France

Suicide de Lucas : Qu’attendre du procès pour « harcèlement scolaire » des quatre mineurs ?

Du procès qui se profile au printemps, Séverine attend avant tout une prise de conscience. « Je veux qu’ils reconnaissent, que ça les fasse réfléchir. Qu’ils ne recommencent pas, surtout », a insisté, lors d’une conférence de presse donnée ce lundi, la mère de Lucas. L’adolescent, âgé de 13 ans, s’est suicidé le 7 janvier après des mois de harcèlement à l’école, lié notamment à son orientation sexuelle. Aux yeux de cette mère endeuillée, les insultes, moqueries et autres paroles acerbes ont été « l’élément déclencheur » du geste de son fils.

Dans le viseur de la justice : quatre adolescents de 13 ans, deux filles, deux garçons. Selon le procureur de la République d’Epinal, Frédéric Nahon, lors de leur garde à vue, la semaine dernière, ces derniers ont « uniquement admis avoir proféré à plusieurs reprises des moqueries à l’encontre de leur camarade ». L’enquête a néanmoins permis d’établir que « le harcèlement avait pu participer au passage à l’acte du jeune Lucas », a précisé le magistrat. Raison pour laquelle tous ont été renvoyés devant le tribunal pour enfants pour être jugés pour « harcèlement scolaire ayant entraîné le suicide de la victime ».

Nouveau délit

Le choix d’opter pour cette voie pénale illustre le caractère exceptionnel de ce dossier. « Dans la majorité des affaires de harcèlement, lorsque les conséquences ne sont pas aussi tragiques que dans celle du jeune Lucas, ce sont les parquets qui convoquent les jeunes », et non le tribunal, assure Laurent Gebler, juge des enfants et président de la chambre des mineurs à la cour d’appel de Paris. Des alternatives aux peines, telle que des stages de citoyenneté, des mesures de réparation ou éducatives sont généralement mises en place. Le délit de « harcèlement scolaire ayant entrainé le suicide de la victime », lui, est passible de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros, moitié moins quand il s’agit de mineurs comme pour cette affaire.

Le délit a été créé en mars 2022, mais a été relativement peu utilisé. « On n’a pas attendu la création de ce délit pour poursuivre des mineurs dont on soupçonne que leur comportement a pu avoir un rôle dans un suicide ou une tentative de suicide, précise toutefois le magistrat. La différence, c’est qu’ils étaient généralement mis en examen pour harcèlement. » C’est, par exemple, le choix qui a été fait par le juge d’instruction dans l’affaire Evaëlle. Quelques semaines après le suicide de la fillette de 11 ans, en 2019, trois adolescents, ainsi que sa professeure de français, ont été poursuivis pour « harcèlement ».

« On voit comment les jeunes ont évolué pendant cette période »

Dans l’affaire Lucas, une première audience dite de « culpabilité » sera fixée d’ici au mois d’avril. Comme son nom l’indique, celle-ci statue sur la culpabilité – ou non – des prévenus, éventuellement sur les dommages et intérêts, mais pas sur la peine. Ce délai, exceptionnellement court, est la conséquence de l’entrée en vigueur, en 2021, de la réforme de la justice pénale des mineurs, qui modifie en profondeur la procédure. En attendant cette audience, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) évaluera la situation de chacun des quatre ados. « On regarde comment se positionne l’enfant par rapport aux faits : est-il dans la repentance, dans la prise de conscience ou au contraire, montre-t-il un sentiment d’injustice ? », précise Laurent Gebler. La position des parents, le niveau scolaire, les antécédents judiciaires sont également passés au crible.

L’objectif de cette évaluation est de faire des propositions de mesures éducatives que le juge des enfants pourra prononcer lors de l’audience de culpabilité. Cela peut être un suivi éducatif, thérapeutique, des mesures de réparation jusqu’au placement de l’enfant. Lors de cette audience, le juge peut également demander la mise en place d’un contrôle judiciaire : l’interdiction d’entrer en contact avec d’autres membres du dossier, de paraître devant l’école où ce sont produits les faits, par exemple. Cette période, dite de mise à l’épreuve, dure entre 6 et 9 mois. C’est seulement à son issue qu’une seconde audience portant sur la sanction, cette fois-ci, est organisée. « On voit comment ces jeunes ont évolué pendant cette période, dans quelle dynamique ils se trouvent », précise Laurent Gebler. Le magistrat peut ensuite prononcer des peines allant du simple avertissement à la prison ferme. « La priorité pour les mineurs reste les mesures éducatives. Parfois, celles-ci sont combinées à une sanction pénale. »

« Ce ne sont que des enfants »

Si le procès se tiendra à huis-clos, du fait notamment de l’âge des prévenus, l’affaire pourrait-elle servir de déclic dans la lutte contre le harcèlement scolaire ? La mère de Lucas, en tout cas, l’espère. Au cours de sa conférence de presse, elle a confié ne pas avoir d’attentes spécifiques sur la peine qui pourraient être prononcées contre les quatre adolescents. « Ce ne sont que des enfants, je ne leur veux pas de mal », a-t-elle répété, confiant même envisager de faire de la prévention à leur côté. 

L’adoption de ce nouveau délit peut également favoriser la prise de conscience. « Il nomme clairement les choses, c’est plus concret pour des collégiens, des lycéens que le harcèlement moral ou les violences », note le magistrat.