nez depuis trente ans », dixit Becker. Mais que personne ne saurait interpréter.

« Changement de braquet »

Pour les 30 ans de la Chouette, Becker a alors décidé de communiquer, samedi, une nouvelle indication supplémentaire. Ou plutôt un « éclairage », tient-il à préciser. Mais un vrai, celui-ci, permettant enfin de trouver le trésor. D’avoir « le déclic » final, le « changement de braquet » conduisant à l’oiseau d’or.

Suffira-t-il à débloquer le jeu ? A voir. Pour l’heure, le clivage historique entre chouetteurs persiste, avec daboïstes d’un côté, et anti-daboïste de l’autre. Dabo ? Un petit village des Vosges mosellanes, vers lequel pointent pour l’instant toutes les solutions « communément admises ». Et notamment vers les « sentinelles », des bornes menhirs à 3 kilomètres de là, perdues dans la forêt de pins géants, et autour desquelles la terre a été retournée maintes fois depuis trois décennies. Non sans s’attirer la moquerie, voire l’agacement, des habitants du village.

Michel Becker va aussi mettre en place un système – payant – de validation des solutions en ligne. « La chasse semble présenter tellement de possibilités que je veux éviter [aux chouetteurs] de leur faire faire des déplacements en vain, de dépenser de l’argent. Il y a [aussi] une notion de plus en plus prégnante qui est celle de la préservation des sites. Il y a eu tellement de trous creusés à Dabo qu’il faut calmer le jeu, expliquait-il en début de semaine. Et comme j’ai pris la précaution de travailler avec un huissier de manière approfondie, si demain je claque, il y a une suite qui est prévue, tout s’enchaîne et le système perdure. » Car le trésor, selon lui, pourrait être trouvé dans quelques semaines, comme dans 50 ans.

Le sera-t-il vraiment un jour ? Quelque temps avant sa mort, Régis Hauser avait fait part des milliers de courriers reçus. Parmi eux, un message avait retenu particulièrement son attention, raconte Julien Alvarez. Un chouetteur lui avait ainsi écrit : « Excusez-moi de vous poser cette question de façon aussi abrupte : y a-t-il une petite chance, une chance infime, que Michel Becker et vous-même soyez fous à lier et que tout ceci fasse partie de votre thérapie ? »

(1) Editions du Trésor, 2022, 222 pages, 19 euros.