France

Violences sexuelles : Qu’est-ce que le « No Callem », le dispositif déclenché dans l’affaire Dani Alves

Quinze jours après la fin du premier procès Mendy, le nom d’un autre footballeur international fait irruption dans les chroniques judiciaires. Le Brésilien Dani Alves, soupçonné d’agression sexuelle sur une jeune femme dans une discothèque de Barcelone à la fin du mois de décembre 2022, a été placé en détention provisoire, il y a près d’une semaine. Le Brésilien, qui risque jusqu’à 12 ans de prison, nie les faits qui lui sont reprochés mais un protocole anti-agression activé par la boîte de nuit ce soir-là est venu étayer les dé ? La France doit-elle prendre exemple sur la justice espagnole, considérée comme pionnière en matière de lutte contre les violences sexuelles ? 20 Minutes répond à ces interrogations avec l’analyse de Fabienne El Khoury, porte-parole d’Osez le féminisme.

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Selon des médias espagnols, les faits se seraient déroulés dans la nuit du 30 au 31 décembre 2022 au Sutton, une boîte de nuit branché de Barcelone, alors que le joueur passait quelques jours de vacances en Catalogne après avoir disputé la Coupe du monde. Une femme de 23 ans accuse l’ex-joueur du PSG de viol, une qualification pénale faisant partie des agressions sexuelles dans le Code pénal espagnol, comme le précise l’AFP.

Selon El Mundo, qui retranscrit le témoignage de la victime, le latéral aurait forcé la jeune femme à lui faire une fellation dans les toilettes d’un salon VIP de la boîte de nuit. Puis il aurait pénétré la jeune femme et éjaculé, sans protection. Pour l’ensemble de ces faits, la jeune femme, évacuée de la discothèque en ambulance selon son avocate, a porté plainte début janvier. Elle a notamment pu clairement identifier un tatouage intime du footballeur brésilien, comme le rapporte RMC.

« Elle m’a dit : Je ne veux pas d’indemnisation, je veux la prison », a rapporté l’avocate de la plaignante. Alves, footballeur le plus titré au monde, nie les faits. « Je ne sais pas qui est cette jeune femme, je ne la connais pas », a-t-il confié dans une déclaration transmise à des chaînes de télévision.

Trois semaines après les faits, le footballeur a été convoqué au commissariat de Barcelone puis placé en garde à vue pour « délit présumé d’agression sexuelle ».

C’est quoi le « No Callem », un protocole anti-agression qui a permis l’arrestation d’Alves ?

La profusion des éléments dont disposent les enquêteurs a été rendue possible grâce à l’activation d’un dispositif spécifique à Barcelone. Mis en place en 2018 par la mairie, le « No Callem », qui veut dire « Nous ne nous taisons pas », est un protocole qui permet de lutter contre les violences sexuelles dans les lieux publics.

Concrètement, le protocole permet la formation du personnel des établissements de nuit pour adopter les bons réflexes lorsqu’une agression est commise, comme le rappelle RFI. Après une agression, la victime est isolée, rassurée, et le personnel doit prévenir les secours. Ensuite, les preuves doivent être préservées.

Dans l’affaire Alves, les employés du Sutton ont empêché l’accès aux toilettes VIP, lieu présumé de l’agression, et ils ont remis les bandes de vidéosurveillance à la police.

Grâce aux images, la version de la victime a été jugée crédible, et a permis de confronter les dires du Brésilien, qui a changé plusieurs fois de version, avant de reconnaître qu’il a passé du temps aux toilettes avec la jeune femme.

Le protocole prévoit aussi de retenir l’agresseur présumé jusqu’à l’arrivée de la police. Dans le cas Alves, le footballeur était déjà parti lorsque le système a été déclenché.

« Le plus important, c’est avoir du personnel et des agents de sécurité formés sur les violences sexuelles, qui croient la victime et ne font pas d’erreurs juste après l’agression. Si la victime est consentante, il pourra y avoir ensuite un examen médical, l’analyse de ses habits, la prise d’ADN par les enquêteurs et le personnel médical », souligne Fabienne El Khoury, porte-parole de l’association Osez le féminisme.

Ce dispositif, qui n’existe qu’à Barcelone, est en vigueur dans 25 discothèques, et dans 39 lieux publics, selon le site de la ville.

Est-ce qu’on peut faire pareil en France ?

En France, le hastag #balancetonbar, qui a émergé en 2021, a recensé des témoignages de victimes qui auraient été droguées à leur insu dans des bars. Des plaintes ont été déposées et une enquête ouverte, comme annonçait à l’époque la procureure de Paris à Libération.

Comme d’autres grandes villes européennes, Strasbourg et Marseille participent au programme SHINE. Financé par l’UE, il vise à prévenir le harcèlement sexuel dans les lieux festifs.

Mais notre experte appelle à une volonté étatique globale, avec de l’investissement et des moyens humains. « En matière de lutte contre les violences sexistes, l’Espagne s’est attelé au problème en 2004, avec une loi transpartisane. Depuis, près de 300 mesures ont été mises en place. L’ordonnance de protection, par exemple, est 12 fois plus demandée et accordée en Espagne. On demande un quoi qu’il en coûte sur les violences sexistes ».

Pour la seule matière des violences conjugales, l’Espagne dépense environ 16 euros par habitant et par an pour la lutte contre les violences conjugales, a dévoilé le centre Hubertine Auclert dans un rapport comparatif, publié en 2020. Sur le même sujet, la France dépense 5 euros par habitant.

Mieux, un « pacte d’Etat » espagnol a octroyé un budget d’un milliard sur les violences faites aux femmes de 2018 à 2022. Peu importe le gouvernement au pouvoir, la somme devait être forcément versée, comme le rappelle Le Parisien.

Et la création d’une « juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales », qui a été votée par l’Assemblée nationale, ne va pas régler le retard accumulé par la France. « Il faut plus de moyens, plus de ressources humaines aussi. Une juridiction spécialisée sans personnel formé ni assez de juges, c’est inefficace », précise Fabienne El Khoury.