France

Pauvreté en zone rurale : « Il n’y a plus rien qui rentre sur mon compte et j’ai un loyer en retard »

Bien que le soleil brille en ce mardi, la misère ne semble pas moins pénible au soleil. Un drôle de camping-car s’arrête sur la place du marché de Patay (Loiret). C’est le Solidaribus du Secours populaire. Il stationne ici une fois par mois pour apporter de l’aide aux plus précaires qui n’ont pas les moyens de se rendre aux antennes de distribution alimentaire situées dans les villes alentour. A chaque fois, il sillonne les routes pour se rendre dans sept autres communes situées en zone rurale.

Car avec l’inflation galopante, la situation des personnes précaires qui vivent à la campagne s’est aggravée, constate Jean-Pierre, bénévole depuis deux ans : « A chaque fois qu’on vient ici, de nouvelles personnes sollicitent notre aide ».  « Et ces dernières années, les personnes les plus pauvres sont venues s’installer dans des villages ou des petits bourgs, car les loyers en ville et en banlieue n’étaient plus accessibles », ajoute Georges, bénévole depuis dix ans au Secours populaire.

Une participation de 60 centimes est demandée

Il est 14 heures, Jean-Pierre et Georges installent des tables devant le bus pour proposer des vêtements à tout petit prix. Une femme arrive à pas feutrés. « La mairie m’a dit que vous pouviez m’aider », souffle Flora*, intimidée. Jean-Pierre l’invite tout de suite à entrer dans le Solidaribus, à l’abri des regards indiscrets. Après l’avoir mise à l’aise, il lui pose quelques questions sur sa situation financière. « J’étais femme de ménage, puis j’ai fait un burn-out. Je n’ai plus aucun droit au chômage, je ne touche pas encore le RSA. Donc, il n’y a plus rien qui rentre sur mon compte et j’ai un loyer en retard », raconte-t-elle.

Et pour trouver un petit boulot dans le conditionnement ou le ménage, c’est un chemin de croix : « Faut que ce soit près d’ici, à cause de l’essence. La dernière fois, ma tante m’a fait le plein. Mais souvent, je suis bloquée », raconte-t-elle. Face à une telle détresse, Jean-Pierre inscrit tout de suite Flora sur la liste des bénéficiaires qui peuvent venir chercher des provisions chaque mois au Solidaribus. « On calcule le reste à vivre d’une personne et s’il est inférieur à 12 euros, on l’inscrit », décrit-il.

Des aliments qui se conservent longtemps, sont donnés aux bénéficiaires.
Des aliments qui se conservent longtemps, sont donnés aux bénéficiaires. – D.Bancaud

Ni une, ni deux, Georges et une autre bénévole se précipitent sur les boîtes de converse et bricks de lait pour lui concevoir un panier de secours. « D’habitude, on demande une participation de 60 centimes, mais là on ne va pas le faire », explique Jean-Pierre. « C’est gentil », murmure Flora, qui repart le cœur un peu plus vaillant.

« Faire le premier pas, c’était dur. On a sa fierté »

C’est désormais au tour de David*, 39 ans, de monter dans le Solidaribus. « Ça commence à remonter la pente. J’ai décroché un CDD d’un mois et demi pour récolter les asperges », annonce-t-il. Il faut dire que ces derniers temps, il a vogué de galère en galère : « J’ai perdu mon permis, alors à la campagne, sans voiture, c’est même pas la peine ». David a quand même réussi à faire quelques jobs saisonniers quand ses parents pouvaient faire le taxi. Le reste du temps, il a vécu avec son RSA de 523 euros par mois.

C’est la troisième fois qu’il vient au Solidaribus. « Faire le premier pas, c’était dur. On a sa fierté », confie-t-il. Une hésitation partagée par beaucoup : « Au début, quand on a installé le Solidaribus à Patay, personne n’osait venir. Les gens avaient peut-être peur que leurs voisins apprennent leurs difficultés. Et aujourd’hui encore, on a du mal à toucher certaines catégories, comme les retraités, qui rechignent à se faire aider », constate Georges.

« Dans notre situation, on a besoin de parler »

Pas de répit pour l’équipe de bénévoles qui accueille ensuite Simone, hébergée chez son fils aîné avec ses deux plus jeunes enfants après une rupture. « Avec le colis alimentaire du Secours populaire, je tiens 10 jours », raconte-t-elle. Puis, c’est Martine* qui s’installe. « Vous voulez un thé ou un café ? », lui demande Jean-Pierre. Car le Solidaribus, c’est aussi un lieu de sociabilité. « Dans notre situation, on a besoin de parler. Je n’ai aucun loisir, alors je suis heureuse qu’ils soient là », confie Martine, en invalidité. Quand elle a payé ses 650 euros de charges par mois, il ne lui reste plus grand-chose.

Une bénéficiaire du Secours populaire repart avec son colis alimentaire.
Une bénéficiaire du Secours populaire repart avec son colis alimentaire. – D.Bancaud

Alors les paquets de pâtes, les gâteaux, les boîtes de conserve et les produits d’entretien sont vraiment les bienvenus. Une nouvelle bénéficiaire arrive. Elle est handicapée et a un enfant à charge. Elle pense pouvoir retravailler bientôt. « Notre aide est censée être ponctuelle, reprend Georges. Mais bien souvent, la situation des gens n’évolue pas positivement. Donc on les soutient sur le long terme ».

« Là, avec l’inflation, c’est pire »

Simone*, une élégante dame blonde, vient aussi taper à la porte du Solidaribus. Avec ses 300 euros de pension de retraite et ses 600 euros d’allocation de solidarité aux personnes âgées, elle a de plus en plus de mal à s’en sortir. Une fois son loyer de 410 euros payé, c’est un exercice d’équilibriste pour finir le mois. « Déjà, pendant la crise du Covid-19, tout était plus cher à l’unique supermarché du coin. Mais là, avec l’inflation, c’est pire. Je pioche dans les produits à date courte du magasin. Le colis de l’association m’aide à tenir sans m’endetter », raconte-t-elle, en posant ses 60 centimes de contribution sur la table.

La participation des bénéficiaires du Solidaribus.
La participation des bénéficiaires du Solidaribus. – D.Bancaud

Il est 17 heures, le Solidaribus devrait lever le camp. Mais deux bénéficiaires habituels ne se sont pas présentés. Jean-Pierre les appelle. Les bénévoles feront une heure supplémentaire pour leur porter secours. Ils attendent l’une sur la place, et vont porter un colis au domicile d’une autre. « Si on peut les aider, pourquoi on ne le ferait pas ? », interroge Georges.