France

« Messmer, le record du monde » : L’hypnotiseur de TF1 manipule quand l’hypnose thérapeutique « démanipule »

Qu’on y croie ou pas, l’hypnose fascine. L’hypnotiseur québécois Messmer est le visage de l’hypnose de divertissement en France depuis dix ans. Pour pousser encore plus loin ses limites et pour offrir à TF1 un prétexte de diffuser une énième émission d’hypnose en prime time, il est au cœur de l’émission Messmer, le record du monde, ce vendredi 7 avril. Il tentera de battre son propre record du monde – 854 personnes hypnotisées simultanément en 2017 – en hypnotisant 1000 personnes en six minutes devant plus de 3500 personnes au Dôme de Paris, dans une émission enregistrée début janvier et animée par Arthur.

« Est-ce que tu peux le programme pour qu’il ne soit plus capable de danser ? », demande l’animateur à son complice hypnotiseur. « Je viens d’en avoir l’idée à l’instant. Vous voyez, c’est ça qui est génial avec l’hypnose, on peut faire ce qu’on veut. » S’ensuit une séquence où le danseur de Danse avec les stars, Christophe Licata, reste coi lorsque Denitsa Ikonomova et Inès Vandamme lui demandent de danser un jive, un quickstep ou un cha-cha-cha. Comme l’ensemble de la population, le danseur est réceptif à l’hypnose. Cet état de conscience est normal et nécessaire au développement de l’être humain. « Notre état de conscience fluctue de très nombreuses fois dans la journée et nous donne accès à cet état particulier où nous sommes « ailleurs », « dans la lune » ou même davantage… Pendant ces multiples instants, notre fonctionnement inconscient prend le pas sur notre fonctionnement conscient », peut-on lire sur le site de la Confédération francohphone d’hypnose et de thérapies brèves.

Cet état permet à la fois de faire rire lors d’impressionnants spectacles mais aussi de se soigner, la pratique a d’ailleurs été une thérapie de soin avant d’être utilisée pour le show. Aujourd’hui, une vingtaine de diplômes universitaires permettent aux professionnels de santé de s’initier à la pratique de l’hypnose afin d’en faire une technique de soin de leurs patients par le subconscient.

De l’hypnose partout, tout le temps

Au-delà d’un cabinet médical ou d’un plateau de télévision, nous sommes tous et toutes exposés à des processus d’hypnose dans notre quotidien. L’hypnose peut être utilisée pour spectacle, pour se soigner, dans une entreprise pour atteindre objectif difficile ou dans une compétition sportive. Le commerce a aussi recours à ce type de méthodes, qui nous fait parfois ressortir d’un magasin avec un objet dont on n’avait pas forcément besoin. Nous passons donc notre vie à être hypnotisés. Le protocole mobilisé par Messmer rend son spectacle plus impressionnant car il sélectionne les personnes les plus réceptives parmi son public. Elles sont mises en état de « transe hypnotique », où elles sont plus suggestibles, c’est-à-dire enclines à être influencées par les suggestions.

« Ce sont des contextes différents », précise pour 20 Minutes le docteur Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute et créateur du premier diplôme universitaire d’hypnose médicale à la Pitié-Salpêtrière. « Messmer se positionne clairement dans le domaine du spectacle. Il doit dominer, manipuler pour mettre les personnes hypnotisées dans des situations qui font rire le reste du public. » Alors que ce sont les personnes hypnotisées qui font rire, l’hypnotiseur tire profit des situations étonnantes qu’il crée au moyen des techniques d’hypnose pour les ramener à lui. « Le contexte du spectacle est toujours au bénéfice de l’hypnotiseur. C’est lui qui doit en bénéficier pour vendre des places et faire le show. »

En consultation, le praticien raconte que c’est le patient qui en profite puisque l’anonymat d’un cabinet permet de mobiliser les moyens qu’il a en lui pour se débarrasser d’une pathologie ou d’une addiction. L’hypnose est donc une compétence complémentaire pour un soignant. Savoir pratiquer l’hypnose ne fait pas de la personne un soignant pour autant car être thérapeute demande des années de formation.

« Démanipuler du mal-être inconscient »

Si les praticiens sont parfois confrontés à des personnes réticentes qui leur demandent « de faire la poule ou le kangourou » comme dans les spectacles de Messmer, l’hypnose de divertissement ne décrédibilise pas la pratique de l’hypnose thérapeutique. D’autant qu’avec le temps, les spectacles du genre sont de mieux en mieux réalisés, s’accordent à dire nos intervenants.

Ils précisent que Messmer est loin d’être un charlatan. Il utilise des techniques similaires à celles engagées dans le cadre thérapeutique. Les soignants ne choisissent en revanche pas leurs patients selon leur suggestibilité.

Lorsque ses patients lui demandent s’il va les « manipuler », le docteur Benhaiem répond : « Pas du tout, on va faire complètement l’inverse, on va vous démanipuler, vous libérer des processus d’hypnose, même moins visibles, auxquels vous avez été confrontés durant votre vie et qui peuvent parfois causer un mal-être inconscient. »

« À la télé, on ne voit que l’emprise »

Spectacle et soin sont-ils pour autant irréconciliables en matière d’hypnose ? Non répond le spécialiste, « car l’hypnose de musical permet de faire connaître l’hypnose au grand public et les gens prennent conscience qu’un être humain est influençable ». Il voit dans les shows de Messmer une opportunité de faire de la pédagogie. Opportunité loupée par TF1. La chaîne reste braquée sur le spectacle et les situations loufoques générées par l’influence de Messmer. Et la manipulation commence avant même que les caméras ne soient allumées, puisque Messmer à la scène s’appelle Éric Normandin à la ville.

Il plaide pour encadrer ce type de spectacle d’un volet didactique. « Ce serait intéressant qu’on ait une étape où on nous montre le spectacle, qui n’est pas problématique en lui-même, et une étape où on analyse les processus mis en place par l’hypnotiseur. » Il précise que cela permettrait aux téléspectateurs d’en sortir plus intelligents car dans ce que montre la télévision, « on ne voit que l’emprise ».

Il fait le pont entre un hypnotiseur de spectacle tel que Messmer et une pathologie. « Ce qui est montré sur scène c’est la pathologie, toutes ces personnes sont sous l’emprise de Messmer par exemple. Et si on identifie ce gars du spectacle au tabac, à l’alcool ou à n’importe quelle chose dont on voudrait sortir, on comprend mieux à quoi sert l’hypnothérapie », conclut-il.