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”Cet effet de cohésion est un leurre »: le discours de Poutine et les célébrations à Moscou marqués par plusieurs failles

Ses propos, allant du doigt accusateur pointé sur l’Occident et son rôle dans la guerre jusqu’aux encouragements des soldats russes se battant sur le front, étaient, selon Nicolas Gosset, “sans substance”, une “reprise des arguments et du format du discours de l’année précédente”. Selon le chercheur, le ton se voulait par contre “plus grave et plus incisif puisque la situation est plus grave cette année-ci”.

”L’Ukraine est une marionnette des pays occidentaux”

On note cependant un tournant décisif dans le discours de Vladimir Poutine : il n’est plus question d’opération spéciale en Ukraine mais bien de guerre. “La réalité devient impossible à maquiller, à ignorer, déclare Nicolas Gosset. Après, on met en exergue le courage de ceux qui participent à la guerre, aux opérations et on salue leur mission fondamentale pour la sauvegarde de la Russie. Car c’est de cela qu’il s’agit”.

Poutine dans son discours du 9 mai: “Une véritable guerre a été déclenchée contre notre patrie”

De fait, constate le chercheur, la sémantique du discours du président russe s’oriente autour d’un sauvetage de la Russie, victime de l’emprise des Occidentaux. On retient notamment cette citation de Vladimir Poutine: “Le peuple ukrainien est devenu l’otage des ambitions occidentales”. “Dans le propos du président russe, l’Ukraine est une marionnette des pays occidentaux qui est manipulée pour détruire la Russie”, avance l’expert. “Il y a là cette idée que, finalement, le mal qui s’abat sur l’Ukraine n’est pas le résultat des actions de la Russie mais le résultat d’une manipulation de l’Occident visant à détruire la Russie.

Il s’agirait donc, pour le Kremlin, d’une guerre de défense, “préventive”: “La Russie n’aurait d’autre choix que d’attaquer l’Ukraine vampirisée, zombifiée par les Occidentaux avant que la Russie elle-même ne soit attaquée.” On peut voir derrière ces affirmations une dimension d’auto-conviction, d’après Nicolas Gosset. “Poutine proclame que chacun en Russie est uni pour supporter les soldats qui prennent part à cette opération qui vise à la défense de la nation. Mais honnêtement, on est exactement dans la même terminologie, les mêmes idées éculées, le même cynisme que ce qu’on avait entendu l’année précédente.”

« Pour éviter le scénario du pire, Vladimir Poutine va chercher à geler la guerre en Ukraine »

Une baisse significative lors du défilé

A côté du discours, Nicolas Gosset pointe du doigt un défilé amoindri, plus maigre, moins rutilant que par le passé. Le chercheur note que le nombre de soldats a diminué, qu’on trouve des recrues un peu là où il est possible d’en obtenir et que les équipements sont parfois vieux. Dans certaines régions, des chevaux sont même utilisés pour tirer des pièces d’artillerie : “Cela témoigne de l’état de pression dans lequel les effectifs les équipements se trouvent”, en déduit Nicolas Gosset.

Présence de chefs d’État étrangers: boucliers humains ou témoins d’une alliance factice?

Pour l’expert, la chose la plus significative de ces commémorations du 9 mai à Moscou reste la participation de chefs d’États étrangers. “Cette année, ils ont réussi à avoir les pays centrasiatiques au complet, l’Arménie et la Biélorussie”, note Nicolas Gosset. ”Visiblement, le téléphone a chauffé activement à Moscou pour lister les leaders d’Asie centrale”, ajoute l’expert.

Il ne faut toutefois pas y voir une preuve d’allégeance de la part des chefs d’État étrangers: “Les républiques d’Asie centrale sont dans une position très contrainte et très difficile dans leurs liens par rapport à la Russie. On peut aussi voir cela comme un gage un peu explicite qui est donné en compensation d’un support qui ne l’est pas du tout, explique Nicolas Gosset. Les pays centrasiatiques sont préoccupés par la politique russe qui vise à enrôler les migrants centrasiatiques en Russie dans l’effort de guerre. Plusieurs états, comme le Tadjikistan et le Kazakhstan, ont pris des décisions légales pour interdire et déchoir de leur nationalité ceux qui acceptaient de rentrer dans l’effort de guerre pour obtenir la citoyenneté russe.

Qui étaient les chefs d’Etat étrangers présents au défilé du 9 mai à Moscou? (PHOTOS)

On constate donc que le président russe ne fait pas l’unanimité dans ces pays, qui semblent être là presque par crainte. “C’est comme la présence du représentant d’Arménie, détaille Nicolas Gosset. Il est dans une relation plus que tendue avec la Russie depuis la deuxième guerre du Karabagh, mais il est pieds et poings liés. Parce que la seule forme de garantie de sécurité qui est fournie à l’Arménie aujourd’hui, c’est la présence du contingent de 2000 soldats d’interposition russes dans le corridor de Latchine. Le chef d’Etat arménien est limité dans sa marge de manœuvre et sa présence à Moscou ce mardi est la confirmation de ce fait.

Certains analystes se demandent également s’il n’y avait pas derrière la présence de ces chefs d’État une volonté pour Poutine de se préserver des risques d’“attentats” qui auraient pu peser sur le défilé ou sa personne même: “Ce serait une sorte de garantie que rien ne pourrait advenir”, déclare Nicolas Gosset.

Enfin, avec cette présence étrangère, le président russe ne cherche-t-il pas à donner l’illusion d’une alliance ? Selon Nicolas Gosset, “il y a cette volonté de montrer que la Russie n’est pas seule”. En effet, la présence d’un seul chef d’État avait attiré l’attention l’an dernier, en donnant l’impression d’une Russie isolée. Cette année, le nombre élevé de représentants politiques étrangers pourrait permettre au Kremlin de faire passer un message d’unité. Mais selon le chercheur, dans les faits, il ne s’agit pas d’une coalition: “Ces derniers mois, l’influence de la Russie dans l’ancien espace soviétique se contracte drastiquement. Les pays d’Asie centrale n’ont jamais voté en faveur de la Russie, ils s’abstiennent toujours. A une exception près, lorsqu’ils ont voté en défaveur de l’expulsion de la Russie du conseil des droits de l’homme.”

Et Nicolas Gosset de conclure: ”Cet effet de cohésion post-soviétique est un leurre en fait. Parce que derrière la présence de ces chefs d’État à la tribune, les divisions et les questionnements sont profonds. Il ne faut pas donc pas interpréter cette présence au pied de la lettre parce que ce serait jouer le jeu de la Russie et ce serait un travestissement de la réalité.”