France

Réforme des retraites : Censure ou pas censure, comment relancer la machine après ça ?

Certes, dans cette législature, il ne faut jamais dire « jamais ». Mais ne survendons pas la chose : sauf énorme et donc improbable surprise, les motions de censures déposées par les oppositions suite au déclenchement de l’article 49.3 jeudi dernier sur la réforme des retraites ne renverseront pas le gouvernement ce lundi. Pas même la fameuse motion « transpartisane », avec à sa tête le respecté député de la Marne Charles de Courson, centriste du bigarré groupe Liot. Selon toute vraisemblance, il n’y aura assez de LR à se rallier pour que la censure soit votée.

Pour autant, la campagne des retraites, censée être le point cardinal du second quinquennat Macron, a été ratée de bout en bout. Et le recours à l’article 49.3 de la Constitution – qui permet l’adoption d’un texte sans vote – en est le bruyant symbole. Jeudi, alors que la nouvelle venait d’être officialisée, les membres du gouvernement sont arrivés dans l’Hémicycle sous les huées, tête basse. Certains semblaient K.-O. debout. Même sans censure, le gouvernement apparaît donc dramatiquement affaibli. Au point que la question de sa pérennité se pose.

« Il faut remettre de la politique à tous les étages ! »

L’option la plus évidente semble être le changement de gouvernement. Un conseiller ministériel, qui était favorable au vote sur la réforme des retraites coûte que coûte, s’interroge sur la « perte de crédibilité » du gouvernement suite à ce 49.3. Pourtant, après une séance difficile jeudi, où elle a été mollement soutenue, il n’y a pas grand monde pour réclamer la tête d’Élisabeth Borne, que ce soit chez Renaissance, au MoDem ou chez Horizon. Son passage devant les députés et députées de la majorité, après la séance, a semble-t-il fait du bien. « J’ai une profonde admiration pour la Première ministre. Elle a été d’une dignité, d’une force pendant sa prise de parole… », remarque le même conseiller, convaincu qu’elle reste la femme de la situation.

On trouve quand même, parmi des têtes d’affiche du gouvernement, l’envie d’un changement de casting profond, pour faire face « au contexte politique le plus dur et le plus violent depuis des années ». « Face à ça, on ne peut pas rester avec des ministres de la société civile, qui n’ont jamais vu un parlementaire. Il faut remettre de la politique à tous les étages ! On ne peut pas rester ainsi, avec un gouvernement de 42 ministres mais où 5 seulement sont connus », s’emporte un conseiller. Mais en cas de remaniement, la même question se pose à chaque fois sous Emmanuel Macron : qui ? La macronie manque de banc, structurellement. Et ce n’est peut-être pas au creux de la vague, avec la perspective d’aller devoir affronter une Assemblée tumultueuse, qu’on trouve les profils de ministrables les plus intéressants.

« Simple, basique »

Certains évoquent alors l’hypothèse d’une démission d’Élisabeth Borne, laquelle serait immédiatement renommée par Emmanuel Macron. Un coup politique classique quand on veut tourner une page a minima, mais qui a le défaut d’être peu spectaculaire, pour ne pas dire invisible. D’où la nécessité d’une prise de parole présidentielle. Dans la déception d’une grande partie de la majorité d’aller au 49.3, il y a aussi une déception vis-à-vis du président lui-même. « Je trouve quand même un peu hallucinant le tour du monde qu’il a fait depuis trois mois… Pour que tout ça se termine par cinq réunions de crise en 24 heures à l’Elysée, peste un conseiller ministériel. On avait besoin de lui dans cette séquence. Et on a ramé. »

Une intervention d’Emmanuel Macron paraît nécessaire, « comme une explication de texte » en cas de remaniement, dit-on dans l’entourage de Laurent Marcangeli, le chef des députés Horizon. Au cabinet d’un ministre en vue, on estime qu’il faut revenir à des choses « simples, basiques » du macronisme : « il faut se mettre dans la tête des Français de la classe moyenne qui bosse. Des gens qui sont contre la réforme des retraites, qui ont parfois manifesté en province, qui ont voté Macron mais se sentent trahis. » Son conseil : laisser tomber les dossiers institutionnels ou celui de la fin de vie pour se concentrer « sur l’ascenseur social, les gamins, l’éducation. La promesse originelle du macronisme, c’est quand même la fin de l’assignation à résidence ! ».

Vieux réflexes

Le député centriste Erwan Balanant ne dit pas forcément autre chose quand il pousse le thème de la justice fiscale : « Vous avez une classe moyenne qui bosse dur et a l’impression de ne pas gagner assez alors qu’à côté, des gens gagnent beaucoup plus ! » Le Breton questionne ici le dogme du zéro hausse d’impôts, tenu fermement par Bruno Le Maire à Bercy. En réalité, ils sont assez nombreux à penser qu’il faudra une inflexion, que ce serait un bon signal pour l’opinion. Surtout au MoDem mais aussi à Horizon, pourtant plus à droite.

Au-delà du casting et du contenu, certains remarquent surtout que c’est la manière dont Emmanuel Macron et Renaissance exercent le pouvoir qui doit changer. Dans les oppositions, mais aussi chez les partenaires juniors de la majorité, on souligne les vieux réflexes de majorité absolue des macronistes. « Ils n’ont toujours pas compris qu’ils étaient en majorité relative et donnent des leçons à tout le monde, constate une députée écologiste. Lors du débat sur les énergies renouvelables, ils nous expliquaient comment être écolo. Là, ils expliquent à la droite comment être de droite. Forcément, ça énerve. »

Là-dessus, on ne peut pas être tout à fait en désaccord chez Horizon et au MoDem, qui ont contesté l’arrogance de Renaissance dernièrement. « On est comme sous la IVe République. Tout le monde serait en difficulté avec cette Assemblée, il faut enfin en tenir compte », constate l’entourage de Laurent Marcangeli. 

Pour l’heure, chacun y va de ses hypothèses, mais tout le monde reste suspendu : « Ce n’est pas une fin de règne, mais il y a tout de même un truc que tout le monde attend », note une source ministérielle. Alors, des annonces dès ce début de semaine ? Rien n’est moins sûr. Emmanuel Macron déteste choisir sous la pression.