France

Education : « Visiter un lieu de mémoire lorsque l’on est élève, c’est confronter le visible à l’invisible »

Marquer la mémoire des élèves et les confronter à l’Histoire in situ. La Première ministre, Elisabeth Borne, et la ministre chargée de l’Egalité des chances, Isabelle Rome, ont présenté ce lundi un plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, lequel sera déroulé dès cette année et jusqu’en 2026. Il prévoit notamment l’organisation d’une « visite d’histoire ou de mémoire liée au racisme, l’antisémitisme ou l’antitsiganisme pour chaque élève durant sa scolarité ». Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), explique à 20 Minutes les bénéfices pédagogiques que peuvent retirer les élèves de cette mesure.

Beaucoup de collèges et de lycées organisaient déjà des visites dans des lieux mémoriels. Le fait que cela devienne obligatoire va-t-il vraiment changer la donne ?

Il est vrai que de nombreux enseignants d’Histoire-Géo travaillent avec leurs élèves sur des projets qui conduisent à un déplacement sur un lieu de mémoire, souvent lié à la première ou à la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n’est pas toujours possible, car ces lieux sont parfois éloignés des établissements. Le fait que cela devienne obligatoire va mettre tous les élèves sur un pied d’égalité, à condition que le gouvernement prévoit un budget pour financer ces déplacements.

Quels lieux peuvent être visités avec des élèves ?

Il n’est pas forcément nécessaire de partir à l’étranger. Car il y en a énormément un peu partout en France : l’ancien camp de Natzweiler-Struthof (Alsace), le Mémorial du Camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), la gare de Pithiviers (Loiret), la maison d’Izieu (Ain), le Mont Valérien (Hauts-de-Seine), le mémorial de la Shoah de Drancy (Seine-Saint-Denis)…

A quel âge est-ce plus pertinent d’effectuer ce genre de visites ?

Généralement, ces sorties ou voyages scolaires se font à partir de la 3e. La visite doit être adaptée à la maturité des élèves. De mon côté, je ne me suis rendue à Auschwitz qu’avec des lycéens. Avec des collégiens, cela me semble moins évident.

Quel est l’intérêt pédagogique d’un tel déplacement ?

Visiter un lieu de mémoire lorsque l’on est élève, c’est confronter le visible à l’invisible. Cela permet de mieux comprendre des faits historiques, les processus de ségrégation… Aller sur place aide à déconstruire des préjugés, à avoir une connaissance plus fine des évènements qui ont marqué son pays. Les élèves ont aussi accès à des témoignages vidéo qui complètent les cours. Et ces souvenirs, parce qu’ils sont très forts, restent gravés dans la mémoire pour très longtemps. Il ne s’agit pas d’une simple visite, car un tel déplacement nécessite un travail avant, pendant et après. Il s’agit d’une démarche pédagogique et scientifique. Et s’approprier des savoirs nécessite du temps.

Justement, comment préparez-vous la visite d’un lieu mémoriel avec vos élèves ?

Je prévois plusieurs séances de cours en amont sur le sujet. Cela permet notamment de préparer les élèves à la difficulté de ce qu’ils vont voir sur place. Je leur demande ensuite de faire certaines recherches, de lire des textes. Une fois sur place, ils sont invités à répondre à un questionnaire, à participer à un atelier pédagogique organisé par le musée ou le lieu en question, à prendre des notes pour rédiger ensuite un carnet de voyage… Exemple : lorsque j’ai accompagné des élèves à Auschwitz, ils devaient recueillir des informations pour étayer un devoir sur un convoi de déportés. Une telle visite leur permet de travailler différemment et certains s’impliquent davantage.

Trouvez-vous les élèves changés après une telle expérience ?

Ils ne vont pas changer de personnalité, ni devenir meilleurs. Mais cette visite leur permet de lutter contre des idées préconçues, de déconstruire des mythologies pour les remplacer en savoirs. Un tel déplacement crée aussi une synergie dans la classe.