FranceSport

Paris-Roubaix 2023 : Sans Pogacar, le retour du suspense sur l’imprévisible enfer du Nord ?

Et si le doublé Tour des Flandres-Paris-Roubaix tenait à un rendez-vous chez le dentiste ? Interrogé sur une potentielle présence surprise sur les pavés français dimanche après la leçon de vélo donnée sur le Ronde, Tadej Pogacar a balayé l’hypothèse en prétextant un rendez-vous médical. Humour. Encore que, on serait tenté de croire que le leader d’UAE aurait plus de mal à trouver un nouveau créneau sur le Doctolib slovène que de rendre chèvre un groupe de costauds du côté d’Arenberg.

Ça ne sera pas pour 2023. Mathieu van der Poel, mi-amusé, mi-dégoûté de s’être fait occire dans le Vieux Quaremont, et qui exhortait Pogi à se concentrer sur les courses par étapes pour laisser des miettes aux humains, va donc voir son vœu exaucé sur Paris-Roubaix. Il n’aura « que » Wout van Aert et la Jumbo à gérer.

Les deux grands rivaux auraient tort de ne pas saisir une bonne fois pour toutes l’opportunité de remporter ce monument tant que le grand méchant loup s’y désintéresse. L’enfer du Nord « figure sur [la] liste » de Tadej Pogacar, moyennant quelques kilos à prendre car « les pavés de Roubaix sont très différents des pavés des Flandres ». Argument de poids ? Pas forcément. Ils sont nombreux à penser le double-vainqueur du Tour de France (66kg) capable de s’imposer dans la banlieue lilloise sans avoir à prendre trois tonnes de muscles.

Thierry Gouvenou, directeur de la course : « Je pense qu’il peut compenser largement son manque de poids par ses qualités physiques hors-norme et sa volonté. Bernard Hinault n’était pas très lourd non plus et il a gagné Paris-Roubaix ».

Bert de Backer, ancien coureur passé par B&B Hotels, 11e et 12e de Paris-Roubaix en 2014 et 2015 : « Avec Tadej, les règles changent. Il a une chance de le gagner, même sans prendre de poids. Et puis, prendre du poids ok, mais seulement à condition qu’il y ait un gain de puissance. A Roubaix, si on veut être plus grand, plus lourd, c’est pour la puissance. Gagner des kilos superflus qui ne vont servir à rien, c’est pire que tout. Donc même avec son poids et la puissance phénoménale qu’il est déjà capable de développer, il aurait ses chances. »

Les outsiders jusqu’ici inexistants

Sur Paris-Roubaix, on n’a jamais plus que « ses chances ». Depuis la fin de l’hégémonie du tandem Boonen-Cancellara, dont la dernière victoire date de 2013, la classique française a offert un vainqueur différent par édition. Et pas mal de surprises, la plus grande restant le succès de Mathew Hayman en 2016. Rien de nouveau là-dedans, l’imprévisible enfer du Nord, on connaît, c’est même un marronnier du vélo. Sauf que cette particularité la rend plus que jamais spéciale à l’heure où le Big 3 cannibalise les grandes courses d’un jour et cultive chez les outsiders un sentiment d’impuissance, poussant des Mads Pedersen, Stefan Kung ou Neilson Powless à anticiper des coups comme de vulgaires équipiers, à l’image de l’attaque groupée du Molenberg. Ou l’équipe DSM, qui a improvisé une opération escargot en plein mont dans le seul but d’emmerder Van der Poel. Le cyclisme Mario Kart serait-il leur dernier espoir ?

Malheureusement pour eux, ce genre d’attaques est la seule solution, analyse Frédéric Moncassin, trois fois top 10 sur Paris-Roubaix. Actuellement, trois coureurs dominent le peloton, sont annoncés gros comme une maison et répondent toujours présent. Sur les 20 équipes, 17 ne peuvent donc pas gagner. De très bons coureurs ont pourtant axé leur saison sur ça, ils se sont entraînés dans l’espoir de gagner le Ronde ou Paris-Roubaix. Mais il y a deux, parfois trois coureurs quand Pogacar est là, qui sont pratiquement imbattables. Donc les équipes mettent en place des stratégies différentes contre ces deux coureurs, il n’y a pas le choix. »

Sur la route de Roubaix, les choses sont différentes. La première raison majeure est le facteur poisse/crevaison/chute, beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Si Wout van Aert a pu perdre sur une chute dans les Flandres, le champ des emmerdes possibles s’élargit encore sur la Reine des classiques. Moncassin dresse un scénario parmi tant d’autres : « une crevaison, ça n’a l’air de rien. Mais si ça arrive dans le premier secteur pavé, le mec va se faire dépanner un peu loin, il va remonter dans les voitures. Dans les voitures, il va devoir rouler sur les bords, et sur les bords il risque de crever ou de tomber derrière une chute et donc d’être ralenti… Une fois qu’on a pris la mauvaise crevaison ou la mauvaise chute, la course devient moins facile. »

A Roubaix, « il suffit de suivre le meilleur » pour avoir sa chance

L’autre est qu’aussi étonnant que cela puisse paraître, il est plus facile pour des coureurs en déficit de puissance de survivre dans le groupe des costauds sur les pavés que dans les monts flandriens. « Moi, je n’étais jamais avec les grands coureurs sur les classiques, sauf à Roubaix », illustre ainsi Bert de Backer.

Comme lui, ils sont nombreux à avoir réussi à développer une science de la course sur pavés pour compenser des lacunes et s’accrocher au bon wagon. L’ancien de B & B, toujours. « C’est difficile à expliquer, mais il faut trouver le trajet qui te fait perdre le moins d’énergie. Tu dois essayer de tout faire en slow motion. Par exemple, c’est mieux d’arriver doucement dans un virage et d’accélérer à sa sortie plutôt que de faire un gros freinage à la dernière seconde, parce que ça ne réagit pas souvent comme tu le veux. A Roubaix, c’est comme ça. Il suffit d’être là, de ne pas frotter et de suivre le meilleur. Tant que tu es derrière le meilleur, tu peux y croire. » Et pour peu qu’un Van Aert ou VDP prenne le gros des relais – donc le vent dans la tronche – en chemin, il y a moyen de les surprendre sur le vélodrome (remember Colbrelli 2021).

Rare image de Van Aert devant Van der Poel en 2023
Rare image de Van Aert devant Van der Poel en 2023 – /SIPA

Enfin, il ne faut jamais sous-estimer la fâcheuse tendance à s’enterrer seuls de Mathieu et Wout. Dans un scénario sans équipiers pour rouler sur un attaquant, on ne compte plus les fois où les deux rivaux se sont perdus par refus de bosser pour l’autre. Théorie amusante de Bert de Backer : Tadej Pogacar, qui s’entend par ailleurs très bien avec le petit-fils Poulidor, serait le « liant entre les deux hommes. »

Sur le Ronde, le Big 3 a de fait collaboré efficacement derrière les contre-attaquants jusqu’à étouffer la révolte. « Par contre, quand Van Aert et Van der Poel se retrouvent seuls, c’est différent. Ils ont une histoire commune si longue. Ça fait des années qu’ils courent l’un contre l’autre. Donc ils comptent peut-être plus les coups de pédale. » Pogi serait donc la meilleure chance de Wout van Aert et Mathieu van der Poel et le pire cauchemar des outsiders. Si la théorie est avérée, ces derniers peuvent définitivement remercier le dentiste du leader d’UAE.