France

Montpellier : Un outil innovant pour mieux détecter les burn-out chez les agriculteurs

La surcharge de boulot, des trésoreries dans le rouge et les aléas climatiques poussent à bout les agriculteurs. Selon les chiffres les plus récents de la MSA (Mutuelle sociale agricole), en 2016 et en 2019, 250 exploitants et salariés agricoles, en majorité des hommes, ont mis fin à leurs jours. Un chiffre sans doute sous-estimé.

En 2021, pour tenter d’enrayer les suicides dans le monde agricole, le gouvernement a dévoilé un plan, avec la création, notamment, de comités de pilotage, ou d’un réseau de sentinelles, vouées à intervenir auprès des paysans les plus fragiles. Des mesures insuffisantes, loin d’être à la hauteur, déplorait l’association Solidarité paysans, le 28 février, après avoir observé l’application de cette feuille de route, pendant un an.

Stresseurs et satisfacteurs

A Montpellier (Hérault), Olivier Torres a développé un outil innovant, destiné à lutter contre le mal-être des agriculteurs. Mais l’approche de ce professeur et maître de conférences, expert du tissu économique, diffère des propositions qui s’amoncellent sur les bureaux du ministère de l’Agriculture depuis des années. Amarok e-Santé Agri permet en effet aux agriculteurs d’évaluer leur état, en recensant « les stresseurs et les satisfacteurs professionnels et personnels » de leur existence. « Nous mesurons les facteurs négatifs, mais aussi les facteurs positifs », confie Olivier Torres. Et ça, c’est nouveau.

Voilà de longues années que ce professeur œuvre à la prise en compte par les pouvoirs publics de la santé des entrepreneurs indépendants (chefs d’entreprise, commerçants, artisans…). Il y a 14 ans, Olivier Torres a créé à Montpellier un observatoire, Amarok, destiné à recueillir des connaissances dans ce domaine. « J’avais même dit, à l’époque, qu’il y avait davantage de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur celle des entrepreneurs ! », se souvient le professeur. Forts de la réussite de cet observatoire novateur, adopté par de très nombreux services de santé au travail en France, Olivier Torres et son équipe ont adapté leur dispositif au monde agricole.

« La vie agricole ne se limite pas qu’au travail »

Sollicités par leurs organismes de Sécurité sociale ou leurs chambres professionnelles, les agriculteurs qui le souhaitent peuvent ainsi évaluer leur état physique et psychologique, en ligne, en quelques clics. En fonction de ce qu’ils vivent, ils peuvent indiquer sur cette plate-forme, par exemple, que leurs clients sont satisfaits de leur travail, qu’ils viennent d’agrandir leur exploitation, ou que leurs élevages ou leurs cultures se portent bien. Mais aussi qu’ils font face à des aléas climatiques désastreux, qu’ils ont du mal à faire face à la pression fiscale, ou que l’argent manque. Mais « la vie agricole ne se limite qu’au travail », explique Olivier Torres. Amarok e-Santé Agri permet aussi aux paysans d’évoquer leur contexte familial, « très prégnant chez les agriculteurs », la célébration d’un événement festif personnel, ou la santé défaillante d’un proche.

Amarok e-Santé Agri permet aux agriculteurs de renseigner ce qui caractérise leur vie actuelle.
Amarok e-Santé Agri permet aux agriculteurs de renseigner ce qui caractérise leur vie actuelle. – N. Bonzom / Maxele Presse

Une fois qu’ils ont parfaitement renseigné ce qui caractérise leur vie actuelle, une balance leur indique s’ils doivent, ou non, se ménager. Si la plate-forme détecte une situation urgente, elle invite les agriculteurs à répondre à un test supplémentaire. Et si un probable burn-out est détecté, Amarok e-Santé Agri leur proposent d’être rappelés, anonymement, par une psychologue spécialisée. L’avantage de cet outil, c’est que les agriculteurs sont seuls, face à leur ordinateur. Et ça, c’est essentiel. « Il existe une désirabilité sociale, qui nous impose de vouloir apparaître en bonne forme, confie Olivier Torres. Lorsque j’ai créé l’observatoire Amarok, au début, c’était mes doctorants qui appelaient directement les gens. Nous avions détecté un certain niveau d’épuisement. Mais lorsque nous avons basculé vers un questionnaire en ligne, l’épuisement a augmenté considérablement ! Parce que les gens étaient beaucoup plus honnêtes avec eux-mêmes. »

Le professeur Olivier Torres et la psychologue Laure Chanselme de l'observatoire Amarok.
Le professeur Olivier Torres et la psychologue Laure Chanselme de l’observatoire Amarok. – Alexandre Benzari

« Avant, je mettais en place des numéros verts »

L’autre avantage de ce dispositif, c’est qu’il évoque, aussi, les bonheurs que le métier d’agriculteur offre. « Avant, je mettais en place des numéros verts », comme tout le monde, explique le professeur. Pour qu’il soit efficace, vous êtes obligés de dire « Appelez, si vous n’allez pas bien », poursuit le professeur. On communique, toujours, de manière négative. Avec Amarok e-Santé Agri, on a, aussi, intégré des satisfacteurs. Le message devient donc positif. Quand un agriculteur vit davantage de facteurs positifs que négatifs, on lui dit « Très bien, continuez comme ça ! » » Dans le monde agricole, « il n’y a pas que des situations difficiles, confie Bernard Lacour, éleveur, président de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, et partenaire du dispositif. Si le mal-être est une réalité, il existe, aussi, un bien-être des agriculteurs. Et pour celles et ceux qui vont bien, il faut éviter la dépression collective, et consolider l’espoir qu’on peut avoir dans l’agriculture. »

Sur les 714 agriculteurs qui ont, pour l’instant, réalisé ce test, 53 potentiels burn-out ont été détectés. Et 28 ont saisi la main tendue par l’observatoire. « Le plus gros bénéfice [de cet outil] est d’avoir trouvé un moyen permettant aux chefs d’entreprises agricoles, en toute intimité, de pouvoir s’exprimer sur leur situation personnelle », poursuit l’éleveur bourguignon. « Les agriculteurs ont tendance à s’oublier et à privilégier leur entreprise à leur détriment. Il n’est pas dans leur culture d’aller voir un médecin, encore moins un psychologue. Or, le dispositif permet d’exprimer son ressenti en garantissant l’anonymat. Et si c’est nécessaire, l’agriculteur a la possibilité d’entrer en contact avec un spécialiste de la santé sans aller consulter. Il n’a pas à déplacer physiquement. »