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D’un côté Erdogan le « reis », de l’autre le candidat de la réconciliation… À une semaine de la présidentielle, les Turcs retiennent leur souffle

Six cent mille personnes étaient rassemblées dans un parc de Maltepe sur la rive européenne d’Istanbul ce samedi pour assister au plus grand meeting du candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu. Il était accompagné des cinq autres leaders de parti et des deux maires d’Istanbul et d’Ankara, sous le slogan : « C’est en faisant alliance que l’on gagnera ». « Aucun enfant ne se couchera le ventre vide dans ce pays. Aucun pauvre ne sera privé d’électricité, d’eau et de gaz naturel. Nous ferons de ce pays un paradis et nous vivrons ensemble en paix« , a promis Kemal Kiliçdaroglu, devant la foule en liesse.

Le candidat de la réconciliation

Officiellement désigné comme candidat de l’opposition début mars, le choix de ce dernier avait fait polémique et la coalition aurait pu exploser. Mais la formule proposée in extremis a fait mouche : les très populaires maires d’Istanbul et d’Ankara ont finalement été ajoutés à la liste des vice-présidents. L’accord conclu par les six partis de la coalition se donne pour objectif de restaurer un régime parlementaire afin de mettre un terme aux dérives autoritaires du président Recep Tayyip Erdogan, rendues possibles par la Constitution adoptée sous état d’urgence en 2017.

Depuis l’automne 2021, Kemal Kiliçdaroglu développe également un discours de « réconciliation » nationale qui s’inscrit en opposition avec la stratégie de polarisation du pouvoir de M. Erdogan. Dans de courtes vidéos publiées sur les réseaux sociaux, il s’est tour à tour adressé aux femmes voilées, aux Kurdes ou encore aux minorités religieuses en parlant ouvertement de son identité alévie. Autant de messages envoyés à des segments de la population ayant souffert de la politique d’homogénéisation culturelle par le haut imposée ces dernières années.

Le cœur avec les mains, très utilisé par les jeunes générations, s’est imposé comme signe de ralliement. Parmi les participants, Gamze, 22 ans, votera pour la première fois comme cinq millions de Turcs. Pour elle, aucun doute, l’AKP doit quitter le pouvoir. Elle glissera un bulletin dans l’urne pour Kemal Kiliçdaroglu à la présidentielle et les listes de la coalition d’opposition aux législatives. « Il n’y a pas de liberté d’expression dans notre pays. J’ai moi-même été poursuivie pour avoir critiqué Erdogan et le pouvoir. Je suis en liberté conditionnelle pendant cinq ans », explique-t-elle. Bien que voilée, Arzu, mère de famille et femme au foyer d’une quarantaine d’années, n’hésite plus à soutenir le parti républicain du peuple (CHP, parti de M. Kiliçdaroglu, NdlR). « Je ne veux plus que les partis politiques instrumentalisent la religion », s’indigne-t-elle. « Avant, je votais pour l’AKP, mais j’ai changé d’avis et beaucoup de gens dans mon entourage font de même« , assure-t-elle.

A un mois d’un scrutin historique, la fébrilité règne en Turquie

Mais contrairement à Arzu, beaucoup d’électrices et d’électeurs continuent à être des soutiens indéfectibles du « reis ». Ils étaient 1,7 million sur le tarmac de l’aéroport d’Atatürk ce dimanche, d’après les chiffres avancés par le président lui-même. « Je trouve admirable sa posture contre les forces étrangères, s’enthousiasme Emine. Je l’ai toujours soutenu car il a une vision. Il a fait des choses admirables pour notre pays, et le nier est vraiment un acte de pure ingratitude », juge-t-elle. Comme des millions de soutiens de l’AKP, les vingt ans au pouvoir n’ont en rien écorné l’admiration qu’elle lui porte.

À peine entré sur scène, le président s’est aventuré à chanter pour communier avec la foulequi s’étendait à perte de vue, mettant notamment en avant durant sa campagne les progrès de l’industrie de défense turque. Alors que le pays fête en 2023 le centenaire de la fondation de la république turque, Recep Tayyip Erdogan achèverait symboliquement son récit de révolution culturelle s’il venait à être réélu. Son parti, crédité de 35 % des intentions de vote, se maintient en position de 1er parti dans le pays avec 14 points d’avance sur son premier concurrent le CHP.

Quant à la crise économique qui mine le pays, les électeurs de Recep Tayyip Erdogan balaient la question d’un revers de main : « Ce n’est pas un problème qu’en Turquie, c’est mondial. Même le dollar a perdu de la valeur, réplique Mehmet Sahin, si quelqu’un peut rétablir l’économie, c’est bien Erdogan !« .

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