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Charles Michel : “On me reproche d’en faire trop, je préfère ça qu’on me reproche de ne pas en faire assez”

Charles Michel a la bougeotte. Le président du Conseil européen voyage dans les capitales de l’Union mais aussi “hors les murs”. Rien que sur la dernière année, il s’est rendu (plusieurs fois) à Kiev, à New York, à Pékin, à Charm-el Cheik, à Doha, à Buenos Aires, à Accra, dans les Balkans occidentaux… Le budget “voyage” du président Conseil européen est d’ailleurs en constante augmentation. Selon Politico, le secrétariat général du Conseil établit un budget de 2,6 millions d’euros pour le président du Conseil européen, soit une augmentation de 27,5 % par rapport à 2022. La part dévolue au voyage de Charles Michel et de ses délégations avoisinera les 2 millions d’euros. C’est quatre fois plus que ces prédécesseurs Herman Van Rompuy et Donald Tusk.

Une activité internationale intense dictée par les événements et la volonté du président Michel

Comment expliquer cette multiplication des voyages, et des coûts afférents ? “Ça n’a échappé à personne qu’il y a eu une crise du Covid extrêmement grave, qu’il y a une guerre déclenchée [par la Russie] contre l’Ukraine et que depuis les trois dernières années, le Conseil européen est beaucoup plus engagé sur les questions internationales”, plaide Charles Michel. De fait. Les services du président renseignent que les voyages hors UE représentent 41 % des sorties du Belge, contre 24 % pour la présidente de la Commission et respectivement que 28 et 24 % des sorties de Donald Tusk et Herman Van Rompuy.

En vertu des traités, le président du Conseil européen “est en charge de la politique extérieure et de sécurité de l’Union” , rappelle Charles Michel. A la Commission revient la responsabilité de gérer toutes les autres matières des affaires extérieures. De cette description somme toute assez évasive de son rôle international dans les traités, le président du Conseil européen fait une interprétation maximaliste, notamment justifiée par les circonstances. “Le Conseil européen a un rôle important, a fortiori dans le contexte que l’on connaît de représentation mais aussi de défense de nos intérêts à l’extérieur”.

Et d’insister : “Il n’y a pas de doute que dans les circonstances actuelles, il y a des déplacements qui sont nécessaires” en plus des traditionnelles participations au G7, au G20, à l’assemblée générale des Nations unies. “Préfère-t-on laisser les milices de Wagner et Monsieur Lavrov (le ministre russe des Affaires étrangères, NdlR) se promener en Afrique pour porter le message hostile à l’Union européenne, pour porter des attaques hybrides contre l’Union européenne, pour déstabiliser ce qui nourrit des migrations irrégulières, d’immigration illégale, des narratifs antidémocratiques anti Union européenne ?” Et si les sommets communs entre l’Union européenne (UE) -Union africaine (UA) et entre l’UE et les pays du Sud-Est asiatique “ont été des succès”, affirme Charles Michel, c’est “parce qu’il y a eu une préparation diplomatique intense, avec des rencontres bilatérales avec des leaders” ces pays, à Bruxelles ou sur leur terrain.

Le président du Conseil européen avance un autre exemple : “Je suis allé à Pékin [en décembre dernier, où il a rencontré le président chinois Xi Jinping] dans la foulée d’un débat stratégique au Conseil européen sur la Chine. Je m’y suis rendu parce que j’ai été invité par les autorités chinoises ; parce que nous sommes supposés, en 2023, avoir un sommet institutionnel entre la Chine et l’Union européenne. J’étais en Chine parce qu’il y a une guerre déclenchée contre l’Ukraine par la Russie et que le président ukrainien, depuis des mois, utilise tous les soutiens qu’il a, dont l’Union européenne, dont votre serviteur, pour tenter de passer des messages aux autorités chinoises.” Autant d’arguments qui, pour Charles Michel, justifient le voyage en vol privé, et son coût, élevé : 460 000 euros.

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”Je comprends la sensibilité par rapport aux vols privés”

“Je comprends que l’on trouve cela cher, et je comprends la sensibilité par rapport aux vols privés”, admet Charles Michel. Qui précise cependant : “Ce sont des fonctionnaires indépendants sur lesquels je n’ai pas d’autorité directe qui font la proposition du mode de déplacement, en prenant en considération les différentes options”. S’il a un recours au vol privé, “c’est parce qu’il y a plus de destinations qui sont moins bien connectées et moins bien desservies. Pendant la période Covid, il y a eu beaucoup moins d’offres commerciales. Ce sont des raisons objectives, la transparence est totale. Je suis le premier président du Conseil européen qui met en ligne l’ensemble des missions, les dépenses individuelles liées à la mission et le mode de déplacement”. Mais encore : “On m’a reproché de ne pas avoir été à Paris en train”, que l’on rejoint en 1h20 par le rail en Thalys depuis Bruxelles. “J’ai été en voiture, parce qu’il y a des voitures de sécurité qui vont de toute façon à Paris. Ce sont des contraintes de sécurité appréciées par le Conseil. Il est aussi arrivé que je me rende à Paris de cette manière parce que je devais avoir des conversations qui devaient rester confidentielles et que je ne pouvais pas avoir dans un train.”

