France

« On doit faire des choix importants » pour lutter contre la sécheresse

Yves Tramblay est hydroclimatologue à l’IRD (institut de recherche pour le développement) à Montpellier. Il est l’un des auteurs du chapitre « Région méditerranéenne » du sixième rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dont le deuxième volet a été publié en février 2022. 

Un rapport où la vulnérabilité de l’espace méditerranéen apparaît clairement, entre hausse de la température atmosphérique (1,5 °C par rapport à 1850), celle de la mer (+0,29 à +0,44 °C par décennie) et acidification des eaux marines. Il décrypte, pour 20 Minutes, l’intense épisode de sécheresse que traverse le département des Pyrénées-Orientales, placé en situation de crise depuis le 10 mai.

La sécheresse que vivent les Pyrénées-Orientales depuis plus d’un an présage-t-elle de changements majeurs pour le sud de la France ?

C’est un très bon exemple d’une situation anormale, qui va être de plus en plus fréquente et sera potentiellement, dans quelques décennies, le nouveau climat. C’est clairement la conclusion de toutes les études et les scénarios du Giec : les grands épisodes de sécheresse en Méditerranée seront l’une des principales conséquences des changements climatiques. D’où la nécessité de l’anticiper et ne pas être confronté à des choix très violents dans dix ou vingt ans.

Pourquoi ce département est-il particulièrement touché ?

Le déficit de pluie est très important. En janvier, ils n’ont pas dépassé la centaine de millimètre de pluie, ce qui est très peu à une période où se rechargent généralement les nappes phréatiques. Mais la situation n’est pas propre à ce département. On est sur le même schéma que l’Espagne avec une sécheresse qui s’est installée en Catalogne depuis plusieurs années. Et là-bas, c’est une catastrophe. Dans l’Hérault, le taux d’humidité des sols est loin de ce qu’il devrait être à ce moment de l’année.

Quelles vont être les conséquences de cette sécheresse ?

Le stock d’eau n’est pas infini. Les gens se partagent l’eau disponible pour différents usages, notamment l’agriculture et le tourisme, avec une problématique commune à l’ensemble du pourtour méditerranéen : on assiste à un afflux énorme de population l’été, à la période où il ne pleut pas. Les stocks en eau disponibles l’été sont entièrement liés à ce qu’il a plu l’hiver précédent. Mécaniquement, on s’en va vers des conflits d’usage plus importants. Et donc va se poser la question : à qui va-t-on couper le robinet ?

Forte montée des eaux, qui touchera 37 % des côtes méditerranéennes, désertification accrue, incendies qui brûleront jusqu’au quart des sites Natura 2000, épisodes de fortes pluies et inondations : le rapport du Giec est inquiétant…

Avec cet épisode de sécheresse qui s’installe dans la durée, on se rend bien compte que ce n’est pas dans cent ans que ça va arriver… Peut-être que l’année prochaine, on aura un hiver extrêmement pluvieux. Si ça arrive, les gens vont malheureusement perdre la mémoire. Mais si on compte les hivers secs sur dix ou vingt ans, on va se rendre compte que la sécheresse s’installe bel et bien. Je suis inquiet, car je trouve le contraste saisissant entre le contenu de nos études et la prise de décision derrière. Je pense qu’il y a de la part des scientifiques un manque de communication, de vulgarisation.

Le rapport du Giec se penche sur la nécessité de s’adapter à ces changements. Que préconisez-vous ?

Il y a différentes pistes. Notamment celles qui ont attrait aux économies d’eau en général, en facilitant par exemple la réutilisation des eaux usées. Mais également un volet extrêmement important à explorer, qui concerne la réduction de l’eau pour les usages agricoles, l’un des premiers postes de consommation. En optimisant l’irrigation, en utilisant des types de culture, par exemple des variétés de vignes qui ont besoin de beaucoup moins d’eau que d’autres. Mais il faut derrière une volonté pour changer les choses.

Sentez-vous une prise de conscience ?

Je n’ai pas l’impression qu’il y ait une réelle prise en compte de ce qui va arriver. Je crains qu’assez rapidement, et on est pas mal des scientifiques à partager ce constat, qu’on ait tellement attendu qu’il n’y ait plus de solutions techniques. On assiste à des migrations d’espèces végétales dans d’autres régions et ce n’est que le début. Des projections indiquent, par exemple, que faire du vin en Méditerranée deviendra compliqué dans quelques années. Il faut s’y préparer. On arrive par exemple à cultiver du vin dans des endroits très arides, mais avec des cépages ultra-résilients à la sécheresse. On a des choix extrêmement importants à faire. Si on ne fait ces choix pas on va dans un mur.

Quelles sont les marges de manœuvre ?

Ce n’est pas tout de mettre en place des arrêtés sécheresse, il faut envisager une planification à plus long terme, sinon on devra à chaque fois gérer des crises, qui deviendront de plus en plus graves. Je n’ai pas la sensation que les changements radicaux sont en marche. Pour ça il faut des incitations à deux niveaux. Au niveau national avec un cadre législatif. Et local, avec des concertations, pour adapter ce que l’on peut faire en fonction du contexte. Il n’existe pas de solution unique pour tout le territoire. Les agriculteurs sont de toute façon très bien placés pour bien connaître leur terroir, ce que l’on peut y faire ou pas y faire. Mais il faut une confrontation directe entre des impératifs purement économiques et cet aspect naturel.

C’est l’exemple ou plutôt le contre-exemple des méga bassines ?

C’est un exemple assez flagrant. Parce qu’il y a moins d’eau, on va davantage irriguer. Ça a peut-être du sens d’un point de vue économique, mais c’est absurde d’un point de vue climatique. C’est une gestion à court terme. On se heurte au principal écueil : faire comprendre que la réflexion du court terme ne tiendra pas la distance avec le changement climatique, déjà bien visible en Méditerranée. Je suis scientifique et fonctionnaire. Les scientifiques, nombreux dans mon cas, n’ont rien à vendre, notre discours est désintéressé. J’ai le sentiment que la population se rend compte qu’il y a un souci. En revanche j’entends aussi souvent un discours climatosceptique ou de déni vis-à-vis de certains lobbys. Dès que le constat rentre en collision avec les intérêts économiques, il est dénigré.