France

« Nos cultures caribéennes sont mieux acceptées dans le rap français »

Kalash, Meryl, Kima, Tiitof… Entre featuring, EP et tournées, le rap antillais s’exporte au-delà de ses frontières pour bousculer les charts. En créole, en français ou en anglais, ces artistes montrent au grand public la richesse de la musicalité caribéenne. Mais est-ce si facile pour ces chanteurs locaux de conquérir la scène nationale ? Et comment les aider à promouvoir leurs morceaux ? Emmanuel Foucan alias Shorty y travaille depuis plus de vingt ans. Il a fondé en 2015 son propre média L’Oxymore « pour documenter les cultures urbaines caribéennes » comme le rap, le dancehall ou encore le bouyon par le biais d’interviews d’artistes, formats musicaux et playlists sur des plateformes de streaming.

Juré dans Les Flammes, la cérémonie dédiée au rap et ses courants jeudi, il participe ce vendredi à la deuxième édition du festival Centrale Place, une série de concerts de rap indoor and outdoor en plein cœur des Halles à Paris. Le cogérant de l’agence de communication Agence 88 y organise pour l’occasion « L’Oxymore on stage », un plateau d’artistes caribéens avec Kima, Kiddyskur, Larose, Implaccable, Rengy et DJ Greg. Pour cette première, les artistes viennent exclusivement de la Guadeloupe et la Martinique. « J’essaye d’ouvrir sur la Guyane, mais ça nous ramène à la difficulté des prix des billets d’avion », explique-t-il. « Ça coûte moins cher pour un Guadeloupéen d’aller à Paris que de se rendre en Guyane [le voyage est d’environ trois heures] », se désole-t-il.

Pour 20 Minutes, l’entrepreneur de 36 ans revient sur son projet et l’émergence des rappeurs antillais sur la scène nationale.

Comment est né le concept de « L’Oxymore on stage », cette série de concerts avec un plateau d’artistes caribéens à Paris ?

Les aventures de L’Oxymore nous ont amenés à rencontrer l’équipe du Centre culturel La Place à Paris, à qui nous avons présenté notre projet. Nous avons collaboré dans un premier temps sur des interviews. Ils ont mis à disposition des locaux dans le Centre culturel sur Paris afin que je puisse faire des interviews d’artistes caribéens qui se trouvaient à Paris lors de mes passages. C’est ensuite qu’ils nous ont proposé de rejoindre un festival qui s’appelle Central Place, qui revient pour sa deuxième édition du 9 au 13 mai. Il met en avant les valeurs sûres, mais aussi les nouvelles pépites du rap français. Et ils nous ont proposé de réaliser un plateau avec des artistes caribéens. Cette idée, étant dans la continuité de notre mission et notre volonté de mettre en avant de promouvoir ces artistes caribéens, on a immédiatement accepté. Et j’ai reçu le soutien de nombreux confères et créateurs de contenus caribéens sur l’évènement.

C’est une première de réaliser un tel plateau alors que de plus en plus d’artistes caribéens s’imposent sur la scène rap nationale… Vous avez eu du mal à mettre en avant ces talents ?

Large question. Les artistes caribéens se produisent tout de même régulièrement. Il y a eu des concerts avec des artistes qui remplissent des salles comme Matieu White à la Cigale, Meryl à l’Elysée Montmartre. Mais c’est vrai qu’au sein de festivals vraiment dédiés au rap français, ça me semble être inédit. C’est quelque chose qui était compliqué il y a quelque temps, mais depuis quelques années, je pense qu’après les années de travail d’Admiral T, l’explosion de Kalash qui travaille beaucoup dans cette direction-là, on commence à avoir beaucoup plus d’intérêt de la scène française hexagonale. On sent la culture urbaine caribéenne de plus en plus acceptée au sein des institutions, un peu de rap français.

Est-ce qu’il y a des spécificités dans le rap caribéen qu’on ne trouve pas dans les autres styles ?

Oui, il y a des spécificités, mais je ne dirais pas qu’on ne les trouve pas dans les autres styles. La position géographique des Antilles françaises crée un carrefour des cultures. Par exemple, on a eu accès à des chaînes américaines comme BET bien avant la France hexagonale, ça a créé des influences. Évidemment, il y a toutes les musiques caribéennes qui nous ont bercés, comme le konpa, le zouk, la biguine, le gwoka… Et puis du fait que nous restons des départements français, il y a aussi la variété française, le rap français, etc. Tout cela fait des mélanges intéressants musicalement. Et il y a la langue créole qui permet d’exprimer des idées différemment de par les sonorités, de par son côté imagé. Il y a beaucoup d’expressions, de comparaisons. Ça offre une richesse.

Vous étiez l’un des jurés des Flammes, qui célèbrent les champions du rap et ses nombreux courants. Comment ça s’est passé ? Êtes-vous fier de contribuer à cette célébration ?

Je suis extrêmement fier d’avoir contribué à cette cérémonie. J’ai vraiment été surpris d’être contacté par les organisateurs, Booska-P et Yard. Ils m’ont présenté le projet et fait cette proposition. J’ai répondu en moins de 30 secondes (rires). Je parlais du fait que nos cultures caribéennes étaient de mieux en mieux acceptées et impliquées, et c’est exactement ce que j’ai ressenti surtout quand j’ai vu les autres membres du jury avec des personnalités prestigieuses de l’industrie musicale de rap et de l’industrie musicale. C’est vraiment un honneur.

Les artistes caribéens y sont-ils assez représentés ? Il y a notamment Kalash, Maureen et Meryl…

Il y a des artistes caribéens qu’on aurait aimé voir, mais il y avait des critères pour participer, à savoir d’avoir sorti un album, un morceau ou une œuvre durant l’année 2022. Du coup, certains artistes qui auraient tout à fait mérité leur place n’étaient pas présents. Maintenant, ça ne tient qu’à eux de sortir des projets en 2023 pour la prochaine édition. Sinon, on avait des artistes représentatifs et une catégorie très intéressante qui est le morceau caribéen ou d’inspiration caribéenne de l’année [remporté par Kalash et Maureen]. Ça redonne de la valeur aux Caraïbes. Et il n’y avait pas que des Caribéens nommés, mais aussi des artistes francophones comme Aya Nakamura et Damso.

Qu’est-ce qui manque aujourd’hui au rap kréyol (créole) pour mieux se faire entendre ?

Je pense qu’il faudrait travailler à structurer le secteur, qu’il y ait de vrais managers, bookers, directeurs artistiques, etc. Malheureusement, peut-être par manque de moyens ou de connaissance de l’industrie musicale, une personne endosse la quasi-totalité des rôles et forcément il y a des limites. En créant L’Oxymore, je voulais aussi structurer un peu la sphère médiatique en permettant aux artistes de rap et dancehall de venir défendre leur projet, faire de la promo, parler de leur processus créatif. L’idéal serait que ce soit fait dans tous les domaines. Mais j’ai le sentiment que ça progresse au fur et à mesure. Maintenant, l’ossature doit être renforcée afin de mieux aller défendre des projets auprès de labels, de festivals et auprès éventuellement d’autres artistes nationaux et internationaux afin d’élargir la cible et de toucher de plus en plus de monde.