France

Réforme des retraites : Quelle valeur accorder aux sondages qui flattent le Rassemblement national ?

Sur les bancs de l’Assemblée, en pleine étude du texte sur la réforme des retraites, un député MoDem pestait, dans nos colonnes : les débats houleux, « c’est du pain bénit pour Marine Le Pen, qui pendant ce temps-là, engrange dans l’opinion en jouant la bonne mère de famille ». Trois semaines et un 49-3 plus tard, à la table du Rassemblement national, le pain a laissé place au centre de la table à un véritable festin.

Selon une enquête Elabe pour BFM TV révélée mercredi, la dauphine d’Emmanuel Macron en 2022 emporterait sa place à l’Elysée avec 55 % des voix si le second tour de la présidentielle avait lieu aujourd’hui. Et près de 60 % des Français considèrent qu’elle est proche des préoccupations des Français, selon un sondage Ifop pour Paris Match (contre 56 % il y a un an et 39 % en 2017). Si les électeurs rejouaient le match de 2022 aujourd’hui, la cheffe du groupe parlementaire RN serait aussi largement en tête à l’issue du premier tour, avec 31 % des voix, soit plus de sept points que son score d’avril 2022. Enfin, un sondage Ifop Fiducial pour le JDD estimait fin mars que le RN pourrait être le grand vainqueur en cas d’élections législatives anticipées.

« Un thermomètre du temps présent »

Mais ces indicateurs, aussi favorables soient-ils, ne nous rapprochent pas plus de l’échéance ultime du RN (et de l’ensemble de la classe politique) : l’élection présidentielle 2027, dans près de 1.500 jours, quatre ans dans le calendrier romain, l’équivalent d’une éternité en temps politique. Alors, que valent vraiment ces sondages ? « C’est un thermomètre du temps présent, qui est cohérent avec la période et le débat. Après, ce n’est pas pour autant que ça n’a aucune valeur, notamment sur les questions liées à l’image de Marine Le Pen, avec des chiffres qui correspondent à la tendance depuis quelques années », constate Paul Cébille auprès de 20 Minutes.

L’analyste politique développe. « Il faut mettre en relation les différents sondages. Par exemple, on voit que son score s’améliore chez les retraités, ça veut dire qu’elle progresse dans une catégorie qui vote beaucoup. » Léa Chamboncel, journaliste et autrice du livre Plus de femmes en politique !, estime, elle, qu’il faut « prendre ces sondages au sérieux » face à une « évolution pas surprenante » du RN, à situer dans un temps plus long : « Personne n’a considéré la montée du RN. François Mitterrand a normalisé leur présence médiatique. Aujourd’hui, Gérald Darmanin reprend leurs idées, tandis qu’à l’époque, Nicolas Sarkozy avait dédiabolisé une parole raciste. »

La normalisation, une stratégie pérenne ?

Dédiabolisation, et aujourd’hui normalisation. Des mots en bonne place dans le précis du RN depuis des années, mais qui semblent prendre encore plus de sens à quatre ans de la présidentielle. Arrivés en nombre à l’Assemblée cet été, les parlementaires d’extrême droite ont adopté une stratégie : la discrétion.

Peu de vagues, peu d’amendements, et une contestation feutrée de la réforme des retraites, malgré leur opposition au texte. « Pour l’instant, leur stratégie est validée par les sondages. C’est positif pour eux, mais est-ce que ça va durer ? Cette recette-là ne va pas forcément marcher dans la durée. On peut imaginer que s’ils ne font rien pendant quatre ans, les gens vont se demander à quoi ils servent », pointe Paul Cébille.

Côté RN, la stratégie de la passivité est niée. « C’est le récit médiatique qui nous présente comme discret à l’Assemblée, les Français voient qu’on s’est positionnés sur cette réforme, on a utilisé tous les moyens pour faire chuter ce texte à l’Assemblée », rétorque un cadre du parti contacté par 20 Minutes.

« On continue à travailler, sans fanfaronnade »

« Il y a une volonté de montrer qu’ils maîtrisent les outils du travail législatif. Ils veulent normaliser leur présence institutionnelle tout en jouant l’outsider. C’est une technique assez récurrente chez Marine Le Pen : s’effacer quand ça chauffe, regarder de haut ce qu’il se passe, et revenir après », détaille Léa Chamboncel. Au sein du parti d’opposition, on assure ne pas être grisé par la conjoncture favorable. « On fait abstraction, même si c’est une bonne chose que les sondages valident notre action. On continue à travailler, sans fanfaronnade », souffle ce même cadre du RN.

Et de rajouter : « On prend tout ça avec beaucoup de gravité, parce que la situation est difficile et qu’on se prépare à l’accession au pouvoir. » Avec l’idée tenace qu’une crise sociale profite au parti d’extrême droite ? Un postulat à nuancer, en analysant les rapports de force, conclut Paul Cébille : « Le RN progresse certes mais a aussi perdu beaucoup d’élections, telles que les régionales et cela, dans un contexte de crise sanitaire qui aurait pu leur profiter. Et, dans les sondages, on voit aussi que la gauche ne s’effondre pas. »