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Des Ukrainiens formés à la maîtrise du char Léopard 2 : « Les Russes ont raison d’être nerveux »

Armés de jumelles, les instructeurs allemands observent de loin le cours de cet exercice et suivent les conversations des équipages retransmises par des haut-parleurs et traduites de manière simultanée. Au boucan des détonations s’ajoute la lumière rouge du tir qui permet de suivre la trajectoire et de vérifier si les cibles ont été atteintes. Lors de cette session, les seize soldats de ces quatre équipages s’en tireront bien, selon un instructeur, avec 82 % de réussite contre 85 % en moyenne.

Une formation expresse de soldats ukrainiens parfois inexpérimentés

Ces soldats sont bien préparés vu les conditions limitées qui nous ont été données”, résume le général Björn Schulz. ”Ils ne sont pas seulement incroyablement motivés car ils savent qu’ils vont rentrer combattre chez eux mais ils sont aussi très sûrs dans leurs connaissances techniques et d’application”, constate-t-il.

Au total, une petite centaine de soldats ukrainiens sont actuellement formés sur cette base. Le chiffre exact n’est pas officiellement dévoilé, pour des raisons de sécurité. Leur programme est intense car limité à six semaines au lieu des deux années habituellement prévues. “Nous nous sommes concentrés sur les fondamentaux, commente le colonel Michael Sack en charge de la formation. Nous avons abandonné les heures de sport et travaillons en continu, souvent sept jours sur sept, de 8h du matin à 20h le soir. Chaque minute compte. Nous avons aussi organisé des sessions nocturnes car l’une des particularités du Léopard 2 est de pouvoir tirer de nuit. C’est nouveau pour les soldats ukrainiens”, explique-t-il.

Les défis sont nombreux, comme le reconnaît un instructeur qui restera anonyme, lui aussi pour des raisons de sécurité. Au-delà des problèmes de langue, de nombreux soldats n’avaient “aucune expérience du maniement d’un char lorsqu’ils sont arrivés” et même ceux qui en avaient, ont dû “repartir de zéro” avec cet équipement “beaucoup plus sophistiqué que les modèles soviétiques utilisés par l’armée ukrainienne”.

L’un de ces soldats ukrainiens confirme. “Ces six semaines ont été éprouvantes, mais nous avons mis tous nos efforts pour apprendre à connaître et à maîtriser ce char”, raconte-t-il, lunettes orange et visage masqué pour ne pas être reconnu. “Ce char est l’un des plus précis et sa force de frappe va nous permettre de ne plus craindre une attaque imprévue. Cela va aussi rassurer les soldats d’infanterie qui travaillent à nos côtés. On m’a dit que les Russes étaient très nerveux au sujet des Léopard 2. Ils ont raison de l’être et nous attendons de rentrer en Ukraine pour leur en donner la preuve”, ajoute le jeune homme.

L’espoir de changer la donne sur le terrain

Ces “Leo”, comme on les surnomme ici, que l’Allemagne a mis du temps à accepter de livrer à l’Ukraine, changeront-ils la donne sur le terrain ? Pour l’heure, soixante exemplaires ont été promis à Kiev : dix-huit par Berlin, douze par le Portugal et la Suède et trente autres, d’un modèle un peu plus ancien, par la Pologne. La question se pose d’autant plus que la bataille fait rage autour de la ville de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine et que les Russes prépareraient une offensive au printemps.

Actuellement, la guerre n’est pas dynamique mais relativement statique. On va voir à moyen terme si la donne change”, répond avec prudent le général Björn Schulz. Son collègue français, le vice-amiral Hervé Bléjean, venu spécialement de Bruxelles d’où il coordonne le programme de formation des soldats ukrainiens au niveau européen (EUMAM), est plus direct. ”Ces chars vont être un élément clé de la contre-attaque ukrainienne car ils peuvent briser la ligne de front”, explique-t-il. “Ces chars sont rapides, sophistiqués, leur capacité de tir est grande et, surtout, ils peuvent tirer en mouvement, sans être contraints de s’arrêter. Ils sont donc peu vulnérables et peuvent faire une différence sur le terrain”, résume-t-il, confiant. Et cela même si, en Russie, circulent actuellement des vidéos assurant savoir comment détruire ces engins de fabrication allemande, par un seul tir.

Un programme de formation européen

Faire la différence sur le terrain est évidemment tout l’enjeu de cette formation militaire qui, pour les Léopard 2, a commencé en février à Bergen-Munster et qui s’inscrit dans un programme européen plus large (EUMAM), lancé en novembre et auquel 18 pays participent. “C’est le plus large programme de formation militaire mené par l’Union européenne, loin devant celui que nous menons au Mali par exemple”, confirme le vice-amiral Bléjean. “D’ici avril, nous aurons formé les 15 000 soldats que nous voulions former en deux ans”, se félicite-t-il.

L’objectif est désormais relevé à 30 000, sur des équipements les plus divers, des chars Léopard et Marder en passant par les systèmes de défense Patriot. À terme l’idée est de déléguer la formation aux Ukrainiens, en Ukraine même.

En attendant, les premiers soldats formés au maniement des “Leo” rentreront en Ukraine, “sans penser à la peur” comme l’assure l’un d’entre eux mais pour “défendre leur patrie menacée et en guerre”. Les chars Léopard allemands, portugais et suédois devraient suivre. Leur livraison est prévue pour le début avril.