Reste qu’alors que l’Union européenne se présente comme la championne de la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’exemple ne vient pas d’en haut. “J’ai souhaité depuis 2021 que l’on compense de manière systématique au départ du Conseil, les déplacements menés en avion de manière générale en avion, pour l’ensemble des staffs”, réplique Charles Michel.

Qui s’émeut encore qu’on pointe la taille des délégations qui l’accompagnent. “Je ne décide que de la composition de mon cabinet. S’agissant d’une délégation à l’étranger, c’est le secrétaire général en qui j’ai toute confiance qui décide de la délégation du Conseil”. Au sommet de Versailles, 22 collaborateurs avaient fait le déplacement. “Ce sont les services juridiques et les conseillers politiques du Conseil qui encadrent la réunion. Donc comparer cette délégation en charge de l’organisation du sommet européen avec la délégation de la Commission ou d’un État membre est absolument non pertinent, insensé”, s’agace le Belge.

Le président du Conseil européen ne se défait pas de l’idée qu’on lui cherche des poux, à lui plus qu’à d’autres. “Si on prend la question des avions-taxis, les règles d’usage sont exactement les mêmes pour les institutions, que ce soit la Commission, le Conseil. La présidente de la Commission et moi avons pris plus moins le même nombre de vols privés. Or l’impression qui est donnée est qu’il y aurait d’un côté un dérapage et de l’autre un usage normal” de ce type de déplacement.

Je pense qu’il y a probablement tentative de déstabilisation ou tentative d’intimidation qui est double, qui me vise, moi d’une part, et qui vise aussi le Conseil. Je crois que le rôle accru du Conseil et de l’Union européenne sur la scène internationale peut déranger un certain nombre d’acteurs.” Qui donc ? Pas les capitales de l’Union, à l’en croire. “Je pense que la plupart des États membres veulent effectivement que le Conseil soit plus impliqué et plus engagé sur la scène internationale”. Qui alors ? On n’en saura pas plus. “On me reproche d’en faire trop. Eh bien, je préfère ça plutôt qu’on me reproche de ne pas en faire assez, dans un moment où les choix que l’on pose vont avoir un impact pour les 30 ans qui viennent, pour la sécurité, pour la prospérité, pour la stabilité en Europe et dans le monde”.

”La relation avec la Commission est professionnelle et donne des résultats”

Ursula von der Leyen avait annoncé au début de son mandat que la Commission qu’elle préside serait “géopolitique”. Le président du Conseil européen, qui entretient avec l’Allemande une relation institutionnelle et personnelle tendue, pour dire le moins, et ne particulier depuis l’épisode du Sofagate, n’entend pas rester au balcon dans ce domaine. La presse n’est pas la seule à s’interroger sur les effets de néfastes de cette concurrence. La Libre a entendu des sources diplomatiques se demander si l’intense activité internationale de Charles Michel n’est pas aussi due à une compétition malsaine entre les deux – l’organisation du sommet UE-Ukraine du 3 février en a été un exemple. Sachant la présidente von der Leyen arriverait à Kiev avec plusieurs commissaires le 2, M. Michel s’est rendu dans la capitale ukrainienne dès le 19 janvier, pour préparer la réunion

La rivalité entre Ursula von der Leyen et Charles Michel mine la politique étrangère de l’Union

Il n’y a pas d’éléments factuels pour étayer” cette rivalité, ose Charles Michel. “La relation avec les équipes de la commission est extrêmement professionnelle, extrêmement rigoureuse”. Que ce soit sur la réponse européenne à la pandémie de Covid-19, le budget européen ou le soutien européen à l’Ukraine et l’octroi du statut de candidat à celle-ci, “chaque Conseil européen a donné lieu à des conclusions au consensus. Ce n’aurait pas été possible sans une coopération parfaite entre le Conseil et la Commission. Il y a l’écume et l’anecdote d’une part, et puis la réalité des résultats qui parlent d’eux-mêmes”.

Ce n’est pas sûr que les observateurs et acteurs de la scène européenne soit vraiment convaincus par la démonstration. Mais de toute façon, le tandem cessera d’exister à la fin 2024. Car même si Ursula von der Leyen est reconduite à son poste, le second et dernier mandat de Charles Michel arrivera à échéance.

L’heure de la retraite ne sera pas encore venue pour Charles Michel, qui n’aura que 48 ans. Que fera-t-il après ? “Les rumeurs selon lesquelles on me prête des ambitions pour la présidence de la Banque européenne d’investissement sont totalement infondées”, assure le Belge. D’autres l’imaginent être le Spitzenkandidat des libéraux européens aux européennes de 2024, et donc leur candidat déclaré pour la présidence de la Commission européenne. Étanchera-t-il sa soif de voyage et diplomatie en briguant le poste de Haut représentant de la politique étrangère de l’Union ? L’ancien Premier ministre reviendra-t-il en politique belge ? “Je ne m’interdis rien”